mardi 15 juillet 2008

Crimes atroces, atroces erreurs(La Wallonie vendredi 23 août 1996)


Crimes atroces, atroces erreurs,

« La Wallonie » du vendredi 23 août 1996 page 14

Le ministre de la justice a été interpellé par treize députés. Cruelles révélations sur !'enquête judiciaire. Et, s'agissant de l'avenir, divergences entre faucons et colombes.
«Je ne vous cache pas ma stupeur. Je n'ai été informée que verbalement de soupçons pesant Marc Dutroux et qu'il faisait l'objet d'une enquête de la gendarmerie. J'ai été laissée dans l'ignorance...»

Lues hier en commission de la Justice du Parlement par le ministre de la Justice, Stefaan
De Clerck, elles sont accablantes les paroles laconiques qu'a consigne par écrit Mme Doutrewe, la juge d'instruction liégeoise chargée du dossier Julie et Mélissa. Accablantes et consternantes.

lmpensable?
En cause un des points noirs majeurs de l'enquête : le fait que les horribles préparatifs de Marc Dutroux étaient connus, et auraient pu être stoppé net. Le ministre a en effet confirmé que, quelques jours après la disparition des deux petites, la gendarmerie d e Grâce Hollog n e a été informée par fax des soupçons pesant sur Marc Dutroux. Que la BSR de Charleroi a confirmé la teneur des soupçons apportés par un indicateur. Que l'information a été traitée lors d e réunions de coordination des BSR de Charleroi et Liège. Que le parquet de Charleroi a été mis au courant en avril 96. Mais qu'aucun PV n'a jamais été dressé. Que Dutroux a fait l'objet d'une surveillance de l'unité spéciale POSA de la gendarmerie, qui n'a rien donné. Et puis,donc, que la juge d'instruction liégeoise n'aurait, selon sa propre termes, jamais été informée...
«Pouvons-nous, Monsieur le Ministre, exclure l'impensable, à savoir que Dutroux ait bénéficié de protections? S'est interrogé, hier, le député Ecolo, Vincent Decroly. La phrase est lancée. Deux préoccupations étaient surtout dans les esprits des treize députés qui ont interpellé Stefaan De Clerck.
Comment éviter que le drame ne se reproduise? Comment est-il possible qu'autant d'erreurs aient pu être commises?

Deux camps
Des complicités : l'hypothèse est extrême, mais non totalement absurde - qu'on songe au rôle joué par le gendarme Dubuisson dans l'affaire des négriers et la mort du journaliste Steinier. Vraie ou fausse, elle ne rend pas moins graves les nombreux dysfonctionnements constatés. Telle l'affaire de la «deuxième» libération conditionnelle de Dutroux, en 1996, mise en évidence par le président d u PRL, Louis Michel. Incarcéré pour de nouveaux faits, il aurait dû perdre automatiquement le bénéfice de son ancienne libération et accomplir le reste de sa première peine -sauf intervention du ministre, que le parquet aurait d'un avisé. L'a-t-il fait? Probablement pas... Stefaan De Clerck admet.
Des fautes ont été commises,dont il reste à dégager les responsabilités. Il a chargé le procureur général près la Cour de Cassation d'envisager des procédures disciplinaires à l'encontre des parquets de Mons et de Charleroi.

Suffisant? Les interpellations ont autant porté sur le passé, et ses erreurs, que sur les leçons qui doivent en être tirées. Pour se diviser, camp des colombes contre camp des faucons. Création d'un tribunal d'application des peines contre instauration de peines incompressibles, plaidée surtout par le PRL Louis Michel et... faisant fi des thèse de son collègue PSC Jean-Jacques Viseur, le PSC Marceau Mairesse, champion toute catégorie, hier, de l'esprit de clocher poujadiste.
L'heure, il est vrai, ne se prêtait pas au débat serein. A l'autour ne, c'est promis, on y reviendra, entre êtres de raison.

E.R
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Abolissons la nuit

« La Wallonie » du vendredi 23 août 1996 page 14

Nous l'avons assez répété dans ces colonnes. L'heure est régie par l'émotion et ses tentantes exploitations politiques. Sus à la barbarie, qu'il faut empêcher de nuire en la mettant durablement au trou.
Quelle barbarie? L'exceptionnel cas Dutroux, qu'on désigne comme la pédophilie incarnée? «Inutile d'égrener les noms des enfants martyrs, » dit Louis Michel. Il aurait dû.
Les faits divers des cinq dernières années abondent en bébés tués par leurs parents, ou victimes d'inceste, ou... Alors, peine incompressible? Pour quel crime?

Tout ce qui est odieux, abject... les «irrécupérables » et les «bêtes sauvages» comme le demandent les libéraux l'engrenage sera vite là.
N'empêche. Deux constats. Relatif à la lenteur avec laquelle Justice et Législatif ont ouvert les yeux. Il a fallu le temps qu'on réalise, dit-on aujourd'hui. En 1990, déjà, une équipe spéciale de Scotland Yard enquêtait sur un réseau vendant une pornographie infantile avec des mises à mort non simulées...

Ce qui suppose un marché - commercial. Dutroux en savait quelque chose.
L'appareil judiciaire, manifestement, avait beaucoup plus de réticence à l'admettre, qui, pour qu'il y ait réseau, veut y voir des chefs, une structure très organise , style mafia. Or, marché, il y a.
A reconsidérer.

Mais, fondamentalement ils ont raison les députés PS Biefnot, qui ne veut pas préjuger des problèmes de disparition et de pédophilie, et PSC Viseur, qui affirme qu'aucun «Etat n'a jamais supprimé tout risque criminel».

On ne peut abolir la nuit. On peut y mettre un éclairage,,

Erik Rydberg
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Les chiens ont-ils flairé une piste ?

« La Wallonie » du vendredi 23 août 1996 page 14

Les enquêteurs chargés du dossier Dutroux ont à nouveau effectué des fouilles jeudi après-midi à Sars-la-Buissière, où les cadavres de Julie et Mélissa avaient été retrouvés samedi.
Les alentours de la propriété sont bouclés.
Des chiens de la gendarmerie sont sur place. John Bennett, le super-intendant de la police britannique est arrivé sur les lieux.

M. Bennett était arrivé mercredi à Neufchâteau. Il agira en tant que consultant et devra apporter la certitude qu'il n'y a vraiment plus aucun corps à retrouver. A Sars-la-Buissière, mais également dans les autres maisons de Marc Dutroux et ses complices.
John Bennett avait dirigé l'enquête qui avait abouti à l'arrestation d e Frédérick et d e Rosemary West, les meurtriers de ce que l'on a appelé la "maison de l'horreur" de Gloucester, dans le sud de l'Angleterre. On y avait retrouvé les cadavres de dix jeunes femmes enterrées soit dans le jardin soit dans la cave.
Dans l'après-midi, il s'est rendu à Jumet au domicile de Bernard Weinstein et Rue Jules Destrée à Marchienne-au-Pont, au domicile de Michel Lelièvre.

En fin d'après-midi, les enquêteurs présents à cette adresse, envisageaient semble t-il de faire sauter une dalle de béton dans la propriété. Cette dalle suspecte aurait été installée par Dutroux, propriétaire des lieux. Michel Lelièvre, le complice de Marc Dutroux, qui a reconnu sa participation dans l'enlèvement des deux jeunes liégeoises et d'An Marchal et Eefje Lambrecks, a été emmené sur les lieux.
Plusieurs véhicules d e gendarmerie sont entrés dans la propriété. Les fouilles se sont poursuivies en début de soirée, à Marchienne-au-Pont d'abord, à Sart-la-Buissière ensuite.

Les chiens


Depuis jeudi, les recherches sont également effectuées avec l'aide de chiens, de la police allemande, dresses spécialement pour découvrir des cadavres. Ils participent aux fouilles des maisons et des propriétés de Dutroux. Une équipe du DVI (Die Victims Identification) de la gendarmerie est prête à intervenir lorsque ces chiens semblent repérer un indice.

Comme l'a confirmé jeudi soir le procureur du Roi de Neufchâteau, Michel Bourlet des indices permettant de croire à l'existence de nouvelles caches ont été relevés dans les maisons de Dutroux. Le matériel du super-intendant de la police anglaise devrait permettre d'en savoir plus à ce sujet dans les prochains jours. D'autre part, une arme, un mannequin, des cassettes vidéo ainsi que quatre véhicules ont été saisis jeudi après-midi lors d'une perquisition opérée à Ransart(Gosselies), dans la banlieue de Charleroi, a-t-on appris à bonne source. La perquisition visait une maison qui appartiendrait à un démolisseur.
Le procureur du Roi de Neufchâteau, Michel Bourlet, s'est refusé à confirmer cette information jeudi soir.
Il n'a par ailleurs pas donné de commentaires sur des informations faisant état de l'implication de Dutroux dans un vaste trafic d e cassettes vidéo. Les cassettes saisies depuis le début de l'enquête sont actuellement examinées par la BSR de Charleroi.

Un point précis

A Sars-la-Buissière, les recherches entreprises se sont concentrées après 21 h. vers un point précis du jardin vers lequel les chiens pisteurs d e la police allemande ont convergé.

Lors de sa conférence de presse, le procureur du Roi, M. Bourlet, a encore affirmé qu'un homme de la région de Charleroi, M. Thiraut, avait été interpellé et était entendu, jeudi soir, par le juge d'instruction Connerotte. II s'agit d'une connaissance "d'affaires" de Marc Dutroux.

Les enquêteurs sont également en possession d'indices qu'ils vont vérifier avec le matériel du spécialiste britannique John Bennett. Ces indices laisseraient supposer que d'autres caches pourraient être découvertes dans les maisons de Dutroux. Un architecte sera d'ailleurs mis à contribution par les enquêteurs pour vérifier les plans de ces maisons.

Un enquêteur belge est prochainement attendu à Prague pour suivre la "piste tchèque" dans l'affaire du pédophile meurtrier belge, Marc Dutroux, a annoncé jeudi soir la télévision tchèque.

Se référant à des sources policières tchèques, la télévision a indiqué que Dutroux s'était rendu en République tchèque, notamment en Bohême du nord, mais avait plus souvent séjourné en Slovaquie, l'autre république issue en 1993 de la partition de l'ex-Tchécoslovaquie.

J’espère qu’An et Eefje ont croisé Julie et Mélissa


J’espère qu’An et Eefje ont croisé Julie et Mélissa

« La Wallonie » du vendredi 23 août 1996 page 13

Paul et Betty Marchal, les parents d'An, avaient tenu à être présents, hier, aux côtés des familles Lejeune et Russo.

II était 10h03 très précisément, hier, lorsque Paul et Betty Marchal, les parents d'An, ont fait leur apparition dans le périmètre de sécurité défini par la police de Liège aux abords de la Basilique Saint-Martin.

Venus en droite ligne de Hasselt et accompagnés de la soeur aînée d'An, visiblement très marquée, Paul et Betty Marchal ont immédiatement été applaudis a tout rompre par la foule, avant d'être assaillis par une meute de journalistes, belges et étrangers

« Nous sommes simplement venus réconforter !es parents de Julie et Mélissa dans ces moments particulièrement difficiles », a d'abord expliqué Paul Marchal. « Il était de notre devoir d'être présents ici...»

Sur la suite de l'enquête et les recherches effectuées afin retrouver An et Eefje, Paul Marchal a simplement tenu à signaler qu'il avait eu, le matin même, un nouveau contact téléphonique avec Michel Bourlet, le procureur du roi de Neufchâteau.
«Cela fait du bien d'être ainsi informé des suites de l'enquête. Depuis quelques jours, une relation directe s'est établie entre nous. C'est important sur le plan psychologique. M. Bourlet m'a confirmé qu'il avait un bon espoir d e retrouver An et Eefje vivantes. »
Beaucoup d'émotion, enfin, lorsque Betty Marchal, avec des sanglots dans la voix, a lâché :
« J'espère de tout coeur qu'An et Eefje ont, au cours de leur séquestration, rencontré Julie et Mélissa et qu'elles ont eu la possibilité de leur dire que leurs parents se battaient avec un courage admirable pour tenter de les retrouver... »

A la fin de la cérémonie, Paul et Betty Marchal sont littéralement tombés dans les bras de Jean-Denis Lejeune, le papa de Julie. Avant que les corbillards ne fendent la foule pour se rendre au petit cimetière de Mons lez Liège...

Les Marchal, eux, ont repris la route du Limbourg, les larmes aux yeux. An et Eefje ont été enlevées le 22 août 1995. Il y avait, hier, exactement un an de cela...

D.S.

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Mobilisation générale pour assurer la dignité

« La Wallonie » du vendredi 23 août 1996 page 13

Certains observateurs n'avaient pas hésité à estimer à 100.000 le nombre de personnes qui se rendraient hier aux alentours du Mont Saint -Martin pour assister, de près ou de loin, à la cérémonie religieuse donnée en la basilique pour les petites Julie et Métissa. L'estimation était grandement exagérée ou, du moins portait sur l'ensemble du trajet effectué par le cortège.
Forces de l'ordre, secouristes de la Croix-rouge, et médecins, rien n'a cependant été laissé au hasard pour encadrer près de 10.000 personnes qui avaient envahi les hauteurs pour rendre, dans la rue et sur la place, un ultime hommage aux deux petites défuntes.
Tôt le matin, des barrières nadar avaient été disposées de part et d'autre de l'artère principale qu'allait emprunter le cortège, soit les rues Saint-Laurent (au niveau du croisement avec la rue Bidaut) et Mont Saint Martin.
A chaque intersection de rue, des policiers de faction orientaient les personnes. Un parking pour les autocars a été installé dans une de ces voiries perpendiculaires, rue Eracle, à quelques centaines de m de la sortie d'autoroute.
Le parking de l'institut Saint Laurent a été mis à la disposition des familles et de la presse. Les premières voitures sont arrivées dès 9h30. Les premiers autocars ont déposé leurs occupants sur le coup de 10h.

Aucun débordement
Le climat de révolte qui avait suivi l'arrestation de Dutroux et les révélations de celui-ci a fait place au recueillement. «Tout s'est très bien passé. Les gens ont respecté l'imposition qui leur était faite de rester derrière les barrières nadar, explique le commissaire Lovinfosse. Ils ont écouté et respecté les conseils que nous leur avons donnés. J'ai été impressionné par le climat de dignité qui régnait dans la foule. »
Au total, c'est une centaine de policiers - issus de la police de la circulation, de la police communale, des auxiliaires, du 101 - qui avait été mobilisé pour assurer le bon déroulement des opérations. On pouvait aussi dénombrer une soixantaine de gendarmes. Aucun débordement n'a dû être déploré.
Du côté de la Croix-rouge, on peut également pousser un ouf de soulagement. Une petite dizaine d'interventions seulement a été nécessaire. Il s'agit essentiellement de gens qui ont eu un malaise provoqué par la chaleur ou le bain de foule. Seules deux évacuations par ambulance ont été réalisées.
La Croix-rouge avait mobilisé une soixantaine de volontaires sur place. Une quarantaine d'autres volontaires était appelable à domicile en cas de besoin. Un poste de commandement a été établi à proximité de la basilique. Cinq ambulances étaient présentes sur les lieux.

Pour les appuyer, les 3 équipes d'intervention urgente du Service mobile d'urgence, qui couvrent l'ensemble de la région, étaient présentes au Mont Saint-Martin. Une quatrième équipe a même été ajoutée en renfort.

Outre les petites interventions sans gravité, la Croix-rouge a essentiellement exercé une mission de prévention, notamment en distribuant des berlingots d'eau alimentaire à la foule.

Th.D.
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Elisabeth Brichet :Déjà sept ans d’attente

« La Wallonie » du vendredi 23 août 1996 page 13

Septs ans déjà. Sept ans déjà qu'a disparu, à Saint Servais, près de Namur, Elisabeth Brichet, alors âgée de 12 ans. C'était le 20 décembre 1989. Proche des familles Russo et Lejeune, Mme Bouzet, la maman d'Elisabeth, avait tenu, elle aussi, à être aux côtés des parents de Julie et Mélissa, hier.

« Je suis littéralement assommée par l'horreur de la situation », avait-elle confié avant les funérailles. «Cette histoire démontre, s'il le fallait encore, que l'on avait raison de redouter de telles atrocités. Elle me donne aussi de terribles rancœurs à l'égard de la justice...»

Meurtrie, la maman d'Elisabeth le clame haut et fort : il est plus qu'urgent, désormais, que les choses bougent. Pour que de tels drames ne se produisent plus. « Il faut vraiment que des policiers aient l'esprit ouvert et manifestent plus de rigueur, ce qui n'a pas toujours été le cas.
Ils devraient également songer à collaborer avec les parents, qui sont tout de même les premiers concernés. On manque souvent de considération à leur égard ».

Cela dit, Mme Bouzet garde logiquement un espoir de retrouver, un jour, sa fille Elisabeth.
« Si ma fille est passée entre les mains de ces gens-là, elle a dû vivre un terrible calvaire. Si elle est vivante, dans quel état doit-elle être ? Comme Laetitia et Sabine ont été retrouvées en vie, et comme il est fort probable qu'An et Eefje le soient aussi, on peut espérer... »

D.S.

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Tous ne parlaient que du roi

« La Wallonie » du vendredi 23 août 1996 page 13

Il avait été prévu, initialement, que le roi Albert II soit représenté,aux funérailles de Julie et Mélissa, par son aide de camp, le général major José Dassy. Une présence que les familles Russo et Lejeune n'ont pas souhaitée. Ils reprochent au roi de n'avoir jamais daigné répondre aux courriers qu'ils lui avaient adressés. Réactions...

A droite de l'entrée principale de la Basilique Saint-Martin, un couple venu de Châtelet, dans la région de Charleroi, attend sagement, silencieux, prostré derrière une barrière Nadar. Sous leurs yeux, une voiture s'arrête. Un chauffeur en descend et saisit une gerbe de fleurs. Elle émane de la famille royale. Les langues se délient.
Les propos sont sans nuance aucune, dictés par la colère. « Qu'il aille au diable, celui-!à, Il aurait quand même pu répondre à ces parents, ne fût-ce que pour les encourager. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait ? »
Derrière eux, un monsieur d'une soixantaine d'années opine du chef. Il partage le même sentiment. «Les parents ont entièrement raison de refuser la présence d'un représentant de la famille royale. Le roi et la reine ont été princes de Liège. L'ont-ils oublié? C'est un peu facile de se manifester après la mort des fillettes. A part gracier des pédophiles... »

« Pas de message d'encouragement »
Dominique, un jeune Sérésien, n'y va pas non plus par quatre chemins pour dire ce qu'il a sur le coeur. « Il faut se mettre à la place des familles. Pendant quatorze mois, le roi n'a rien fait pour eux. Même pas un message d'encouragement... Il a préféré rester muet. C'est décevant. Si Baudouin vivait encore, les choses auraient été bien différentes... »
Dur, le discours de Jeannine l'est aussi. Dans sa bouche, les mots s'entrechoquent. «Je n'ai plus du tout confiance en la Justice. Et le roi me déçoit. Il s'est manifesté, mais beaucoup trop tard. C'est avant qu'il aurait dû le faire. A la place des parents de Julie et Mélissa, j'aurai aussi refusé qu'il soit présent aux funérailles. C'est bien trop facile... »
A ses côtés, Germaine, institutrice maternelle à Aywaille, confie: « J'ai honte d'être belge. J'ai honte de la Justice. Pourquoi l'enquête a-t-elle été aussi mal menée ? Ne me faites pas croire que des personnages très influents ne sont pas impliqués dans ce réseau pédophilique... Oui, j'ai honte.
J'ai peur aussi. Peur que cela donne des idées à certains détraqués... »

Le Palais Royal a réagi
Dès après les funérailles de Julie et Mélissa, le Palais Royal a publié, hier dans le courant de l'après-midi un communiqué, qui précise que «les souverains ont intensément partagé la douleur des familles de Julie et Mélissa et le deuil de la Nation entière pendant les funérailles des deux petites filles. »
« Les familles », ajoute le communiqué, «avaient exprimé le souhait que les obsèques puissent donner, en premier lieu, à la population l'occasion de rendre un dernier hommage à Julie et Mélissa. Dans ces circonstances, le Roi a estimé qu'il était prioritaire de tenir compte de ce souhait bien compréhensible et de ne pas déléguer d e représentant. »
Et le Palais de conclure «Les informations selon lesquelles des considérations purement protocolaires auraient motivé cette décision ne sont donc pas fondées. »

D.S.

L’hommage d’une ville(La Wallonie vendredi 23 août 1996)


L’hommage d’une ville

« La Wallonie » du vendredi 23 août 1996 page 12

Liège, ville morte: telle était l'impression qu'on avait jeudi matin en se promenant dans les rues du centre. De nombreux commerces étaient fermés en signe de soutien aux familles de Julie et Mélissa.

Spontanément, la plupart des commerçants avaient décidé de ne pas ouvrir jeudi matin. En guise d'explication, on pouvait lire aux devantures des commerces: "Nos établissements seront fermés ce jeudi 22 août, de 9 à 12 heures, en signe de soutien avec les familles de Julie et Mélissa".
Onze heures place Cathédrale, le son des cloches retentit. Les quelques passants fixent les yeux au ciel. Ils ont une pensée pour Julie et Métissa. Du côté des services publics, on observe une minute de silence. La ville toute entière porte le deuil des deux familles.

"La moindre des choses"
Place de la République Française, une mère hâte le pas. A ses côtés se trouvent trois petites filles. Une rose à la main, elles se rendent à la basilique Saint-Martin. Rue Pont d'Avroy, les terrasses n'ont pas été dressées.
Les cafés sont fermés. "Quelques habitues se sont bien présentés, explique un tenancier, "J'ai expliqué que nous n'ouvrions qu'à midi. C'est la moindre des choses qu'on pouvait faire. Ils l'ont très bien compris. Tout le monde se sent concerné".

Aux terrasses des rares cafés ouverts, les commentaires vont bon train. Tous les sujets de conversation tournent autour des événements qui ont bouleversé la Belgique ces derniers jours. Chacun à son explication. On entend un peu tout et n'importe quoi. Les patrons, eux, se justifient: "J'ai assez bien de personnel... Je ne pouvais pas fermer. Nous avons éteint la radio, les lumières ont été tamisées... Et puis, ça ne nous empêche pas d'avoir une pensée pour les deux petites». Partout où il y a un téléviseur, celui-ci est branché sur l'une des chaînes qui retransmet les funérailles en direct.

Dans les grandes surfaces
Les patrons des grandes surfaces ont eux aussi tenu à s'associer à la douleur des parents des deux fillettes de Grâce-Hollogne. Si le personnel est souvent présent, on en profite pour mettre un peu d'ordre dans les rayons. Dans les "fast-food", là aussi, le personnel est présent. Il est affecté à d'autres tâches.
Nous n'ouvrons qu'à midi, mais nous n'avons pas voulu pénaliser le personnel. Il sera payé. Ils sont venus à la même heure qu'en temps ordinaire.(...) Je leur ai confié des tâches qu'ils n'ont pas l'habitude de faire", explique le responsable du personnel d'une des chaînes de "fast-food".

Les galeries sont désertes. Il y a bien quelques personnes qui déambulent en ville en pensant faire quelques courses. Mais par la force des choses, l'emploi d u temps est revu,
Pour certains, c'est normal: "J'avais entendu dire à la radio que certains commerces seraient fermés durant l'office...
Mais je n'avais pas pensé qu'il y en aurait eu tant", confie une passante. D'autres, par contre, trouvent qu'on en fait trop: "Je comprends qu'on fasse quelque chose afin de marquer son soutien aux parents... Mais fermer pendant deux heures! Il ne faut pas exagérer " .

Certaines pharmacies ont décidé de ne servir que les urgences. Certains points de presse sont fermés. Rue Pont d'île, des ouvriers qui rénovent certains commerces sont sortis pour observer une minute de silence...un geste plus que symbolique.

Et les autres?
Il y a aussi certains commerces où la direction a refusé "clair et net". Rien n'y fait, nous vivons dans une société où le profit reste une priorité. "Nous avons demandé au patron pour fermer, ne serait-ce qu'une heure", expliquent les vendeuses, "Nous avons eu droit à un refus catégorique. On a décidée d'éteindre les lumières et d'arrêter la radio... Mais c'est parce qu'il n'est pas là. Il est en vacances, sinon on n'aurait rien change à nos habitudes". Face à de tels propos, on ne sait trop quelle réaction adopter.
En début d'après-midi, la vie semblait avoir repris son cours normal. Les rayons du soleil perçaient enfin, comme si eux aussi n'était pas restés insensibles à la tragédie qui vient de bouleverser tout un pays.

P. Zune
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Les pleurs et le soutien des amis

« La Wallonie » du vendredi 23 août 1996 page 12

Un père a perdu son enfant. Il vient de l'enterrer. D'autres parents sont toujours dans les tourments de l'attente et de l'angoisse.
Ils pleurent, s'encouragent, se soutiennent. Un moment qui était le leur mais qui est aussi, pour nous tous, une leçon de vie.

Quelques larmes s’échappent, discrètement

Il n'aurait pu y avoir place devant la basilique pour tous ceux qui désiraient assister aux funérailles et à la cérémonie bénéficiant d'une sonorisation extérieure.

La foule se distillait sur une distance de 100 m de part et d'autre de la basilique.
Un de ces points d'extrémité était à hauteur de l'institut Saint Laurent qui avait mis son parking à disposition des familles des victimes et de la presse.

9h45: Tout à l'entrée sont parquées une voiture du journal «Nord Eclair» et deux camionnettes d e RTL-TVI. Les véhicules ne se bousculent pas encore aux portes.

Quelques minutes plus tard, le véhicule des parents d'An Marchal passe la grille. Un caméraman de VTM pique un sprint pour voler quelques images.

Il est un peu plus de 10h, le bourgmestre de Sars-la-Buissière fait son apparition. Quel est le climat qui règne en ce moment dans son village? «Les spécialistes anglais doivent normalement venir aujourd'hui», dit-il simplement. Il parle bien sûr du surintendant de Scotland Yard qui avait traité le dossier des époux West, les serial killers de Gloucester .

Un incessant déplacement de gens venus rendre hommage se poursuit jusqu'après 10h30. Un peu plus d'une demi-heure plus tard, des taxis bruxellois font leur apparition et s'engagent dans le parking. Ils sont une petite trentaine.

Un homme en uniforme de facteur profite d'un entrebâillement entre deux barrières nadar pour s'immiscer sur la route et distribuer des cartes funéraires illustrées par le portrait de Julie et Mélissa. Un policier le rappelle à l'ordre. Il faut réintégrer le trottoir. Le cortège funéraire arrive. Sept motard sont à sa tête.

Une trentaine de secondes s'écoule avant que 3 autres motards fassent leur apparition. Juste derrière eux, deux camions de pompiers débordant de fleurs précèdent une cohorte impressionnante de 14 corbillards remplis de gerbes et de couronnes mortuaires.
Suivent alors les deux corbillards qui portent les corps, et les voitures des familles.

Les quelques longues minutes pendant lesquelles se déroule cette scène sont suffisantes pour qu'une ambiance lourde d'émotion envahisse les coeurs.
Quelques larmes s'échappent discrètement. Plus un mot pendant quelques minutes.

Th . D.
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Mandat d’arrêt

« La Wallonie » du vendredi 23 août 1996 page 12

Jeudi soir, au cours de sa conférence, le procureur du Roi de Neufchâteau, M. Bourlet, a annoncé qu'un cinquième mandat d'arrêt avait été décerné, a charge de Michaël Diacostavrianos, d'origine grecque mais habitant Mont sur Marchienne.
La prévention retenue est celle d'association de malfaiteurs.

Il avait déjà été interpellé vendredi dernier, mais remis en liberté par la suite.
M. Bourlet a confirmé qu'une autre personne a été interpellée, un certain M. Thirant, habitant la région de Charleroi. Il s'agit d'une relation d'affaires de Marc Dutroux.

Le procureur du Roi a encore fait savoir que Jean-Michel Nihoul avait fait appel de la décision de la
Chambre du Conseil, qui avait confirmé mardi son mandat d'arrêt.
Malheureusement, a ajouté M. Bourlet, on est toujours sans aucune nouvelle de An et Eefje.

Le major Guissart, de la BSR de Marche, a ensuite expliqué qu'il avait fait appel à des "chiens catastrophes" et à des chiens spécialistes dans la détection de cadavres, venus d'Allemagne
(Voir nos autres informations en page 14). Il y a en effet, a précisé le procureur du Roi de Neufchâteau, des indices sérieux qui laissent penser que d'autres caches, semblables à celles découvertes à Marcinelle, où étaient enfermées Laetitia Delhez et Sabine Dardenne, puissent exister dans d'autres propriétés de Dutroux.

Le Bon Dieu est-il sourd ?( La Wallonie vendredi 23 août 1996)



Le Bon Dieu est-il sourd ? Où sont allées les prières ?

« La Wallonie » du vendredi 23 août 1996 page 11

Dans son homélie d'accueil à la Basilique Saint-Martin, l'abbé Gaston Schoonbroodt, prêtre-ouvrier et ami des familles Russo et Lejeune, s'est exclamé: "Je vais essayer de surmonter notre émotion à toutes et à tous; en face, il y a le courage à toute épreuve de deux familles qui ont enduré 14 mois de tourments et de douleur, 14 mois qui sont comme les 14 -stations d'un insoutenable calvaire. Et pour aboutir à quoi?

Le Bon Dieu est-il sourd? Où sont allées les prières? A quoi ont servi les pèlerinages?
Mais non, ce n'est pas blasphémer que de parler ainsi et laisser exploser notre révolte, notre douleur et notre sincérité! Il ne faut pas que la célébration religieuse de ce jour soit l'occasion de remuer le fer dans la plaie mais elle doit réserver à Julie et Métissa la première place, celle qui leur revient, à nos deux petites et à tous les enfants du monde entier".

La liturgie de funérailles s'est ensuite déroulée lentement, alternant les lectures
d'extraits de l'Evangile et d'oeuvres littéraires, des chants, des psaumes et des interprétations musicales, avec les témoignages les plus divers, dont celui de l'avocat de la famille Victor Hissel et de la maman d'Elisabeth Brichet, disparue en 1989.
La chanson "Pour les enfants du monde entier" d'Yves Duteil a été interprétée par le petit François, un Namurois de 8 ans, le même âge qu'avaient Julie et Métissa au moment de leur enlèvement.

Ruban noir
Durant toute la cérémonie, un détachement de la marine nationale, des pompiers du service intercommunal de la région liégeoise et des policiers côtoyait à l'extérieur des groupes de métallos de Cockerill-Sambre et de Ferblatil, en bleu de travail, un ruban noir noué à l'avant-bras. Des équipes de la Croix-Rouge et de la Protection Civile, ainsi que des véhicules d'intervention médicale sont également présents, prêts à intervenir.

Le cortège funèbre était arrivé à Saint-Martin avec une demie heure de retard sur l'horaire prévu. Escorté par des motards de la police liégeoise, il était composé de deux lourds véhicules du service d'incendie, couverts de fleurs, suivis d'une quinzaine de voitures disparaissant également sous des monceaux de bouquets et de couronnes et, enfin, des deux corbillards contenant les cercueils blancs de Julie et Mélissa.

Jusqu'au dernier moment, des mains anonymes sont venues déposer sur le parvis de Saint-Martin des ours en peluche, ou un ultime bouquet de roses blanches.
Le service religieux s'est terminé après 13 heures avec l'offrande proposée aux personnes présentes dans l'église et après que les parents Lejeune et Russo aient longuement embrassé les deux petits cercueils.
Vers 13h30 et les deux petits cercueils ont été sortis de la basilique pour prendre place une dernière fois dans les corbillards.
On estime à près de 40.000 le nombre de couronnes, de bouquets ou de simples roses déposés depuis samedi soir au domicile des parents et au funérarium.

Voiture blanche
Le cortège funèbre s'est reformé et a démarré lentement peu après en direction du carrefour du Cadran à Liège, d'où il devait se diriger vers Flémalle par l'autoroute de Wallonie.
Julie et Mélissa ont été inhumées côte à côte au cimetière de la rue du Pré Malieppe à Mons, non loin de la maison de leurs parents. Ceux-ci ont pris place dans une voiture de couleur blanche pour suivre le convoi.

A la sortie de l'église, la foule a, une nouvelle fois, éclaté en applaudissements, alors que l'émotion était à son comble et provoquait dans le public des scènes particulièrement émouvantes

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L’intimité à Grâce-Hollogne

« La Wallonie » du vendredi 23 août 1996 page 11

Les cérémonies d'adieu à Julie Lejeune et Mélissa Russo ont débuté jeudi vers 9h30 au funérarium de Grâce-Hollogne où les deux enfants reposaient depuis lundi.

La levée des corps s'est faite dans la plus stricte intimité à la demande des familles qui ont accompagné les deux petits cercueils blancs jusqu'à la chapelle St Léonard, près du domicile des parents.
De la, et après un moment de recueillement, le convoi funèbre devait revenir vers le funérarium Mestré pour prendre ensuite le chemin vers la basilique Saint Martin. A son arrivée toutes les cloches du diocèse de Liège sonnaient.
Vers 10h, une foule nombreuse se pressait déjà devant la Basilique où régnait un sentiment de douleur et de compassion.

Le cortège funèbre est arrivé à 11 H25 à la Basilique Sain-Martin où une foule nombreuse et disciplinée se pressait derrière les barrières nadar. Jeunes, adultes, personnes âgées, venues des 4 coins du pays, se sont rassemblés comme une grande famille autour du lieu choisi par les parents Lejeune et Russo pour l'adieu à Julie et Mélissa. Des applaudissements ont accueilli le cortège.

Un adieu que les parents avaient manifestement organisé selon leur volonté, sans préséance de rang dans la Basilique, le public étant invité a y pénétrer.

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Des frissons dans la foule

« La Wallonie » du vendredi 23 août 1996 page 11

«Monsieur l'agent ! S'il vous plait.. » Derrière les barrières Nadar, une dame tend des fleurs à un policier.
L'agent prend le bouquet et va le disposer sur une incroyable masse de Cellophane, de rubans, de messages, d'ours en peluche, de couronnes et de montages floraux, simples ou somptueux.

Le public, canalisé de part et d'autre de la rue, donne et reçoit tout par-dessus ces fameuses barrières.
Il donne les fleurs et les cartes de condoléances, il reçoit les berlingots d'eau des services de secours, les photos des fillettes distribuées par le comité de soutien et les messages anonymes.
Mais néanmoins éloquents
«Belges, réjouissons-nous Pendant 20 ou 30 ans, on va nourrir Dutroux ! »

« C'est là qu'il faut frapper ! »


On est encore loin de la cérémonie religieuse. Les commentaires permettent de tromper l'attente. Chacun a sa vérité sur les pédophiles, sur les enquêteurs, sur la Justice et sur les solutions à apporter pour en finir. «En Belgique, on n'a pas d'affaires sophistiquées pour les enquêtes mais on a bien 450.000FB pour que Dehaene aille à un match ! C'est là, madame, qu'il faut frapper... »
Une dame explique bien fort qu'elle a rabattu son caquet à une connaissance : «Et je lui ai dit : "Alors quoi ? Tes dans le camp des pédophiles ?" Et il n'a plus osé dire un mot». Elle poursuit vivement sur les faits et gestes de Dutroux, affirmant ce qui est. Plus une série de détails de sa propre cuvée pour emballer le tout. «Mais c'est pas vrai Qu'est-ce que vous racontez ?», ose une jeune femme à deux pas. La dame hoche la tête en regardant sa voisine d'un air entendu.

Micro, photo
Un journaliste d'Euronews arrive tout essoufflé devant l'entrée de la chapelle. Col de chemise remonté, il enfile à toute allure une cravate devant la caméra. Il se peigne hâtivement sous le regard curieux des personnes qui attendent, accoudées aux barrières.
Y a-t-il quelqu'un qui parle anglais ? Une jeune fille signale à tout hasard qu'elle se débrouille correctement. Et c'est parti. Micro, interview. Elle remet ça quelques minutes plus tard avec un autre journaliste anglophone. Ses voisins commencent à la regarder d'un autre oeil.
Trois religieuses descendent la rue à pas pressés, passent devant la chapelle et poursuivent leur chemin, en jetant pardessus leur épaule des regards de moineau furtif au photographe qui les poursuit à petites foulées.

Quinze corbillards
L'attente devient fébrile. On se marche sur les pieds. On peut presque sentir la foule frissonner, nerveuse. Impatiente ?
Même si la discipline reste de rigueur. L'arrivée des parents d'Ann Marchal déclenche une salve d'applaudissements.
La famille s'arrête, un peu surprise par l'accueil et poursuit vers l'entrée de la chapelle. La soeur d'Ann est secouée de sanglots.
Les personnalités se succèdent presque sans interruption. Jusqu'à l'arrivée des deux camions de pompiers, qui disparaissent sous les fleurs. Et les quinze corbillards, applaudis eux aussi.

Le vrai partage
Suivent les deux autres véhicules. Le public ne bat plus des mains. On extrait des corbillards les cercueils blancs.
Si courts... Les parents et les frères de Julie et de Mélissa arrivent à pied. Devant le spectacle des deux familles silencieuses mais aussi devant tout ce qui symbolise la mort terrible de deux enfants, on pourrait presque toucher ce chagrin dense, compact. Vraiment partagé par tous à ce moment précis. Suspendu.
Cette communauté de sentiments, on la ressentira aussi un peu plus tard. Quand, dans la basilique, s'élèvera la voix opaline d'un petit garçon qui chante à pleins poumons pour des milliers de personnes.
La foule se resserre. On oublie pour quelques secondes les phrases acides, les formules simplistes, les bousculades énervées autour de quelques ministres.

P. S.

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Personnalités :De Clerck,Thily et les autres

« La Wallonie » du vendredi 23 août 1996 page 11

De nombreuses personnalités ont assisté aux funérailles de Julie et Mélissa. Parmi eux, le ministre de la Justice Stefaan De Clerck et le procureur général de Liège Anne Thily.

C'est à 11h25 que le cortège funèbre est arrivé à la Basilique Saint-Martin. Où enfants, jeunes, adultes et personnes âgées, venues des quatre coins du pays, étaient rassemblés comme une grande famille autour du lieu choisi par les parents Lejeune et Russo pour l'adieu à Julie et Métissa.
Cet adieu, les parents l'avaient organisé selon leur volonté, sans préséance de rang dans la Basilique, une partie du public (600 places disponibles) étant invitée à y pénétrer. Tandis que dehors, la foule suivait tout le déroulement de la cérémonie religieuse dans un lourd silence, parfois entrecoupé d'applaudissements.

Plusieurs personnalités avaient tenu à rallier la Basilique, en hommage à Julie et Mélissa.
Il y avait là le ministre de Justice Stefaan De Clerck, le ministre de la Fonction publique André Flahaut, le ministre wallon des Travaux publics Michel Lebrun, le président d u VLD Herman De Croo, les sénateurs Roger Lallemand et Jean-Marie Happart et la bourgmestre de Huy Anne-Marie Lizin.
Pour représenter la Ville de Liège lors de cette cérémonie religieuse, le collège des bourgmestre et échevins avaient désigné Alain Tison, l'échevin des Sports, et Michel Firket, l'échevin de l'Environnement.
Alors qu'on relevait la présence, pour la Province, du gouverneur Paul Bolland, des députés permanents Georges Pire, Henri Fléron, Joseph Moxhet ainsi que du président du comité provincial Gérard Georges.

Interdit de les filmer...
Etaient là, également, Anne Thily, le procureur général de Liège, l'ancien bourgmestre d e Liège
Edouard Close, Marie France Botte, bien connue pour son combat en faveur de l'enfance victime de mauvais traitements et de prostitution, Claude Lelièvre, délégué général au droit de l'enfant, Michel
Bouffioux, co-auteur du livre « Appelez-moi Elvira » sur la traite des blanches et la maman d'Elisabeth Brichet, disparue il y a sept ans déjà.
Alain Van der Biest, Jacky Morael et Guy Lukowski faisaient, eux, partie de la foule.

Sachez enfin qu'à la demande expresse des familles Russo et Lejeune, les personnalités politiques et judiciaires présentes à l'intérieur de la Basilique Saint Martin n'ont pas été filmées par les caméras de la télévision...

D.S.

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Blanc et noir….

« La Wallonie » du vendredi 23 août 1996 page 11

Blanc. Blancheur des fleurs, blancheur de deux petits cercueils,des véhicules emportant les parents, des silhouettes de deux mamans qui rappelaient que «toi ma douce, toi ma câline.,,,», Et pâleur des visages dans la foule aussi.

Qu'y a-t-il de pire que l'enterrement d'un enfant ? Peut-être la haine qui vient se greffer en bourgeon difforme sur la douleur des autres. Dans la basilique, devant les deux petites, les hommages n'étaient même pas terminés.

Mais dehors, les cris ont fusé : «A mort! » «Trou du c...» Une minorité hurlante, tout aussi anonyme que la majorité qui se tait. Et qui a fait sien le sang-froid des parents.

La haine tue la révolte. Tout comme ce calicot «Y a-t-il des pédophiles au gouvernement ?» tue le petit texte dédié à Julie et a Métissa :

«Nous n'avions que huit ans et beaucoup de rêves, on croyait que la vie serait belle... Vous les grands, préparez-nous un monde meilleur».

Noire, la haine. Ce n'est pas elle qui le fera, ce monde-là.

P.S.



Funérailles de Julie et Mélissa à la basilique Saint Martin de Liége


Funérailles de Julie et Mélissa à la basilique Saint Martin de Liége

« UNE » du journal « La Wallonie » du vendredi 23 août 1996

Le Bon Dieu est-il sourd ? Où sont allées les prières ?

Enquête( La Meuse vendredi 23 août 1996)



Enquête à Sart la Buissière et à Charleroi : expert britannique et chiens allemands

« La Meuse » du vendredi 23 août 1996 page 13

John Bennet, le superintendant britannique a visité les maisons de Marc Dutroux.
Ses vérifications devraient commencer la semaine prochaine. Il devrait consacrer une semaine par habitation. Des chiens venus d'Allemagne, spécialisés dans la recherche de cadavres, suivaient le passage de l'homme de Gloucester.

Mr. Bennett, I presume ? Une question célèbre que nous aurions aimé poser à John Bennett, le superintendant britannique. Arrivé hier pour jouer les consultants dans l'enquête Dutroux, il aura été pisté par une bonne partie de la presse belge.

Parti en début d'après-midi de Neufchâteau avec le procureur du Roi Michel Bourlet, John Bennett a effectué une première visite des maisons de Dutroux. Marchienne Docherie et Sars-la-Buissière (en présence de Michel Lelièvre) ont en tout cas reçu sa visite.

Des experts du labo de police judiciaire sont également descendus à Marcinelle, mais nous n'avons pas pu vérifier si Bennett était avec eux.
En tout état de cause, il ne s'agit là que d'une prise de contacts. Car les recherches prendront énormément de temps.
On parle qu'il faut à John Bennett et à sa « machine » une journée pour sonder 20 m2. Les meilleurs délais signalent qu'il faudra au minimum consacrer une semaine a chaque maison. Celle de la Sars-la-Buissière, avec son hectare, demandant beaucoup plus de patience.
D'où un certain scepticisme de la part des enquêteurs. Et avoué implicitement par le rôle dévolu à
John Bennett : consultant afin de vérifier qu'il ne reste plus de cadavre caché dans les propriétés de
Dutroux.
Une mission déjà confiée hier à des chiens venus d'Allemagne. Trois membres de la Polizei ont en effet suivi le passage du Britannique.

Ces chiens sont spécialisés dans le repérage de personnes décédées. Auparavant, d'autres chiens, belges et dressés à retrouver des personnes vivantes, avaient effectué des recherches.
De taille moyenne, vêtu d'un costume gris et très « british », John Bennett est resté près de 2 heures à la Docherie avant de partir sur Sars-la-Buissière. A Sars-la-Buissière, parmi les journalistes étrangers, Peter Hillmore du journal The Observer. Il a, à l'époque, suivi l'affaire de Gloucester. Celle-là même ou John Bennett a acquis sa réputation. Il nous explique : « La machine utilisée par John Bennett est la même que celles qu'emploient les archéologues pour repérer des ossements. Surtout avant de creuser, pour ne pas les abîmer. Elle a la particularité de mettre en évidence aussi bien les vides et les os.
Mais cela prend énormément de temps. A Gloucester, c'était tout petit, et il a fallu plusieurs jours. Et puis, elle est d'autant plus efficace si on sait déjà approximativement dans quelle secteur on doit chercher.
Un exemple : on n'a jamais retrouvé une rotule d'une des victimes de Gloucester. C'est dire si les enquêteurs comptent sur la «coopération» des inculpés.


Pour retrouver les corps de Julie et Melissa, ils avaient déjà creusé à 2 mètres de profondeur sans succès. Il aura fallu que Marc Dutroux précise qu'il les avait enterrées à 4-5 mètres pour les trouver.

Il faudra donc du temps. Et donc d'argent.
Bennett et son matériel devraient entrer en action la semaine prochaine.

Yvan Scoys
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Lelièvre un enfant du juge

« La Meuse » du vendredi 23 août 1996 page 13

Il avait été confié à une famille d'accueil avant de retourner vivre avec sa mère et son beau-père, un ex-militaire alcoolique et émargeant au CPAS Contrairement à Marc Dutroux et à Michèle Martin,
Michel Le lièvre est issu d'un milieu très défavorisé.

Cet enfant naturel est né à Namur le 11 mai 1971. Dès l'âge de 10 mois, Michel et son petit frère ont été retirés à leur mère, Nadia Defoy, par la justice, et confiés à une famille d'accueil.
Jusqu'à l'âge de 17 ans, Michel Lelièvre a bénéficié d'une excellente éducation dans cette famille très honorable. Il a vécu dans une grande et claire villa entourée d'un jardin fleuri dans un petit village à la campagne.

En 1978, sa mère a épousé M. Lelièvre, un militaire de carrière qui a reconnu ses deux enfants. Michel Lelièvre ne porte donc ce nom que depuis l'âge de sept ans. Malgré le mariage de la mère, le placement des enfants en famille d'accueil a été maintenu. Cependant, Michel passait un week-end par mois chez sa maman.

L'ambiance n'y était pas vraiment rose : sa maman et son beau-père émargeaient tous les deux au CPAS de Tamines. Le beau-père avait en effet été exclu de l'armée après une condamnation du conseil de guerre pour vol. Il avait ensuite effectué divers petits boulots (manoeuvre, gérant de friterie, barman...). Autant d'emplois qu'il a perdus à cause de son alcoolisme. Le beau-père avait l'habitude de dépenser tout son salaire en boissons et en jeux électroniques. De plus, il était très violent quand il avait bu et frappait régulièrement la mère de Michel. Celle-ci finira par le quitter définitivement en 1987.

Un an plus tard, à l'âge de 17 ans, Michel refuse de continuer à se plier à l'autorité du couple qui l'a élevé et rompt définitivement avec sa famille d'accueil. Il s'installe dans un kot à Namur et entreprend des études de photographie à l'IATA. Il les abandonnera très rapidement. A partir de ce moment, il vit d'expédients et déménage très souvent : Namur, Sambreville, Ciney, Dinant, Hastière et, pour finir, Charleroi.
Il fait deux brefs séjours en prison, en détention préventive, pour faits de vol et détention de stupéfiants.

C'est en prison qu'il fait la connaissance du Hollandais Casper Flier, qui l'hébergera pendant quelques mois dans une caravane à Hastière.

Depuis quelques mois, il s'était installé dans une des maisons appartenant à Marc Dutroux au n° 17 de la rue Destrée, à Marchienne Docherie.

« Il n'a jamais prononcé le nom de Dutroux. Mais il m'avait dit qu'il avait trouvé une maison à Marchienne et qu'il était entrain de la retaper avec le propriétaire. Il était fiancé avec une Slovaque. Leur bébé est né en juin dernier. Il m'avait montré des photos. Ce petit garçon est tout le portrait de son père. Il était tout heureux d'être papa. Le 8 août dernier, il m'avait dit qu'il partait en Slovaquie pour retrouver sa fiancée et le bébé. Il voulait les ramener en Belgique en septembre. J'étais persuadée qu'il était en Slovaquie. Quand j'ai appris qu'il était en prison, je suis tombée des nues», explique sa grand-mère maternelle.

Malgré ses errances, Michel Lelièvre avait toujours maintenu le contact avec ses grands-parents maternels.
« Il venait régulièrement nous rendre visite. Nous n'avons jamais rien remarqué de spécial. C'était un gamin gentil et serviable. Chaque fois qu'on avait un pépin, il venait donner un coup de main à son grand-père.
Dernièrement, il a encore changé le pot d'échappement de notre voiture. C'était le chouchou de son grand-père. On ne comprend pas ce qui a pu se passer. Je n'arrive pas à me faire à l'idée qu'il ait pu faire des choses aussi abominables de son propre chef. Il a dû être entraîné par de mauvaises fréquentations. Si vraiment il a participé à ces enlèvements, qu'on les enterre tous, comme les deux petites filles », conclut la grand-mère les larmes aux yeux.

E. Mathieu

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Stockholm

« La Meuse » du vendredi 23 août 1996 page 13

Ce que la Belgique dira au congrès contre l'exploitation sexuelle des enfants La législation existe, encore faut-il la faire appliquer

Le premier congrès mondial contre l'exploitation sexuelle d'enfants à des fins commerciales se prépare à Stockholm à un moment où la Belgique est justement bouleversée par des faits proches de ce problème. Notre pays y sera représenté et, dans le contexte actuel, on se demande s'il y va pour s'exprimer ou plutôt pour y prendre des leçons.

La branche belge d'une organisation internationale fera partie de la délégation belge ; il s'agit
d'ECPA T (En Child Prostitution in Asian Tourism).

Cette association, à l'origine, avait été créée pour étudier l'étendue des phénomènes de prostitution enfantine dans le cadre du tourisme sexuel en Asie. C'était en 1990 mais le caractère mondial du problème a fait s'agrandir le rayon de recherche de l'organisation.

ECPAT Belgique a déjà travaillé à la confection d'un document proposant des amendements à la législation belge dans ce domaine. L'association tente aussi de mettre en place une action afin qu'Internet ferme ses portes à des annonces de type pornographique. Les différents groupes de l'association travaillent d'ailleurs sur différentes actions; que ce soit au niveau des agences de tourisme et des enseignants.

Trois représentants d'ECPAT Belgique seront à Stockholm, la semaine prochaine.
Ils font remarquer qu'au niveau international, ce n'est pas tellement le manque de législation qui fait défaut mais le fait qu'elle ne soit pas appliquée.
Un professeur de l'Université de Gand, qui sera conseiller de la délégation belge, déclare: « C'est bien d'adopter des plans d'action et de faire de belles déclarations. Il n'est d'ailleurs pas tellement nécessaire d'adopter de nouvelles règles; il faudrait commencer parfaire appliquer celles qui existent déjà.

Par ailleurs, les membres de l'organisation regrettent que, jusqu'ici, seul le ministre de la Justice, M. De Clerck, se soit exprimé.
Ils estiment en effet que cela dépasse la seule compétence du ministère de la Justice et regrettent qu'à l'occasion de l'affaire Julie et Mélissa, le Premier ministre n'ait pas pris la peine de donner signe de vie.

P.S.
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DERNIERE MINUTE

5ème arrestation un grec de Marchienne

« La Meuse » du vendredi 23 août 1996 page 13

Un proche de Nihoul et un certain Thirau ont également été interpellés
L'enquête avance toujours à vive allure à Neufchâteau. Hier soir, le procureur du Roi Michel Bourlet a annoncé une 5c arrestation: celle d'un ressortissant grec, Michel Diakostadrianos, qui avait déjà été arrêté le 16 août dernier mais relâché le 18, faute de preuves. Seulement, après avoir perquisitionné à son domicile du nu 19 de la rue des Hayettes à Mont-sur Marchienne (en fait un ensemble de 4 maisons, dans lesquelles les dernières perquisitions ont révélé de nombreux indices intéressants), le juge d'instruction Connerotte a pu, aujourd'hui, le remettre sous mandat d'arrêt du chef d'associations de malfaiteurs.

Mais, hier, il y a également eu 2 autres interpellations. D'abord celle d'un proche de Michel Nihoul (qui nie toujours les faits qui lui sont reprochés et qui fait appel de son mandat d'arrêt) soit son frère Daniel Nihoul, domicilié dans la région de Charleroi et transporteur routier de profession ; soit Joël
Nihoul, son neveu (et fils de Daniel), développeur de photos d'art. Tous deux ont été interrogés, puis remis en liberté.

La seconde interpellation concerne un certain Thirau, habitant la région de Charleroi et qui est une relation d'« affaires » de Marc Dutroux. Hier soir, il était toujours en interrogatoire.

Enfin, le procureur confirme que toutes les cassettes vidéo pornographiques saisies sont actuellement visionnées (on parle de plusieurs centaines). On y retrouve Marc Dutroux et d'autres pédophiles avec des enfants. Mais actuellement, il ne s'agirait pas des fillettes que l'on connaît...
Ce qui laisse présager d'autres affaires à ouvrir.

An et Eefje : pas d'éléments

A la question de savoir si l'espoir existe toujours de retrouver An et Eefje vivantes, le procureur Michel Bourlet a dit qu'il n'avait pas d'éléments nouveaux jusqu'à présent et qu'il se refusait à chiffrer en pourcentage l'espoir de les revoir vivantes.
A noter également qu'une nouvelle cache a été découverte à Ransart dans la région de Charleroi. On y a découvert de nombreuses voitures appartenant à Marc Dutroux.
Enfin, de nombreux chiens catastrophes vont être amenés sur les différentes propriétés de Marc Dutroux, afin de localiser une éventuelle présence humaine.

A.D., L.G. et Ph.C.

Témoins de Jéhovah:mise au point

La Congrégation chrétienne des Témoins de Jéhovah tient à préciser que Marc Dutroux et Michèle Martin ne font pas et n'ont jamais fait partie de leur organisation. Bien que Michèle Martin ait étudié, il y a 7 ans, la parole de Dieu, elle n'a jamais démontré son appartenance à la congrégation en se faisant baptiser, et n'a assisté que très rarement aux réunions.
La congrégation ajoute que «toute personne pratiquant les actions révélées par les enquêtes actuelles, concernant ce couple en particulier, ne sera jamais admise au sein de la congrégation chrétienne ».

Editeurs pornos paranos !

M. Tijssen, des éditions « Vaar » à Dordrecht, une des 3 plus grandes maison d'édition pornographiques des Pays-Bas, a déclaré que « ce qui se passe en Belgique est vraiment regrettable.
Ce genre d'affaires n'est pas bon pour notre secteur, et je suis certain que nos publications se vendront moins bien en Belgique dans l'avenir. »
Selon lui, les maisons d'édition officielles ne se hasardent pas dans la pornographie enfantine. Quand il est confronté à des annonces douteuses, que l'on tente de publier dans la rubrique contact de « Vaar », il avertit la police.

Anne Thîly nommée grand officier

Hier, le Moniteur belge publiait l'avis de promotion de Mme Anne Thily, procureur général près la cour d'appel de Liège, nommée grand officier de l'ordre de la Couronne.

La justice liégeoise se trouvait ainsi honorée à son plus haut niveau, le jour même de l'enterrement de Julie et Mélissa.





Silence sur la cité ardente(La Meuse vendredi 23 août 1996)


Silence sur la cité ardente

« La Meuse » du vendredi 23 août 1996 page 12

A 11 heures, Liège, comme les autres villes, s'est recueillie.
Une extraordinaire unité des cœurs


Jeudi sur le coup de onze heures, Liège est restée ville morte l'espace d'une minute. Les ouvriers des chantiers se sont figés tout comme les employés du TEC, les policiers de service, les taximen, quelques badauds.
Le temps d'une pensée émue à l'adresse de Julie, Mélissa et de leurs parents. Si les cloches des églises se sont fait entendre, relayées par les klaxons de voitures, la sirène du palais provincial par contre n'a pas fonctionné. L'explication nous a été donnée par fa Protection civile de Kemexhe qui dépend du ministère de l'Intérieur. En fait,le fonctionnement des sirènes partout en Belgique, est programmé par ordinateur. Elles se mettent a fonctionner les premiers jeudis de chaque mois.Pour changer cette programmation, il aurait fallu un ordre de la direction générale du ministère de l'intérieur.
A Crisnée toutefois, à la caserne de la Protection civile où il subsiste une sirène manuelle, elle a fonctionné à 10 h 45 puis à 11 h 15 pour rendre hommage aux deux petites martyres.

- A Liège-Centre, les volets de la plupart des magasins et entreprises commerciales sont restés baissés de 9 à 12 h. Les rues de l'Université et de la Régence paraissaient désertes. Même la place Saint-Lambert avait perdu son animation habituelle.
Sur les vitrines, certaines affichettes reprenant les photos des fillettes étaient bordées de crêpe. Les drapeaux des administrations, des banques, et autres établissements privés étaient en berne, comme pour un deuil national.

- La petite rue Haute Sauvenière était gravie des avant 9 h par de nombreuses personnes, isolément ou en famille, comme s'il s'agissait d'une voie douloureuse. Beaucoup d'enfants tenaient en main une rose emballée de Cellophane qui devait grossir le flot de bouquets apporté les jours précédents aux familles Lejeune et Russo. - Les écoles du quartier Sainte Marguerite arboraient des drapeaux en berne. A Vottem et sur certains ponts d'autoroute, on pouvait lire sur des calicots sans doute excessifs mais exprimant le traumatisme actuel des Liégeois: « La mort pour les violeurs d'enfants».

- Une famille de touristes japonais se demandait, un peu perdue, place de la République Française, pourquoi les portes de «l'Inno» et d'autres lieux étaient fermées. Il fallut leur expliquer la situation en anglais.

- A l'Ilot Saint-Georges, la plupart des employés de la Ville se trouvant au travail écoutaient sur leurs transistors la retransmission de l'office à la basilique Saint-Martin.

- De 8 h 30 à 10 h, les taxis liégeois prenaient gracieusement en charge dans leur zone ceux qui vouaient assister aux funérailles. Six bus spéciaux du TEC conduits par des volontaires amenaient gratuitement les usagers jusqu'à la rue Léon Mignon.

G.Y.L.

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Manque de correction au tribunal

« La Meuse » du vendredi 23 août 1996 page 12

A Liège, toute la ville avait tenu à manifester son émotion et son soutien aux parents des deux fillettes.
Jeudi matin, au palais de justice de Liège, se tenait une audience de vacations du tribunal correctionnel.

Et... rien ! L'audience s'est déroulée comme si de rien n'était. A onze heures, personne n'a évoqué la possibilité d'une interruption d'audience ou simplement de quelques instants de silence.
Certains diront sans doute que la justice nécessite réserve et sérénité. Mais les circonstances ne pouvaient-elles justifier une exception ?

En attendant, au palais de justice de Bruxelles, plusieurs juges avaient décidé de s'arrêter une minute hier à 11 heures. Dignement.

P.C.

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Micro trottoir

« La Meuse » du vendredi 23 août 1996 page 12

Vers 11 h 30, Geneviève avec un ruban noir sur sa blouse blanche descendait la rue Haute-Sauvenière. Elle aussi revenait de la basilique et devait reprendre le travail à midi « Ce qui me choque le plus ? L'irresponsabilité des hommes politiques. Il y a eu l'affaire Agusta. Il y a eu le Rwanda. Julie et Mélissa aujourd'hui. Les ministres sont là et je veux leur dire qu'ils feraient mieux d'écouter les gens qui sont le terrain et qu'ils leur donnent les moyens de travailler convenablement.
Mais je suis sure que lorsqu'il faudra démanteler le réseau de pédophiles, on ne fera pas diligence. On va toucher à des nantis qui ont le temps de s'adonner à des jeux pervers.
J'ai trois enfants dont une petite Ville de 3 ans qui a été traumatisée par cette histoire.
Mon seul souhait: plus de disparition d'enfants. »

Dans Liège silencieuse, alors que les retardataires montaient la rue Haute Sauvenière, un groupe de jeunes filles descendaient la rue en se tenant par les bras.

Rosa-Linda (15), Audrey (15), Isabelle (16) et Patricia (15) habitent le quartier Saint-Léonard: « Il y a trop de monde. Nous étions là à 10 h et nous avons décidé de rentrer à la maison pour suivre l'office à la TV.
« L a manière dont elles sont mortes, la souffrance qu'elles ont dû endurer, ça nous fait mal et nous sommes révoltées. C'est dégueulasse et nous souhaitons autant de mal à tous ceux qui touchent aux enfants. Toutes, nous avons des soeurs plus jeunes que nous et c'est en pensant à elles que nous sommes allées à l'église. Nous avons déposé nos fleurs et nous rentrons directement à la maison. »

IL était 11 h et ils semblaient un peu perdus. Caroline et Pierre venaient de Ville-Pommeroeul, près de Bernissart, dans le Hainaut, et se rendaient à la basilique avec des fleurs: « Nous n'avons pas d'enfant mais cet événement nous concerne.
Dans le village, tout le monde était bouleversé et nous ne pouvions pas croire ce qui s'était passé c'était horrible. Et que dire des parents que l'on ne voulait pas entendre?
« La pétition, je m'en suis occupée. J'ai récolté la signature de tous les habitants. J'espère que les hommes politiques prendront au sérieux la signification de cette manifestation populaire.
« Nous sommes en retard, mais l'essentiel est d'être là avec ce bouquet offert par le fleuriste de mon village. »

FANY et Charles d'Ivoz-Ramet : parents et grands-parents de sept petits-enfants, ils se rendaient comme beaucoup d'autres à la basilique Saint-Martin.
Profondément touchés par la fin tragique des deux petites filles, ils voulaient rendre hommage et prier avec les parents de Julie et Mélissa : «Nous sommes scandalises par ce qui est arrive et nous pensons beaucoup aux familles des deux petites-filles. « Nous avons sept petits-enfants et nous ne pouvons imaginer qu'ils puissent disparaître dans les mêmes conditions que Julie et Mélissa.

«Alors, dit encore Fany , qu il (Marc Dutroux) aille au trou. Et pas question e liberté conditionnelle, de remise de peine pour les pédophiles et meurtriers d'enfants. »
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Nos lecteurs veulent réagir

« La Meuse » du vendredi 23 août 1996 page 12

Nous publierons chaque jour des extraits des nombreuses lettres signées que nous recevrons
TOUT le pays est écoeuré par les horribles faits de ces derniers jours.

Et nombreux sont nos lecteurs qui veulent faire quelque chose, réagir.
Certains signent la pétition de l'asbl Marc et Corine en faveur de l'incompressibilité des peines (dont nous avons publié le formulaire dans nos éditions de lundi). D'autres nous téléphonent ou nous écrivent. Nous allons ouvrir nos colonnes à ces réactions, à condition qu'elles soient écrites et signées. Vu l'abondance du courrier que nous recevons déjà, nous nous permettrons de ne reprendre que les passages les plus significatifs afin de pouvoir en publier le plus possible.

R. Dupont, de Huy: « Si nous étions au Moyen Age, tous ces enfants seraient toujours en vie car leurs assassins auraient été lynchés et pendus sur la place publique lors de leur premier forfait!
Mais nous vivons au XXe siècle; nous nous entre-tuons toujours avec des guerres sanglantes, mais nous subissons malgré nous des lois stupides comme la loi Lejeune et nos dirigeants remettent en liberté des monstres... Alors à quand un référendum monsieur de Clerck ? »

V. Bleus, de Liège: «J'ai la nausée, j'écume, et pour cause... Vos petites filles, nos petites soeurs fragiles et seules dans leur terreur, qui me plongent dans la douleur, dans la révolte... dans la ran
coeur... »

Le Dr Paul Pierret, médecin généraliste et échevin de la jeunesse et des affaires sociales, à Bertrix
« Devant tant d'atrocité, de cruauté morale et physique, de bestialité humaine, tout individu normalement constitué est pris d'une saine rage. Elle s'amplifie encore lorqu'on voit avec quelle dérisoire facilité ce couple diabolique a berné les représentants de la Justice, qui discutent naïvement de traitement médical, de suivi médico-psychologique et de réinsertion sociale !
Foutaises et balivernes que tout cela, face à la situation.
« Ces criminels monstrueux ne sont pas des malades, mais des pervers incurables et irrécupérables, dont la société doit définitivement se débarrasser, au lieu de vouloir exorciser le mal en les mettant sur le dos des médecins.
« (...) Nous nous trouvons ici devant le crime le plus abominable qui soit, parce qu'il s'attaque aux plus faibles, aux plus Innocents, à l'avenir même de l'humanité: à l'enfance. (...) Toute faiblesse, même inspirée par des motifs philosophiques ou humanitaires généreux, est absolument suicidaire dans ce cas pour la société. »

R.S. de Liège
«Après avoir lu tant de choses sur la réinsertion sociale des détenus et étant veuve d'un ex-prisonnier, je tiens à faire savoir qu'en réalité, rien n'est fait pour eux, au sortir de la prison. Les tuteurs et conditions de réinsertion n'existent que sur papier ! Jamais mon mari n'a été contacté par l'un d'entre eux, il n'a jamais été contrôlé; certes, il n'était pas pédophile, mais il n'y a pas que pour ce genre d'individu que la réinsertion existe. Tous les prisonniers libérés, une fois sortis, n'ont plus qu'à se « débrouiller ». Je serais tout à fait d'accord qu'on nous taxe de 1.000 à 2.000 FB par an, pour aider les enfants et les parents des victimes d'abus sexuels ou de maltraitantes à créer un organisme officiel qui soit réellement en mesure d'aider efficacement les policiers, les enquêteurs et ces pauvres victimes. Qu'en pensez-vous M. le ministre?

A. Walmagh, de Liège
«Je suggère que le Haut Clergé et les Hauts Dignitaires de l'Église envisagent la béatification de nos deux petites Martyres et suppliciées moralement, spirituellement et physiquement afin que leur souvenir se perpétue et reste à jamais inscrit dans nos pensées et ad aeternam. Je souhaite et j'espère que nos deux petits anges seront au plus tôt reconnues comme saintes après les sévices qu'elles ont dû endurer».

Christian Siniul, d'Izier
« Pour ces gens qui dans l'enquête n'ont pas fait correctement leur boulot. Ils ont préféré se taire alors qu'ils avaient d'importantes informations. Cela a été pris à la légère, alors qu'il s'agissait de la vie d'enfants. Qu'ils n'aient plus jamais la conscience tranquille».

Un dame, la voix brisée par les sanglots:
«Je suis handicapée à la suite d'un infarctus. J'aurais tant voulu me rendre au funérarium. Ma souffrance est sans égale. Je souhaite aux parents beaucoup de courage ».

Isabelle Van Geysel, de Waremme :
« Non, il ne faut pas donner la possibilité à de tels individus de récidiver car ils ne bénéficient d'aucune circonstance atténuante. Ils doivent rester enfermes pour que nos enfants puissent encore aller et venir dans nos rues en toute quiétude. Ce ne sont pas nos enfants qui doivent rester chez eux, enfermés. par peur du danger que représentent ces détraqués en liberté ».




Pour les enfants du monde entier(La Meuse vendredi 23 août 1996)


Pour les enfants du monde entier

« La Meuse » du vendredi 23 août 1996 page 11

En nous quittant, Julie et Mélissa ont emporté une partie de nous-mêmes, mais aussi une partie de notre enfance a tous a dit Gabriel Ringlet, lors de l'office

Quelle belle célébration ! Émouvante, digne et populaire.
Dans cette basilique Saint-Martin de Liège, nulle autorité n'avait de place à son nom.
Tous, du plus humble au plus rand, devaient prendre place selon les chaises disponibles.
C'était une volonté des parents: c'étaient les gens qui les avait soutenus durant 14 mois, c'était à eux que revenait cette cérémonie.

« Est-ce que le bon Dieu est sourd? »
C'est vers 11 h 30, sur la superbe musique du film « La leçon de piano », que les deux petits cercueils blancs, surmontent des couronnes des deux frères, entrèrent dans la basilique. Précédé des trois célébrants, Gino Russo s'installa au premier rang, en plaçant son grand fils Grégory et Carine a sa droite. Jean-Denis Lejeune s'assit à ses côtés, son petit arçon Maxime et son épouse Louisa sur sa gauche. Les deux mamans étaient en blanc, le blanc de l'espérance en l'avenir.
Au fond du choeur se trouvaient tous les amis de toujours, les membres du comité de soutien «Julie et Mélissa», les voisins de Mons-Crotteux. A la droite de l'autel, la classe de l'école de Mons-lez-Liège : avec tous les copains des deux fillettes.

C'est un ami de Gino, le prêtre-ouvrier Gaston Schoonbroodt, un ancien conducteur de bus, qui célébra l'absoute, en tremblant d'émotion:
« Est-ce que le bon Dieu est sourd? », lança-t-il d'emblée avec son franc parler.
« Et ce n'est pas un blasphème que de parler ainsi. Ces 14 mois de calvaire insoutenable, et que pourtant vous parents avez soutenu. A quoi ont-ils servi ? »

Reprenant ensuite son calme, il poursuivit : « Que cette célébration ne serve pas à retourner encore le fer dans la plaie. Qu'elle serve d'abord à donner à Julie et à Mélissa la place qui leur revient, qui est aussi celle de tous les enfants du monde.

Les mamans me disaient: «Nos deux petites filles appartiennent aujourd'hui a tout le monde... Mais quand les décideurs tiendront-ils plus compte du coeur des gens ? »

Pour les enfants du monde entier


S'avance alors devant l'autel François Saussus (12 ans), un jeune chanteur namurois qui s'est présenté spontanément, pour interpréter la chanson d'yves Duteil «Pour les enfants du monde entier».
Des minutes d'intense émotion, quand on pense à ces deux petites fillettes assassinées à l'aube de leur vie. Les gorges sont nouées, les mouchoirs sortent de partout.

Gabriel Ringlet, le recteur de l'UCL, reprend ensuite la parole pour dire qu'on ne peut plus accepter cette indifférence, cette intolérance vis-à-vis des plus faibles: « Qui touche aux plus petits des miens mérite qu'on l'attache à une meule et qu'on le jette à la mer. Ce texte est très dur et il est pourtant dans l'Évangile », reprend-il.

« Tout un pays a fait alliance avec nos filles, me disait Gino. En nous quittant, elles ont non seulement emporté une partie de nous-mêmes, mais aussi une partie de notre enfance à tous. »
A la demande d'une des deux mamans, c'est la chanson de Michel Fusain « Où s'en vont les gens qu'on aime?» qui suit l'intention de Gabriel Ringlet.
Elle lui rappelle de bons souvenirs avec sa fille. Carine Russo serre très fort la main de son Grégory, Jean-Denis Lejeune se prend la tête entre les mains.
Nouveau moment d'intense émotion lorsque Anne-Marie Bouzet, la maman de la petite Elisabeth Brichet disparue depuis 1989, monte à la tribune et lance: «Julie et Mélissa, vous êtes les deux petites soeurs d'Élisabeth ! »

Admirables parents
Les textes suivants seront lus ensuite par trois «spécialistes», mais qui sont aussi trois personnes devenues des amis des parents Lejeune et Russo pour les avoir soutenus durant ces longs mois.
Il s'agit du psychothérapeute De Kaiser, du criminologue Daniel Martin et du journaliste José Dessard. Ensemble, ils souligneront l'admirable courage qu'ont sans cesse montré Gino, Carine, Jean-Denis et Louisa

«Il fallait durer. Il fallait défier ceux qui disaient d'attendre sagement. Julie et Mélissa, être révoltés était pour vos parents la seule manière d'être sages et raisonnables. «Nos filles sont toujours vivantes», criaient-ils sans arrêt.
« Cet acharnement était fondé. Ils ont tout fait, ils n'ont rien laissé au hasard face au non soutien judiciaire et au déni d'existence des réseaux de pédophilie qu'on leur a toujours opposé.
« Était-ce une prétention excessive que de demander d'être associés à l'enquête? On a constaté l'incroyable difficulté de dialoguer avec l'appareil judiciaire.

«Julie et Mélissa, vos parents ont porté vos souffrances au même titre que vous. Quand votre agresseur vous disait de vous soumettre, de faire confiance, de vous taire, on disait la même chose à vos parents. Aujourd'hui, vos cris, associés aux leurs, ne pourront plus jamais se taire. »
Gino pleure à chaudes larmes.
Victor Hissel, l'avocat des deux familles, reprend le même thème «Julie et Mélissa, des hommes vous ont soumis à l'agonie pendant que d'autres se croisaient les bras. Alors que vos parents se battaient pour vous ramener à la vie. Alors que, Julie, ton petit frère maxime; alors que toi, Mélissa, ton grand frère Grégory, vous attendaient pour reprendre ensemble vos jeux d'enfants.
« Au revoir Julie et ... » La voix écrasée par l'émotion, il ne parvient pas à finir sa phrase.

Le prochain départ
Baignée dans la musique d'Enya, l'assemblée se recueille en silence. Carine pleure et serre la main de son fils très fort. Jean-Denis aussi. Et c'est le mouchoir à la main que le prêtre-ouvrier Gaston Schoonbroodt reprend la parole : « Il n'y aura plus de grand départ, vers l'Amérique du Sud ou ailleurs (allusion au voyage qu'avaient encore effectue Gino et Jean-Denis, en juillet dernier) Le prochain grand départ sera pour les retrouvailles.

Toute l'assemblée se recueille sur ces paroles. Sur les musiques d'Andréa Bocelli « Con te partiro » et de Céline Dion « Vole », chacun au plus profond de lui-même repense au calvaire vécu ar ces deux petites filles, loin de leurs parents adorés. Et tout le monde est rempli d'émotion. Fait rarissime : même le banc de la presse et les photographes sortent leurs mouchoirs.

Un dernier baiser

A 12 h 40, la cérémonie se termine et c'est le début du long défilé du millier de personnes présentes dans la basilique. Malheureusement, vu le nombre, la foule massée à l'extérieur ne pourra pas venir s'incliner devant les dépouilles.

Les deux familles passent les premières. JeanDenis se penche vers le cercueil de Julie pour l'embrasser et lui dire un dernier petit mot, il fera la même chose pour le cercueil de Mélissa, qui depuis un an est également devenue sa fille. Carine, Gino et Louisa diront également un dernier message à voix basse à leurs filles adorées.
En se rasseyant, Jean-Denis prendra Gino dans ses bras et le serrera très fort, avant de faire de même avec leurs deux petits garçons.

Le long défilé des anonymes durera une heure sur les très beaux chants du choeur de l'Opéra de Liège. A 13 h 30, les deux familles embrasseront le père Schoonbroodt et se tiendront tous par la main pour sortir de la basilique, derrière les deux cercueils.
Les applaudissements qui, spontanément, sortiront du public leur feront esquisser un sourire avant qu'ils ne s'engouffrent dans les voitures du cortège.

Dernier moment terrible: les larmes aux yeux, Jean-Denis Lejeune sortira de la voiture pour étreindre une dernière fois très fort les parents d'An Marchal: «J'espère que pour vous, on la retrouvera vivante... »

Luc Gochel

Solidaires et bouleversés(La Meuse vendredi 23 août 1996)


Solidaires et bouleversés

« La Meuse » du vendredi 23 août 1996 page 10

Des milliers de témoignages de sympathie ont entouré les familles des deux petites filles

C'est une communauté toujours sous le choc, celle de Grâce-Hollogne, qui était là, tôt le matin, pour assister au départ de Julie et Mélissa.

Des amis, des voisins, de simples habitants qui ne pouvaient qu'être présents. « Pour nous recueillir une dernière fois au bout de ces 14 mois d'angoisse que nous avons vécus aux côtés des parents et qui ont débouché sur l'horreur», témoigne l'un d'entre eux.

9 h 30, deux corbillards remplis de fleurs et de peluches suivis de deux Mercedes blanches où avaient pris place les parents et les frères de Julie et Mélissa ont quitté le funérarium pour se rendre à la petite église de Mons-lez-Liège.
Là s'est déroulée une cérémonie en présence des familles et des proches.

Tout le temps qu'aura duré ce moment privé de la cérémonie, de très nombreuses personnes sont restées aux abords du funérarium, attendant le retour du cortège et la levée officielle des corps. Une attente qui s'est effectuée dans le recueillement, alors que les deux camions des pompiers et quatorze corbillards se couvraient littéralement de fleurs.

40.000 bouquets !


Ce sont des milliers de couronnes et de bouquets qui ont été déposés ces derniers jours, et il en arrive encore. Certains parlent même de 40.000!

« Nous voulons rendre hommage aux parents. Quel que soit le geste, aussi petit soit-il, il doit servir à empêcher qu'une telle monstruosité ne se répète. »

« Plus jamais cela. »

« Il y a une place des Martyrs à Grâce-Hollogne. Dorénavant, il faudra l'appeler place du martyre de Julie et Mélissa afin que personne n'oublie jamais ces fillettes que l'on a fait mourir plusieurs fois. Mais surtout pour que les enfants à venir demandent qui sont Julie et Mélissa et que nous, les adultes, puissions leur raconter leur histoire et les mettre en garde», propose une dame qui a peine à cacher son émotion.

Elle n'est pas la seule. Autant les hommes que les femmes, heureusement moins les enfants, ont le visage fermé.
Lorsque le convoi funèbre revient pour la levée officielle des corps, l'émotion est encore plus perceptible.
Les gorges se serrent, les yeux s'embrument, beaucoup adressent un signe aux cercueils des deux petites filles.
L'arrêt du cortège sera bref et lorsqu'il s'ébranlera à nouveau, ils seront nombreux à l'escorter un peu. Une marche silencieuse, les premiers pas d'un long voyage.

Beaucoup d'enfants

Pendant ce temps, à Liège, la foule s'était amassée dès 7 heures aux abords de la basilique Saint-Martin, dans une rue assez exiguë. Le cortège arriva avec une demi-heure de retard et les parents furent chaleureusement applaudis à leur arrivée.

Seules 1.000 personnes purent entrer dans la basilique tandis que des milliers d'autres attendaient à l'extérieur. Elles pouvaient suivre la cérémonie sur un écran géant installé près du parvis. Dans la foule et à l'église, de nombreux enfants: c'est aussi leur histoire.

A 13 h 30, une fois la cérémonie terminée, les deux cercueils blancs sortirent les premiers et prirent place dans les deux corbillards. Avant de démarrer,Jean-Denis Lejeune serra encore très fort les parents d'An. Marchal en les encourageant â garder espoir.
Le long cortège descendit alors la rue Saint-Laurent sous les applaudissements avant de repartir par l'autoroute jusqu'au petit cimetière flémallois.

Intimité

C'est au petit cimetière de Mons-lez-Liège situé en bordure de la cité Beulers que les cercueils de Julie et Mélissa ont été déposés côte à côte.
Conformément à la volonté de leurs parents, seuls la famille et les proches figuraient dans le cortège ayant quitté le Mont Saint-Martin pour le cimetière.

Lorsqu'il s'est présenté peu après 14 h, les habitants de la cité attendaient, silencieux, celles qui allaient dorénavant reposer près d'eux.
Le temps de la cérémonie, ils resteront en retrait, conservant précieusement a photo-souvenir de Julie et Mélissa que l'on vient de leur remettre. C'est seulement après le départ des parents qu'ils se sont avancés dans un cimetière couvert de fleurs.

Julie et Mélissa étaient amies dans la vie, elles ont été unies dans la mort.

Elles reposent aujourd'hui ensemble, et pour toujours.

L.G. et Francine Hendrick

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10000 personnes entre révolte et dignité

« La Meuse » du vendredi 23 août 1996 page 10


Entre 8.000 et 10.000 personnes se sont spontanément présentées aux abords de la basilique Saint-Martin pour assister aux funérailles de Julie et Métissa.

Dès 7 h, de nombreux anonymes sont arrivés aux abords du lieu saint. D'autres, voulant absolument assister à la cérémonie avaient même passé la nuit dans leur voiture.
L'atmosphère est au recueillement, même si, par-ci par-là, quelques personnes lancent encore des propos sévères à l'encontre des pédophiles et de la justice.

L'ambiance est lourde et la population arrive peu a peu. De 3.000 à 4.000 personnes, les compteurs de la police augmentent pour s'arrêter finalement à une estimation de 8.000 à 10.000 personnes. L'annonce de la retransmission télévisée des funérailles ayant ravisé plus d'un. Toutes sont dignes et respectueuses.

Vers 10 h, les parents d'An Marchal arrivent devant la basilique. Ils seront accueillis par une véritable ovation. Tous deux ont les larmes aux yeux. Ils entrent ensuite dans la basilique sous le regard compatissant de la population. Vient ensuite une délégation de tous les corps de pompiers du pays. Il y en a de Theux, de Flémalle, de Charleroi, de Spa, de Mons, de Namur, de Hasselt, de Wavre et bien entendu de Liège.
Ils seront bientôt suivis de Mme Anne Thily, procureur général de Liège, et de M. André Hinnesdael, commissaire en chef de la PJ de Liège. Eux aussi seront applaudis par la foule. Quelques minutes plus tard, les représentants du gouvernement fédéral arrivent à leur tour. Les ministres De Clerck et Flahaut ne seront pas accueillis chaleureusement.
Que du contraire. Huées et cris hostiles retentissent dans une atmosphère de plus en plus lourde.

67 chaînes de TV

Tout rentre cependant vite dans l'ordre avec l'arrivée presque simultanée de Marie
France Botte, Claude Lelièvre et Victor Hissel, l'avocat des parents de Julie et Mélissa. Les huées se transforment en bravos, vivats et cris d'encouragement.
Anne-Marie Lizin sera, elle aussi, applaudie, mais demandera à la foule de se taire et de se recueillir.
Une volonté qui sera respectée. En effet, le silence est de mise lorsque, à 10 h 55, le glas se met à sonner. On entend juste les bruits des hélicoptères qui survolent la basilique.
Une demi-heure plus tard, le cortège funéraire arrive lentement. Entourés de policiers, deux véhicules de pompiers sont garnis de couronnes de fleurs. Ils devancent quinze corbillards ornés de fleurs et de petits nounours.
Les mouchoirs sortent des poches, les sanglots se font plus bruyants. Nul n'est indifférent. Très marqués, les parents des deux fillettes sortent de deux voitures blanches qui suivent les petits cercueils immaculés.
Certains sont pétrifiés, d'autres applaudissent, ils espèrent que cela réconfortera les deux familles éplorées.
L'office commence alors. Il est retransmis à l'extérieur sur un écran géant et grâce à des baffles puissants.

La Croix Rouge et la Protection civile sont a pied d'oeuvre. Le soleil, la chaleur, le chagrin...
Des personnes s'évanouissent, d'autres sont déshydratées. Heureusement, tout a été prévu : la Protection civile a emmené 4.000 berlingots d'eau. De quoi soulager la soif de l'assistance, mais aussi des journalistes de 67 chaînes de télévision.

« Tenir bon »

Le célébration d'adieu terminée, particuliers et personnalités quittent la basilique.
Tous sont marqués. Les yeux rougis par les larmes, ils s'expriment tant bien que mal.

Ainsi par exemple, M. Malmendier, de l'A.S.B.L. Marc et Corine et papa de cette dernière, cache difficilement sa peine : « Elle est la même que lorsque j'ai appris le décès de Marc et Corine. Je suis là pour Julie et Mélissa, pour partager la peine des parents (...). Le problème, c'est qu'en Belgique, on ne veut pas se donner les moyens d'avoir une politique carcérale normale. En outre, on a une justice lente et ankylosée. »

Herman De Croo, président du VLD, a également fait le déplacement jusqu'à Liège
« Je suis là à titre personnel. Je me sens concerné comme des millions de parents et de grands-parents. Nous avons souvent proposé que les remises de peines ne soient plus accordées par le ministre de la Justice, mais par des juges.
Nous allons recommencer. J'ai voté contre la suppression de la peine de mort et pour l'instauration de peines incompressibles. Il faut réfléchir lorsqu'on prend des décisions. »

Membre de l'A.S.B.L. Marc et Corine, M. Renardi est également présent. «Je suis venu soutenir les familles. Je sais que ce sont des moments très durs. Ma fille Nadine a disparu le 18 août 1985. On l'a retrouvée morte 8 mois plus tard. Il faut beaucoup de courage, il faut tenir bon, puiser dans ses réserves et ne pas laisser tomber les bras. Onze ans après la mort de ma fille, je ne sais toujours pas regarder les albums de famille.

Jean-Michel Crespin

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Pourvu qu’An et Eefje aient pu voir Julie et Mélissa

« La Meuse » du vendredi 23 août 1996 page 10

Il est 10 h 05, la foule, jusque-là silencieuse, se surprend soudain à applaudir à tout rompre. Les parents d'An Marchal, disparue avec Eefje, à Ostende, viennent d'arriver.
On se doute qu'ils auraient préféré ne pas être là et assister à un enterrement, un an, jour pour jour, après l'enlèvement de leur fille

Nous avons absolument tenu à être présents, expliquent Paul et Betty. C'est la seule chose que nous pouvions faire pour les parents de Julie et Mélissa. Nous sommes maintenant des amis et on doit tout faire pour les aider. Pour nous, c'était vraiment très important. Ces applaudissements nous aident aussi. C'est comme une batterie vide qui se recharge.

Nous gardons évidemment espoir, même si M. Bourlet nous a téléphoné ce matin pour nous dire qu'il n'y avait rien de neuf. »

Paul et Betty Marchal émettent un souhait :

«J’espère, explique Mme Marchal, que An et Eefje ont vu Julie et Mélissa lorsqu'elles étaient détenues. Si tel a été le cas, elles leur auront au moins dit que leurs parents les recherchaient et les aimaient beaucoup.»

J.-M.C.

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