mardi 22 juillet 2008

Nous avons peur le soir('DH'29 août 1996 p4)


Nous avons peur le soir

«La Dernière Heure» du jeudi 29 août 1996 page 4


DES JEUNES ÉTAIENT INVITÉS PAR LA DERNIÈRE HEURE À ÉVOQUER LE DANGER QUE REPRÉSENTENT LES PÉDOPHILES

BRUXELLES - « Pourquoi, quand on a enlevé An et Eefje, les gens n'ont pas bougé ? Pourtant ils ont vu qu'on les poussait dans un camion. »

L'étonnement de Maya, 11 ans, ouvre le débat. Autour d'elle, à la table de discussions, quatre garçons de son âge, Jérémie, Rahaël, Maxime et Johnny. Et, dans le rôle de l'animateur, Emmanuel de Becker, pédopsychiatre de l'équipe SOS-enfants de St-Luc à l'UCI, qui n'a guère eu voix au chapitre, tant les interventions se sont succédées à un rythme soutenu, en témoignent ces quelques extraits de plus d'une heure d'échanges.

- Maxime : « Mais, Maya, si les gens n'ont rien fait pour An et Eefje, c'est peut-être qu'ils avaient peur. De se faire attaquer. On ne sait jamais, ils étaient peut-être armés. Et puis, les voisins de Dutroux aussi, ils savaient, lis ont tout vu, tout entendu. Mais ils n'ont jamais rien dit.

- Jérémie : « Ce qui est dégueulasse, c'est ce qu'ils ont dit aux enfants. Quand ils venaient voir Laetitia et Sabine, ils leur racontaient que leurs parents ne voulaient plus les revoir et qu'ils ne voulaient pas payer la rançon. Et les policiers, ils n'ont pas toujours bien travaillé. Un jour, il y a un prisonnier qui leur a dit qu'il leur donnerait des renseignements s'il était libéré. Il ne fallait peut-être pas le relâcher, mais il fallait au moins essayer de le faire parler. »

- Maya : « 1l fallait le menacer. Et il paraît qu'en prison, on n'aime pas les pédophiles, alors on n'avait qu'à lui dire que, s'il parlait, il ennuyait un pédophile. »

Honte devant les gens

Le mot est lâché, ce que n'a pas manqué de relever Emmanuel:
« Mais c'est quoi, exactement, un pédophile ?»

- Raphaël : « C'est quelqu'un qui viole des enfants. »

- Jérémie : « Et qui fait des films pornographiques. »

- Maya : « lis font ça aussi pour de l'argent. Parfois, ils ont 500.000 francs pour un film. »

-Jérémie : « Et même un million. C'est énorme. Moi, avant, j'étais pour la peine de mort avec ces gens-là.
Mais maintenant, je me dis que cela ne sert à rien. »

- Maya : « Et ils prennent presque toujours des filles. »

- Johnny : «lci, ce sont surtout des hommes qui font ça. Mais en Amérique, il y a aussi des femmes. »

- Maxime: « D'ailleurs, Dutroux, il avait sa femme avec lui. »

- Johnny : « Le problème, c'est qu'on a trop peur pour aller raconter ce genre de trucs quand ça arrive. Si on essaie d'en parler, on a honte devant les gens. Le plus grave, ce sont les parents qui donnent leurs enfants aux pédophiles

Quand Emmanuel tente de cerner les sentiments qui s'agitent dans leur tête à la vue de Dutroux et consort, la réponse fuse : « On a peur »

- Maya : « J'ai peur de sortir toute seule.

-Maxime : « Moi, c'est surtout le soir dans mon lit que j'ai peur. De la journée, ça va. Mais le soir... »

- Jérémie : « Moi aussi, quand je me couche, je mets ma tête sous les couettes dès que j'entends du bruit.

- Raphaël : « Moi, je me cache dans les coussins.

- Jérémie : « Pour nous, c'est mieux. Mais ça ne change rien pour eux. Eux, ils savent quand même qu'on est là, qu'on est sous les couvertures. Quand j'ai vraiment trop peur, je vais dans le lit de mes parents. Et je laisse un orteil contre leur peau. ».

A chacun son truc
Une réaction épinglée par Emma n u e I : « C'est une bonne idée de se donner des trucs pour se rassurer. Vous en avez d'autres ? » Leur imagination a déjà bien travaillé.

- Johnny : « Moi, je prends des cours d'arts martiaux. Cela aide,parce qu'on se sent plus fort.

- Maya: « Quand je suis toute seule pour rentrer chez moi, je change de trottoir souvent. Ma rue est vide et il ne passe presque personne.

- Raphaël : « !I faut prendre !es sens uniques, comme ça, s'ils te suivent en voiture, ils doivent faire tout un tour et ils ne savent pas te rattraper.

- Jérémie : « Si je vois quelqu'un de suspect, je fais demi-tour, pour rentrer à la maison. De toute façon, je vais vite, avec mes rollers. »

- Johnny : « ll faut quand même faire attention : tous les gens dans la rue ne sont pas tous méchants.

- Maya : « Oui, mais il y en a. Moi, une fois, j'ai été suivie par un type qui m'a dit: Bonjour, comment ça va ?.
Il m'a pose une question, je n'ai pas répondu et j'ai continué à marcher. Heureusement, il ne m'a pas suivie.

- Jérémie : « C'est pour ça que nos parents sont plus sévères. Pendant les vacances, je suis allé à Knokke et je ne pouvais pas sortir comme les autres années. Je trouvais qu'elle avait raison. Pour nous, c'est pas juste, mais pour les parents, c'est bien. Le problème, avec les adultes, c'est qu'ils ont peur, comme nous. Mais ils n osent pas le dire. Ils se disent : Qu'est-ce que nos enfants vont penser si on le montre ?
C'est un tort. Ils ne doivent surtout pas avoir honte de leur peur...

Propos recueillis par Véronique Lamauin
____________________

EN PARLER ? OUI MAIS...

Déjà - trop - bien informés

«La Dernière Heure» du jeudi 29 août 1996 page 4

BRUXELLES - Ils n'ont peut-être pas encore quitté les bancs de l'école primaire mais ils sont déjà des téléspectateurs assidus des JT. Il suffit de les écouter parler de l'enquête pour se rendre compte à quel point leur jeune mémoire enregistre ces comptes-rendus d'horreur.
Ainsi Jérémie n'ignore-t-il pas que « Weinstein avait déjà enlevé deux garçons et une fille, qu'il avait attachés avec des chaînes. Heureusement, la fille était mal attachée, elle a pu se libérer, aller prévenir la police. Ils ont arrêté Weinstein mais il leur a dit qu'ils avaient pris les jeunes parce qu'ils avaient volé des voitures. »

Et de s'étonner : « Comment ont-ils pu le croire : ce n'est pas possible de voler des véhicules à leur âge. » Jérémie comprend encore moins que « à la sortie du tribunal, Sabine et Laetitia se sont jetées dans les bras de Dutroux. Pourquoi ?

Maxime s'indigne quant à lui des conditions de détention des petites victimes. « Elles étaient enfermées dans une toute petite cave, il faisait noir. La seule chose, c'est qu'elles avaient des jeux vidéo. »

Maya pense quant à elle au calvaire de Julie et Mélissa. «C'est horrible, elles sont mortes de faim. Et il y en a une qui a vu mourir l'autre. Pourtant, Dutroux avait demandé à quelqu'un de leur demander à manger. »

Jérémie a quant à lui entendu hier que « Dutroux avait enterré cinq filles vivantes. Ou alors qu'elles ont été envoyées dans les pays de l'Est.

Gare à la surinformation
« Mais vous êtes super-informés », s'exclame Emmanuel. « Forcément. Il n`y a plus que ça à la télé », lui répond Jérémie.
« Leurs réactions mettent en évidence le risque de surinformation que courent tous les enfants. Dans certaines familles, tout le monde fait silence devant les bulletins d'information. Et après, on n'en parle pas.
Or, il faut en discuter, il faut décortiquer les images et les commentaires. » Le pédopsychiatre lance dès lors une mise en garde: « Sans quoi, les jeunes risquent de ne plus se retrouver dans cette avalanche d'information. Certains finiront par perdre tous leurs repères. Ils ne sauront finalement plus qui croire.

Et Emmanuel de Becker de lancer un appel aux parents : « S'il vous plaît, nouez le dialogue avec les enfants. Laissez-les parler, sondez. Pour voir ce qu'ils ont compris. » A côté de cela, les pères et mères doivent quelques explications à leur progéniture. « Il faut qu'ils disent pourquoi ils sont plus sévères qu'avant. Ce qui les amènera à livrer leurs sentiments, à oser avouer leur colère, leur tristesse, leurs craintes. »

V. l.
__________________________

Eric Derycke plaide pour une Cour criminelle internationale

«La Dernière Heure» du jeudi 29 août 1996 page 4

STOCKHOLM - Programmé de longue date - tout comme la participation belge à Stockholm – le Congrès mondial contre les abus sexuels des enfants a cependant pris, on s'en doute, un tour très particulier, en raison du sinistre dossier Dutroux.
A Stockholm, on ne parle évidemment plus que de ce scandale belge dans les couloirs du congrès et l'intervention du ministre des Affaires étrangères,Eric Derycke, qui devait prendre la parole après le Dr Peter Piot, notre compatriote qui dirige le programme sida des Nations-Unies,était hier particulièrement attendue...
Je m'adresse à vous, au nom de la Belgique, a déclaré le ministre devant une assemblée composée de délégués du monde entier, un pays qui vient de vivre un immense deuil, un immense traumatisme », ajoutant que nous ne pouvons plus nous cacher « derrière des statistiques, ou des rapports sur des situations de violation des droits de l'enfant commises à l'autre bout du monde. Nous vivons tous, aujourd'hui en Belgique, dans l'ombre de l'infamie et de l'horreur ».

Plaque tournante
A Stockholm, le ministre devait encore préciser sa crainte de voir la Belgique, au carrefour de l'Europe, devenir une « plaque tournante de la criminalité internationale, dont l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales est l'un des aspects les plus choquants ».
Dans ces circonstances difficiles, notre pays entend néanmoins se profiler comme tête de pont de a lutte mondiale contre ce fléau qu'est la pédophilie : le ministre compte bien, à cet effet, donner de la voix pour qu'en Europe une véritable solidarité et une coopération multilatérale s'instaurent. « Un tel sujet trouverait sa place dans les négociations en cours à New York sur la création d'une Cour criminelle internationale ».

Un tribunal où les pays qui laisseraient encore faire seraient mis à l'amende....
C'est devant un mur de caméras que le ministre a, plus tard, développé son idée d'un système répressif mondial, au cours d'une conférence de presse ou il eut le délicat privilège de parler au nom de la Belgique. Sa critique fut amère : « Ce qui vient de se passer est aussi le résultat d'un système ultra-libéral poussé à l'extrême, où tout est possible, où tout devient marchandise, même le corps d'un enfant ».
Les circonstances difficiles que nous vivons sont l'occasion de rappeler que cela peut se passer n'importe où, même en Europe, en Europe de l'Ouest, même en Belgique, où les parents protègent naturellement leurs enfants, une telle criminalité peut nous affecter ».

En attendant, vendredi, au conseil des ministres, Eric Derycke, aux côtés du ministre de la Justice Stefaan De Clerck, présentera un programme en cinq points à une assistance préventive et curative aux victimes, une responsabilisation des magistrats pour l'exécution des peines, les moyens de traiter les détenus, en prison, une meilleure coopération judiciaire, et le problème d'Internet (selon les experts, un million d'images pornographiques et 40 millions de pages d'Internet sont actuellement consacrées à la pornographie enfantine) seront à l'ordre du jour.

Dans la capitale suédoise, le congrès a rejoint le ministre, adoptant une déclaration et un plan d'action pour étendre la répression à l'encontre des marchands de sexe, qui maintiennent des centaines de milliers d'enfants en esclavage.
Les 1.200 participants appellent les Etats à mettre en œuvre un plan national d'action d'ici l'an 2000 (comprenant la création de banques de données) et à criminaliser davantage ces activités illicites.

N. F.
_________________________


LE TROUBLANT AVEU DE L'ANCIEN JAMES BOND

Roger Moore reconnaît avoir été victime d'abus sexuels


«La Dernière Heure» du jeudi 29 août 1996 page 4

STOCKHOLM - « J'ai été victime d'abus quand j'étais enfant –cela n'a pas été grave- mais je ne l'ai pas dit à ma mère avant l'âge de 16 ans, parce que j'avais le sentiment que c'était quelque chose dont je devais avoir honte », a déclaré mardi à l'APTV l'acteur britannique Roger Moore.

Celui qui fut dames gond à l'écran est aujourd'hui âgé de 68 ans et se trouve à Stockholm pour participer en tant qu'ambassadeur de bonne volonté de l'Unicef aux travaux du congrès mondial consacré à la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants.

Eliminer tout sentiment de culpabilité chez l'enfant

J'avais le sentiment d'avoir fait quelque chose mal. Je n'avais rien fait de mal », a souligné Roger Moore sans toutefois donner plus de précision sur la nature de cet incident dans son enfance.
Nous devons absolument éliminer tout sentiment de culpabilité dans l'esprit de l'enfant. Il faut qu'il sache que ce sont eux (les auteurs d'abus) les responsables, ce sont eux qui font quelque chose de mal.
Nous devons dire aux enfants qu'ils sont exploités », a encore dit Roger Moore.

Pourquoi Dutroux a tué Weinstein('DH'29 août 1996 p3)


Pourquoi Dutroux a tué Weinstein

LE COMPLICE ASSASSINÉ EST-IL L'INDIC ?

Les raisons du règlement de comptes

«La Dernière Heure» du jeudi 29 août 1996 page 3

BRUXELLES - Le document, révélé la semaine dernière par RTL TVi, démontrant que les forces de l'ordre étaient au courant depuis fin 93 (soit deux ans avant l'enlèvement de Julie et Melissa) des projets monstrueux de Marc Dutroux, pose une interrogation. Qui a pu informer la BSR de Charleroi que «l'intéressé (Marc Dutroux) était occupé à faire des travaux dans les caves d'une de ses maisons de Charleroi (...) dans le but d'y mettre des enfants en attente d'être expédiés à l'étranger » ?

Réponse évidente : un proche de Dutroux au courant de ses faits et gestes. Un homme est tout désigné: Bernard Weinstein, le truand français dont le cadavre a été retrouvé dans le jardin de Dutroux, à Sars-la Buissière, à proximité des corps des deux fillettes de Grâce-Hollogne.
L'hypothèse tient la route. En 1993, Weinstein aurait balancé Dutroux pour la construction des geôles dans les caves. La BSR de Charleroi en prend bonne note... Quinze jours après l'enlèvement de Julie et Mélissa, soit deux ans plus tard, en juillet 95, un document confidentiel est transmis à Liège, faisant état des activités et du passé de Dutroux. Un autre suivra, précisant la manière avec laquelle l'intéressé s'y prend pour les rapts d'enfants. Pour sa rédaction, les enquêteurs carolos ont rencontré à nouveau un indic.
Est-ce toujours Weinstein, qui joue l'agent double?

Aveux orientés
Fin 95, après l'affaire du vol de camion et des séquestrations, et juste avant son incarcération, Dutroux aurait liquidé Weinstein.
Parce qu'il voulait me doubler », dit-il. Dans l'affaire du trafic de véhicules ? Dutroux, plus simplement, n'a-t-il été prévenu que Weinstein l'avait vendu aux enquêteurs dans le dossier des enlèvements? Probable...
Les derniers aveux de Dutroux, qui mène les enquêteurs dans la propriété de Weinstein pour désigner des endroits peu précis, montrent apparemment que le monstre de Sars la Buissière a bien l'intention de charger son ex-complice. Quitte à se décharger sur lui des pires crimes. Weinstein, lui, est mort et ne parlera plus.

Cache isolée
Les enquêteurs se posent aussi beaucoup de questions à propos de la conception et de la réalisation de la cache découverte chaussée de Philippeville à Marcinelle enlevées par la bande Dutroux.
Certains avaient avancé que l'intervention de chiens aurait permis de retrouver rapidement les enfants. Rien n'est moins sûr. Selon les détails techniques que l'on commence à connaître, il apparaît que Dutroux s'attendait apparemment à des fouilles assez poussées. Il avait notamment installé un système de ventilation d'air en hauteur, pour extraire l'air vicié et le renouveler
Les enquêteurs pensent que ce dispositif aurait empêché les chiens de repérer quoi que ce soit.

Par ailleurs, la cache elle-même était tapissée de plaques isolantes, sans doute pour empêcher des opérations de forage de recherche, voire l'utilisation de micro caméras de repérage.
La fermeture de la cache était, elle aussi, élaborée. La porte était dissimulée derrière une armoire, on le sait, mais aussi mue par deux systèmes, l'un hydraulique, l'autre faisant appel à des poulies.
Les enquêteurs restent persuadés que Dutroux avait les compétences pour réaliser le travail.
Et pour imaginer le système ? Ici, ils en doutent et relèvent que l'un des membres de la bande (qui ?) avait une formation d'ingénieur civil.

A. D. et B. F.
____________________________

CONSCIENCE

Une cause maudite

«La Dernière Heure» du jeudi 29 août 1996 page 3

NEUFCHÂTEAU - Depuis plusieurs jours apparaissent clairement les difficultés, pour Marc Dutroux, de trouver un avocat. A l'heure actuelle se pose effectivement une question lancinante : qui va le défendre ?
Où plutôt, qui est prêt à le défendre ? Ce n'est guère un secret de polichinelle, personne, pour l'instant, ne souhaite plaider la cause Dutroux. A commencer par Me Didier De Quévy, qui l'avait pourtant défendu en
1989, lors de son procès où, déjà, il était question d'enlèvements, de séquestrations et de viols.

"Être avocat c'est avoir des obligations, explique-t-il. Mais je suis aussi père de famille. J'ai une petite fille de l'âge de Julie et Melissa. J'en ai discuté avec elle et cela me pose un problème de conscience.
J'ai juste accepté un mandat limité qui consistait à écrire au juge d'instruction dans le cadre d'une demande de désignation d'un collège d'experts psychiatres. Pour cela, je l'ai vu en prison vendredi dernier. C'est tout, je lui ai dit que je n'en ferai pas plus. Mais il a le droit d'être défendu comme tout le monde.

Pression populaire
Ce problème de conscience, il est également soulevé par le bâtonnier du barreau de Neufchâteau, là où l'on instruit l'affaire. Le climat de choc dans lequel la Belgique est plongée depuis bientôt près de quinze jours maintenant n'est évidemment pas étranger à ce qui pourrait devenir un cas d'école si nul ne se résout à se saisir du dossier Dutroux.
La pression populaire est telle que l'on évoque, du côté des barreaux, les actes irréfléchis de certains adeptes des pratiques judiciaires ancestrales.
Et les conséquences familiales ou autres imputables à cette envie de faire justice à sa manière.
C'est synonyme de monter aux barricades, explique Me Poncelet, bâtonnier à Neufchâteau jusqu'au
1er septembre. Le code prévoit que lorsqu'un détenu n'a pas d'avocat, il peut demander au bâtonnier de lui en commettre un d'office.
Nous avons reçu une demande de ce type de M. Dutroux. Nous sommes en train de l'examiner. Si personne n'intervient, nous désignerons effectivement d'office un avocat.
Mais ce dernier, s'il présente au bâtonnier des motifs valables touchant sa conscience peut refuser.
Vous imaginez la pression autour de ce procès. Ce sera loin d'être évident. Le conseil en charge de la défense de M. Dutroux devra avoir les reins très solides. Il doit cependant bien exister quelqu'un en mesure de prendre ce dossier...
A l'heure actuelle donc, le bâtonnier de Neufchâteau n'a pas encore communique sa décision.
Certains actes de la procédure judiciaire nécessiteront cependant la présence d'un avocat. Mais, jusqu'ici, on ne semble passe bousculer au portillon...

N. Dr
________________________

Croire en la justice ?

«La Dernière Heure» du jeudi 29 août 1996 page 3


L'ÉDITORIAL DE PAUL MASSON

On a appris que, demain vendredi, le ministre de la Justice présentera au conseil des ministres une série de mesures destinées à remédier, entre autres, aux faiblesses du système de libération conditionnelle et à la répression des abus sexuel sur les mineurs.
II ne s'agit pas encore des réformes fondamentales qui devront intervenir, à la suite des épouvantables révélations de ces derniers jours. Ces réformes devront être décidées dans une certaine sérénité et en dehors de toute précipitation; mais le délabrement de la justice tel qu'il apparaît aujourd'hui exige qu'elles ne soient ni éludées ni remises aux calendes grecques.
C'est un travail supplémentaire que le gouvernement a sur la planche; la pression de l'opinion publique le contraint de s'y atteler sans tarder.

Ceci dit, il faut rendre au PRL ce qui lui appartient : dans son programme électoral de l'année dernière, il n'avait pas attendu l'émotion et la colère actuelles pour constater que la justice n'avait plus la confiance du citoyen et préconiser sa modernisation et le renforcement de ses moyens d'action.

Parmi les mesures proposées à l'époque par les libéraux francophones figurent:
- l'augmentation de certaines peines pour les coupables d'infractions odieuses telles que les violences et les assassinats commis sur les enfants, les vieillards, les membres des forces de l'ordre et les travailleurs exposés;
- l'établissement de peines incompressibles de longue durée pour les crimes les plus graves;
- la modification de la loi Lejeune et la limitation stricte des possibilités de congé pénitentiaire et de libération conditionnelle des condamnés pour des actes de violence contre les personnes.
Ce n'est donc pas par opportunisme, mais après de mûres réflexions et dans le souci de protéger la société en faisant prévaloir la sécurité publique sur les droits individuels des condamnés, que le PRL s'exprime aujourd'hui comme il le faisait hier.
A la différence des partis de la majorité, jusqu'ici très discrets sur le sujet, après quatre années de sur-place du ministre Wathelet et qui bougent enfin, sous la pression des événements.
Le Premier président de la Cour de cassation française a dit un jour que « même lorsqu'ils disent ne plus croire a rien, les hommes continuent à croire en /a Justice ». Nous nous trouvons, aujourd'hui en Belgique, dans l'obligation de faire cette terrifiante constatation que le citoyen en arrive à ne plus croire à la justice.
Et qu'un procureur du Roi dise en public qu'il fera la vérité à tout prix sur une affaire qui glace les esprits les moins sensibles, « si on le laisse faire »...
________________________

Meurtre en Slovaquie ?

«La Dernière Heure» du jeudi 29 août 1996 page 3

BRATISLAVA - Marc Dutroux est soupçonné du meurtre d'une jeune Slovaque, a annoncé mercredi le chef du bureau slovaque d'Interpol, Rudolf Gajdos. Celui-ci a déclaré que Dutroux était également soupçonné d'avoir préparé l'enlèvement d'au moins une autre Slovaque.

Mais il s'est empressé d'ajouter qu'en l'état actuel des choses, des preuves manquent encore pour accuser formellement Dutroux d'agissements criminels en Slovaquie. Seules existent de fortes présomptions.
Ainsi, « une des hypothèses de la police dans l'affaire du meurtre d'une jeune tzigane, en juillet de cette année à Topolcany, dans l'ouest de la Slovaquie, est que Marc Dutroux pourrait y être impliqué », a dit Gajdos sans préciser l'âge de la victime.

Portrait-robot du coupable
Une des raisons qui étayent cette hypothèse est la ressemblance de Dutroux avec un portrait-robot du coupable présumé.
Le chef d'Interpol-Slovaquie a expliqué que le portrait-robot du meurtrier de la jeune Tzigane correspondait « à 60 % » à celui de Dutroux et que ce dernier s'était rendu à Topolcany à l'époque du meurtre.
Par ailleurs, un témoignage d'une personne qui aurait été complice de Dutroux laisse supposer que le Belge aurait violé une femme à Trencin, une autre localité de l'ouest du pays.
La police belge nous a aussi informés que Dutroux et un autre homme avaient aussi envisagé l'enlèvement d'au moins une Slovaque », a dit encore dit le représentant d'Interpol.
Il apparaît certain que Dutroux et ses complices ont eu de multiples contacts avec des jeunes filles en Slovaquie, mais apparemment il ne s'agissait pas de mineures d'âge.
___________________

NOUVELLE JOURNÉE D’ATTENTE À HASSELT

Le calvaire de Pol et Betty Marchal continue

«La Dernière Heure» du jeudi 29 août 1996 page 3

HASSELT - Attendre, encore attendre des nouvelles informations. Bonnes ou mauvaises, pourvu qu'on découvre la vérité, a-t-on envie d'écrire. Voilà à quoi se résume le calvaire des parents d'An.
Les journées passent et se ressemblent dans la maison des Marchal. On sursaute à chaque sonnerie de téléphone, toujours à l'affût de nouvelles informations en provenance de fumet ou de Neufchâteau.
Et si la télévision fonctionne en permanence, ils ont appris à leurs dépens qu'il ne faut écouter que les informations transmises officiellement par le procureur du Roi Bourlet. Rien n'est plus douloureux pour eux que de vivre l'impatience des mots.
Tressaillir face aux rumeurs et aux nombreuses supputations avancées par les uns et les autres.
Inlassablement, ils continuent de recevoir patiemment les journalistes qui font le pied de grue devant leur maison. Ceux-ci font désormais partie intégrante du paysage. Un modus vivendi s'est installé entre les médias et la famille Marchal : «Quand on sait quelque chose, on vous prévient », a déclaré le papa de An. Dans la rue bordée de champs de maïs, « la circulation s'est faite plus dense ces derniers jours », nous confie un voisin. Les voitures passent, ralentissent u n peu et regardent cette façade qui présente comme seul ornement les photos des deux adolescentes disparues il y a plus d'un an. Les quelques passants, qui se promènent malgré la pluie, affichent une mine de circonstance. Leur regard, parfois curieux, est souvent rempli de compassion.
Comme on peut l'imaginer, tout le monde soutient Pol et Betty dans ces moments particulièrement difficiles. Beaucoup de proches se déplacent, comme pour témoigner d'une volonté indestructible de refuser la fatalité.
Entre espoir et abattement.

« Pool est très fort »
Dans la maison voisine, le frère de Pol Marchai se fait discret. « Il allait bien jusqu'à hier, nous confie-t-il, depuis lors, tout le monde vit des moments très difficiles. Heureusement qu'il est très fort car le contexte devient de plus en plus émotionnel. Pol a beaucoup de travail avec la presse, donc on se voit tard le soir, entre 23 h et minuit, quand c'est plus calme.
Visiblement très affecté par l'angoisse de cette attente interminable, il s'arrête de parler, la gorge noué et la larme à l'oeiI.
Plus tôt dans l'après-midi, Pol était sorti de sa maison pour aller chercher dans sa voiture un jeu de Monopoly. « On va un peu s'amuser », dit-il en ayant la force d'afficher un large sourire. Une heure plus tard, vers 15 h, il partait dans sa voiture aux côtés de Betty. Ils nous assurent qu'il n'y a rien de nouveau et demandent qu'on ne les suive pas. Ils ne regagneront leur domicile que dans la soirée. Encore une journée écoulée.

Jean-François Leconte
__________________________


AUTOCOLLANTS « PROTEGEZ NOS ENFANTS »

Le témoignage d'un libraire: « Ne les oublions pas »

«La Dernière Heure» du jeudi 29 août 1996 page 3

BRUXELLES - La librairie Press-Shop au niveau - 1 de la gare Centrale, tenue par MM. De Blende, père et fils, a été parmi les premières à lancer une antenne pétition pour Julie et Mélissa.

M. De Blende explique: « Il ne faut jamais oublier ce qui s'est passé. Le problème, c'est que les gens ont mémoire courte. Je le vois bien dans ma librairie où je vois quotidiennement passer plus de 1.000 personnes. Lors de la découverte des corps de Julie et Mélissa, les gens ont été très touchés, ils se sont tous sentis concernés et sont venus signer la pétition en masse. En une semaine, j'ai récolté pas moins de 6.500 signatures.
Ces derniers temps, il y a eu un relâchement, les gens oublient. C'est un peu tôt et c'est pour cela que je me bats, il ne faut jamais oublier...

Et c'est le combat que mène la rédaction de La Dernière Heure /Les Sports en publiant un autocollant dans son édition d'hier, elle veut lutter contre l'oubli. Ce qui est arrive ne doit pas rentrer dans la rubrique des faits divers normaux.
Et M. De Blende de coller deux autocollants sur sa voiture. « Je pense qu'il faut sensibiliser la population.
Ma librairie se situant dans une gare, j'ai la possibilité de toucher beaucoup de gens. Ce matin, j'ai distribué des autocollants à tous mes clients et les gens réagissent positivement. Certaines personnes m'en demandent plusieurs pour les donner à leurs proches.
Néanmoins, je me pose encore quelques questions. J'ai entendu l'autre jour à la radio que, depuis 1980, plus de 1.000 enfants ont disparu.
Ma question est la suivante : Que font les parents ? Et puis, il y aussi le fait qu'on ne parle plus d'autres pédophiles.
Et enfin, qu'en est-il de l'affaire dans l'affaire ? Va-t-on approfondir l'enquête dans ce sens là ? Je l'espère... N'oublions jamais ».

CI. Oboura et Ni. Ke.







Les fouilles se poursuivent inlassablement('DH'jeudi 29 août 1996 p2)


AUCUN CORPS N'A ÉTÉ MIS AU JOUR DANS LA PROPRIÉTÉ DE BERNARD WEINSTEIN

Les fouilles se poursuivent inlassablement

«La Dernière Heure» du jeudi 29 août 1996 page 2

NEUFCHÂTEAU / JUMET - Mercredi soir, le porte-parole de la gendarmerie, le major Boudin, a fait le point sur les fouilles qui ont continué toute la journée de mercredi à Jumet malgré la pluie battante. Elles reprennent ce jeudi. Le temps infect a bien sûr ralenti la progression des recherches mais trois des quatre endroits désignés par les chiens ont cependant d'ores et déjà été abandonnés : ils ne recelaient aucun corps, c'est certain. II faut cependant encore déblayer le fatras qui encombre le chalet de Weinstein.
Les chiens détecteurs de cadavres n'ont manifesté aucun intérêt pour le coin de cave qui a été déblayé.
Le major Boudin a tenu à démentir les rumeurs selon lesquelles des galeries reliant les différents points du site auraient été mises au jour.
Pour le reste, les recherches sur les cavités peuvent parfois receler des surprises puisqu'il a fallu creuser pour trouver une... bouteille qui avait fait réagir le radar.

On redoute pourtant de trouver des corps puisque des investigations sont menées sur au moins 13 dossiers de disparitions pouvant être imputées à Dutroux au cours des dix dernières années.
En cas de découverte, on veut que l'identification soit la plus rapide possible.
A la limite de Keumiée et Wanfercée-Baulet, rue de la Brasserie, le terrain d'un ferrailleur ami de Diakostavrianos, M. Bruno Tagliaffero (décédé en novembre 95), a également été l'objet de fouilles dans la nuit de mardi à mercredi.

Interrogatoires
A Neufchâteau, Michel Lelièvre et Michelle Martin ont été conduits dès le matin dans les locaux du district de gendarmerie. Hier soir, ils y étaient toujours.
L'information du jour à Neufchâteau a été le dépôt de plusieurs dossiers au palais de justice chestrolais.
Celui de An et Eefje, tout d'abord, dont s'est déchargé le parquet de Bruges. Celui de la petite Sabine, de Kain, libérée en même temps que Laetitia. Celui enfin qui concerne l'enlèvement et l'assassinat des deux petites liégeoises, Julie et Mélissa. C'est vers 16h45 qu'un agent de la police judiciaire de liège s'est présenté chez le juge d'instruction Jean Marc Connerotte.
Le dossier a été déchargé du coffre de la voiture vers 17 20: 7 gros cartons et 2 ou 3 enveloppes séparées. Après quoi, le juge Connerotte a quitté son cabinet pour rejoindre le district de la gendarmerie où se poursuivaient les interrogatoires du complice et de l'épouse de Dutroux, qui, nous vous le précisions hier, commence à reconnaître sa participation aux faits reprochés à son mari.
A propos de Lelièvre encore, un hebdomadaire suisse annonçait hier qu'il avait un fils de 3 ans en Slovaquie.
D'autres dossiers pourraient être communiqués prochainement à Neufchâteau. On parle ainsi de l'affaire Laurence Mathues (lire ci-contre) mais aussi de la tentative d'enlèvement, en février dernier, de la petite Rebecca (8 ans), à Welkenraedt. Deux hommes, qui ressembleraient à Dutroux et Lelièvre, avaient tenté de l'emmener de force. Des passants avaient déjoué la tentative.

Rapport Thily
Par ailleurs, ce sont maintenant les policiers allemands qui chargent Georges Zicot, l'inspecteur principal de la PJ de Charleroi. Selon eux, en 1994, il aurait fait obstacle à une enquête menée depuis Cologne contre une bande internationale de voleurs de voitures. « Nous ne sommes tout simplement jamais parvenus à approcher plusieurs suspects de ce trafic dont la plaque tournante était à Charleroi », a déclaré un porte-parole de la police de Cologne. Les enquêteurs belges s'étaient refusés à procéder à l'interpellation des suspects et avaient réclamé une commission rogatoire. La police allemande était à l'époque aux trousses d'une bande surnommée le gang des BMW qui avait volé une impressionnante série de véhicules dans la région de Cologne pour les transférer ensuite en Belgique. Quatre membres belges de la bande avaient pu être interceptés en Allemagne et l'enquête conduisait apparemment vers Charleroi.
Chargée dès jeudi dernier d'une enquête sur l'enquête, le procureur général de Liège Anne Thily avait entamé ses investigations dès lundi en entendant principalement la juge d'instruction Martine Doutrewe et le premier substitut M. Hombroise. Mercredi, Mme Thily s'est rendue à Bruxelles pour y faire un rapport au président de la Cour de cassation Jacques Velu et ensuite au ministre de la Justice Stefaan De Clerck. Une enquête rondement menée dont on ignore encore les résultats...

M. Pe., F. M. et B. F.
_________________


LA JEUNE FILLE AVAIT ÉTÉ RETROUVÉE MORTE À FERNELMONT

Laurence : la piste se confirme

«La Dernière Heure» du jeudi 29 août 1996 page 2


BRUXELLES - Des indices de plus en plus précis relient la mort de Laurence Mathues et les agissements de Marc Dutroux. L'enquête, au point mort depuis 4 ans au parquet de Namur, semble enfin avancer.
En compagnie de son avocat, le père de Laurence Mathues a été reçu, mardi, par le procureur du Roi Bourlet de Neufchâteau et le juge d'instruction Connerotte. Le papa est ressorti complètement ébranlé par ce qu'on lui a révélé.

Son avocat estime que l'enquête avance.
Laurence Mathues, 16 ans, avait disparu le 28 août 92, après avoir quitté le parc d'attractions de Walibi où elle travaillait comme jobiste. Son corps allait être retrouvé le 7 septembre, dissimulé au bord d'une route de Fernelmont. Une première autopsie avait identifié le corps comme étant celui d'une autre jeune fille en fugue, Delphine. Il a fallu que Delphine se manifeste pour que l'on découvre la bévue. Une seconde autopsie a permis d'affirmer avec certitude cette fois qu'il s'agissait de Laurence. Des recherches ont permis de préciser la date et l'origine du décès. Laurence serait morte le jour de sa disparition, après une absorption massive de médicaments.

Dutroux à Orp ?
L'instruction à Namur a conclut au... suicide. Un résultat qui n'a jamais satisfait le papa, Philippe Deleuze (Laurence porte le nom de sa maman), et son avocat, qui demandent aujourd'hui que le dossier soit transféré d'urgence à Neufchâteau.

Qu'y a-t-il de neuf ?
On sait que les enquêteurs ont retrouvé des quantités importantes de médicaments chez Dutroux, qui enlevait ses victimes en les forçant à avaler beaucoup de médicaments. On peut imaginer que Laurence a elle aussi été forcée à ingurgiter les substances qui l'ont tuée.
De nouveaux témoignages ont par ailleurs été communiqués après que les photos de Dutroux soient passées dans la presse.
Une dame, M" M., d'Orp-Jauche, est persuadée d'avoir reconnu Dutroux comme étant l'homme qu'elle a vu rôder à proximité du domicile du papa de Laurence Mathues, lui aussi établi à Orp-Jauche.
Le témoignage de Mme M. figurait déjà dans le dossier du juge d'instruction Marotte à Namur. Elle y faisait état d'un homme moustachu dans une camionnette. Ce n'est qu'en voyant les photos qu'elle a fait le rapprochement avec Dutroux. Le père de Laurence a lui aussi vu cet homme moustachu, dans un café de son village. Il pense aussi aujourd'hui qu'il s'agit bien de Dutroux.
Bémol tout de même : l'apparition à Orp de Dutroux, si c'est lui, date de plusieurs mois après la découverte du corps de Laurence.
Pour l'avocat de Philippe Deleuze, « il y a d'autres éléments » que les enquêteurs vérifient en ce moment.
B. F.

Légende des deux photos du haut


Point de presse après point de presse, le porte-parole de la gendarmerie, le major Jean-Marie Boudin, a fait état de l'avancement des fouilles.
D'importants moyens de la Protection civile ont été dépêchés à fumet (à droite). A gauche, les enquêteurs se sont intéressés mercredi au terrain d'un ami ferrailleur de Diakostavrianos, situé à la limite de Keumiée et Wanfercée-Baulet

(Ph. Associated Press, Ch. Bernard et Visio-Press)


__________________________________

Nos enfants disent leur peur('DH' jeudi 29 août 1996)


Nos enfants disent leur peur

ILS SUIVENT AVEC ATTENTION L'ÉVOLUTION DE L'ENQUÊTE SUR LE RÉSEAU PÉDOPHILE :

LE DRAME DE JULIE ET MELISSA LES A TERRIBLEMENT MARQUES

« UNE » de « La Dernière Heure » du jeudi 29 août 1996

J'ai peur de sortir toute seule... Dans ce contexte émotionnel très fort vécu actuellement par nos enfants, qui ne peuvent rester sourds aux atrocités dénoncées heure par heure par les médias, nous avons décidé d'en réunir cinq.


Cinq gosses qui ont parlé librement, avec comme animateur Emmanuel de Becker, pédopsychiatre de l'équipe SOS-enfants de St-Luc.
Un spécialiste qui n'a guère dû intervenir, tant les réactions furent abondantes, sur un sujet dont ils n'ignorent visiblement rien.

Pendant ce temps, à Jumet, dans la propriété de Bernard Weinstein, les fouilles se sont poursuivies toute la journée, sous une pluie battante, et devraient reprendre aujourd'hui. L'expert britannique John Bennett (au centre de notre document), était descendu spécialement sur les lieux.

Enfin, à Stockholm, au premier Congrès mondial sur les abus sexuels envers les enfants, le ministre belge Eric Derycke a plaidé pour un système répressif mondial à l'égard de la pédophilie.

(Ph. E. Ansotte et Reuter)

Pages 2 à 4

Quatorze mois d’espoir pour en arriver là !('CinéTéléRevue'jeudi 29 août 1996 p10'11)


Quatorze mois d’espoir pour en arriver là !

« Ciné Télé Revue » du jeudi 29 août 1996 page 10 et 11

Un chagrin immense, des visages figés, le silence pesant d'une foule énorme. Des applaudissements aussi. Pour les innombrables personnes présentes le long du parcours, il importait avant tout de saluer le courage des parents de Julie et de Mélissa.

La Belgique n'effacera jamais cette triste journée du 22 août.

Le tremblement d'émotion collective qui a secoué le pays tout entier n'est pas sans rappeler le trouble provoqué par le décès du roi Baudouin, le 31 juillet 1993. Autour des deux petits cercueils, très digne, la nation est unie, partageant la souffrance des familles.

Dès l'aube, venus des quatre coins du royaume, ils sont des milliers à gagner la basilique Saint-Martin, à Liège, pour rendre un dernier hommage aux fillettes. Parmi eux, les parents d'An Marchal, disparue avec son amie Eefje, ii y a un an jour pour jour.
Les commerçants ont fermé boutique, les particuliers, leurs volets. Un crêpe noir flotte aux antennes de nombreuses voitures.
Du nord au sud, les cloches des églises sonnent le glas, tandis que dans les bureaux, les maisons, les magasins, spontanément, le temps s'arrête. Une minute de silence. Un silence lourd. De désarroi, de questions, de colère.

Quatorze mois d'espoir pour en arriver là...

Dans la basilique, des personnalités politiques et judiciaires, des amis, des parents, des anonymes et soixante-sept chaînes de télévision. Le monde entier est bouleversé. Les familles, durement éprouvées, n'ont pas souhaité la présence du roi Albert ou de l'un de ses représentants aux funérailles, le Palais n'ayant pas répondu à leurs premiers appels. « Quatorze étapes d'un calvaire insoutenable », comme le souligne le prêtre-ouvrier Gaston Schoonbroodt au début de la cérémonie d'adieu.
Une cérémonie sobre, telle que la voulaient les parents, ponctuée de moments forts, comme l'interprétation par un jeune garçon d'une chanson d 'Yves DuteiI, « Pour les enfants du monde entier ». Une cérémonie bercée par la musique du film « La leçon de piano », les mélodies poignantes de Michel Fugain – « Où s'en vont ceux qu'on aime... » - , d'Andréa Bocelli « Con te partiro » et de Céline Dion - « Vole, petite hirondelle, va retrouver la lumière... ».

Intense émotion également lorsque la maman d'Elisabeth Brichet, disparue à Namur en 1989, déclare, entre deux sanglots : a Julie et Mélissa, vous êtes peut-être, dans un monde meilleur, les deux petites sœurs d'Elisabeth.

Les yeux rouges, main dans la main, Gino, Carine et Gregory Russo, Jean-Denis, Louisa et Maxime Lejeune accompagnent ensuite leurs petites filles et soeurs vers leur dernière demeure.
Dans l'intimité. Seuls, une ultime fois, avec leurs enfants arrachés à leur amour.

Les mamans sont vêtues de blanc, comme les cercueils où reposent les fillettes, comme les voitures qui les ont déposées. Un blanc synonyme de pureté, d'espérance et de résurrection.
Le cimetière de Mons Lez Liège est un tapis de fleurs emmenées là par deux véhicules de pompiers et quinze corbillards. Un tapis qui ne cessera de s'étendre au fil de ajournée. Des Belges, bien sûr, mais aussi des Français, des AIlemands, des Hollandais font alliance et prient jusqu'à la nuit tombée.

____________________

Légende des photos :

Photos 1 (haut)

« Le monde est dangereux à vivre. Non à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire » : unis dans le chagrin et le recueillement, des milliers de Belges venus à Liège ont voulu montrer leur indignation face au laxisme de la justice et du monde politique.
Ce sont les décideurs, aussi, qui ont tué Julie et Mélissa.
Ph. : Photo News.

Photo 2 (haut)

40.000 bouquets de fleurs ont accompagné Julie et Mélissa vers leur dernière demeure.
Des funérailles quasi nationales, auxquelles le roi Albert II n'avait pas été convié par les familles.
Celles-ci se demandent encore pourquoi le Souverain n'a pas répondu à leur appel au secours quand les petites filles étaient encore en vie.

Photo 3 (bas)
La douleur des deux familles, unies pour toujours comme leurs enfants
Jean-Denis Lejeune, le papa de Julie, Gregory, le frère de Mélissa,
Gino et Carine Russo, ses parents, accompagnent leur enfant vers le cimetière de Mons-Flémalle.

_______________________________


Autour de la basilique Saint-Martin de Liège toute la Belgique est réunie pour le poignant adieu à Julie et Mélissa.

« Ciné Télé Revue » du jeudi 29 août 1996 page 11


Les filles des familles Lejeune et Russo sont devenues celles de tout un peuple, qui a souffert et espéré avec elles pendant quatorze mois.

Les belges n’ont plus que des larmes et une profonde détresse pour crier au monde leur révolte.

Où vont les gens qu’on aime quand ils s'en vont('CinéTéléRevue'jeudi 29 août 1996 p13'15)


Où vont les gens qu’on aime quand ils s'en vont

« Ciné Télé Revue » du jeudi 29 août 1996 page 13 et 15

Pour Carine, comme pour Louisa, Gino et Jean-Denis, le plus dur vient de commencer. Vivre avec l'absence.

Avec la douleur qui vous taraude et vous monte à la gorge. Les paroles de la chanson de Michel Fugain que les familles de Julie et de Mélissa ont choisie pour l'adieu à la basilique Saint-Martin résonnent encore dans nos cours.

« Où vont les gens qu'on aime quand ils s'en vont ?
C'est pas vrai qu'ça s'arrête, ce s'rait trop con.
Les copines, les tontons, tous ces anges à nous nos divines affections.
Qu'on est long, qu'on est long à dire « Je t’aime » qu’ont pense, quand ils s’en vont … »
------------------------------------

Des fleurs par milliers

« Ciné Télé Revue » du jeudi 29 août 1996 page 13

Mons-les-Liège, derrière les grilles du cimetière de Pré Malieppe. Des fleurs par milliers,des témoignages venus des quatre coins du pays, même d'Allemagne et de France, et ces petites peluches, déposées par quelques enfants qui ont perdu deux amies qu'ils avaient appris à aimer.

Familles Russo et Lejeune, nous ne vous oublierons jamais.


-------------------------

Julie et Mélissa reposent désormais côte à côte, comme elles ont vécu les neuf derniers mois de leur petite vie.

« Ciné Télé Revue » du jeudi 29 août 1996 page 15

L'une avec une poupée et un ourson en peluche, l’autre avec sa photo de communiante et un coeur en fleurs.
Chacune s'en va également avec une petite lettre. Celle de l'espérance en la résurrection.


Puissent t’elles, au paradis des enfants, jouer et rire à n'en plus finir, et retrouver l'innocence qu'on leur a honteusement volée.

Le bon Dieu est il sourd ?(CinéTéléRevue' jeudi 29 août 1996 p12'14)


Le bon Dieu est il sourd ?

« Ciné Télé Revue » du jeudi 29 août 1996 page 12 et 14

Et les prières où sont elles allées ?

Et les bougies qu'on a fait brûler, ça a servi à quoi ?


Le bon dieu est il sourd ? Non, ce n'est pas blasphémé que de parler ainsi. Ce n'est pas blasphémé que de laisser exploser notre douleur, notre sincérité... »

Le prêtre-ouvrier Gaston Schoonbroodt n'a pas mâché ses mots pour critiquer les carences de l'enquête et crier sa révolte. Jamais encore un homme d'Eglise c'était allé aussi loin, proférant un discours inhabituel dans la maison du Seigneur.

Tremblant d'émotion, mouchoir en main, l'ecclésiastique interrogea, plus incisif encore : « Mais quand les décideurs tiendront-ils compte du coeur des gens ? »

Parce qu'ils ont élevé leurs enfants dans la foi catholique, les parents de Julie et de Melissa ont voulu associer toute la population à l'ultime adieu à leurs filles.

La cérémonie n'était ni une messe ni une absoute, mais plutôt un lieu de rencontre ouvert à tous, croyants ou non. « Que tout le monde se sente accueilli quelle que soit la route sur laquelle chemine la souffrance », précisa d'ailleurs l'abbé Schoonbroodt, ami des familles des deux petites filles tragiquement disparues.

Se tournant vers les parents de Julie et de Mélissa, il serra le poing pour leur montrer de tenir bon, comme il le fera lui-même.
Et tout comme l'a fait Gabriel Ringlet, homme d'Église et vice-recteur de I'UCL, bousculant lui aussi les préjugés et réveillant les consciences : « Qui touche aux plus petits des miens mérite qu'on l'attache à une meule et qu'on le jette à la mer », cita-t-il. « Ce texte est très dur et il est pourtant dans l'Évangile. »

-------------------------

Légende photo (Haut gauche) :

Un an, jour pour jour, après la disparition de sa fille, Mme Marchal, la maman d'An, enlevée avec Eefje Lambrechts à Ostende le 22 août 1995, dépose un baiser sur les cercueils de Julie et de Mélissa.

Quelques minutes plus tôt, à l'entrée de la basilique Saint-Martin, elle a eu ces mots pathétiques J'espère simplement qu'An et Eefje ont vu Julie et Mélissa et qu'elles leur ont dit que leurs parents les aimaient.

-----------

Légende photo de droite :

Quand Gino Russo et Jean Denis Lejeune tombent dans les bras l’un de l’autre, c’est le cœur de tous les papas qu se déchire

L'ENQUÊTE('CinéTéléRevue' jeudi 29 août 1996 p6'7)



L'ENQUÊTE

«Ce ministre et ce magistrat sont pédophiles. Mais qui va prendre le risque de les dénoncer ? »

« Ciné Télé Revue » du jeudi 29 août 1996 page 6 et 7

« Toutes les personnes qui pourront être identifiées sur les cassettes seront poursuivies. Si on me laisse faire... »

Cette petite phrase du procureur Michel Bourlet est venue confirmer ce que chacun pouvait craindre au vu des incroyables lacunes (les errements » selon le ministre de la Justice) qui ont marqué aussi bien l'enquête sur la disparition de Julie et de Mélissa que les investigations menées, ces trois dernières années, sur Marc Dutroux et son entourage.
Michel Bourlet pouvait-il laisser entendre plus clairement qu'il craint de voir son enquête entravée si elle remonte trop haut? Non, bien entendu. Cette crainte est bien réelle et elle est partagée par les enquêteurs que nous avons rencontrés. Ceux-ci affirment que la véritable « industrie» mise sur pied par Marc Dutroux n'a pu exister et se développer que parce que certaines personnes, en haut lieu, ont trop longtemps fermé les yeux.
Dires confirmés par Marie-France Botte, qui lutte depuis des années pour dénoncer les filières pédophiles.
Cet aveuglement, qu'il faut bien appeler une « coupable mansuétude », ne trouve-t-il sa source que dans des motifs personnels et dans les relations troubles que les principaux inculpés entretenaient avec certains services de police ? Ou faut-il y voir la preuve de l'existence d'un véritable système de protection ? L'enquête le dira.

Peut-être. Deux choses, en tout cas, sont d'ores et déjà certaines. D'abord, Dutroux, sûr de lui, n'hésitait pas, dès que quelqu'un semblait lui chercher noise, à affirmer haut et fort qu'il était «protégé » et « intouchable ». Ensuite, son cas n'est pas isolé : dans de nombreuses autres affaires de pédophilie, les autorités font preuve d'un incroyable laxisme. Peut-être par peur d'inquiéter de trop puissants clients, voire des commanditaires? Ou parce que l'argent de la pédophilie organisée n'est pas perdu pour tout le monde?

Les questions, en tout cas, sont posées. Il faudra y répondre. Les protections de Marc Dutroux, qui commencent seulement à apparaître au grand jour, sont évidentes. L'incompétence manifeste et criminelle de certains enquêteurs ne peut plus suffire à expliquer le calme relatif dans lequel le pédophile assassin a pu poursuivre ses macabres activités entre sa libération, en avril 1992, et son arrestation, il y a un peu plus de quinze jours. Si protections ils a eu, elles ont probablement joué à plusieurs niveaux, dont certains dépassaient manifestement Georges Zicot, l'inspecteur principal de la P.J. de Charleroi, arrêté ce week-end.

Première interrogation : pourquoi Melchior Wathelet signe-t-il !a libération conditionnelle de Dutroux en 1992 ? L'ancien ministre, on le sait, s'est très brièvement expliqué la semaine dernière, plaidant la cause de l'erreur et avouant « regretter profondément » son acte. « Mais la loi existe », poursuit il, « et elle oblige, à un moment ou à un autre, le ministre à prendre une décision.
La loi Lejeune (comme, du reste, d'autres propositions légales) offre effectivement à l'administration la possibilité de rendre sa liberté à un condamné ayant purgé au moins le tiers de sa peine, mais elle n'oblige évidemment pas la justice à accorder cette libération.
D'autant que, on le sait, sur les quatre avis obligatoirement recueillis par l'instruction du dossier, deux étaient négatifs. Et c'étaient précisément les deux plus importants. La « petite conférence » (qui regroupe le personnel de la prison) et la direction de l'établissement pénitentiaire où était détenu Dutroux avaient bien donné leur feu vert, mais on sait que le personnel pénitentiaire ne se décide que sur base de la conduite du détenu. Or, on l'a assez souligné, les pédophiles sont, le plus souvent, des détenus exemplaires. La direction, quant à elle, cherche rarement à « retenir » un détenu.
Surpopulation carcérale et, dans le cas précis, problèmes de sécurité posés par la présence d'un «pointeur» obligent. Les deux avis les plus importants, eux, étaient, on le sait, clairement négatifs. La « commission administrative » (par six voix contre une) comme le parquet s'étaient vigoureusement opposés à la remise en liberté de Marc Dutroux.
Le procureur Demanet l'avait fait dans des termes sans équivoque, qu'il nous a rappelés, s'estimant délié de son secret par les révélations faites parle ministre de la Justice : « L'extrême gravité des agressions sexuelles, leur multiplicité et les circonstances ignominieuses dans lesquelles elles avaient été perpétrées, ainsi que la lâcheté du vol avec violence et menaces commis sur une personne âgée, vivant seule, le manque total de bonnes résolutions morales et la persistance de l'intéressé à se faire passer pour la victime des poursuites qui furent intentées à sa charge, s'opposent formellement à la proposition tendant à le faire bénéficier d'une libération conditionnelle. Octroyer pareille mesure de clémence dans les conditions relevées ci-dessus et à une époque où le viol et les agressions sur les personnes âgées sont dénoncés comme un fléau social, irait à l'encontre des impératifs de la répression comme des nécessités de la sécurité publique et serait de nature à discréditer l'oeuvre de la justice. »
Pourtant, personne, que ce soit à l'administration ou au cabinet de la Justice, ne semble avoir attiré l'attention du ministre sur cet avis aussi fondé qu'éloquent. Il serait peut-être édifiant pour les enquêteurs, au-delà de l'aspect purement formel de la procédure, de s'intéresser d'un peu plus près à ceux qui ont eu à connaître du dossier et l'ont instruit avant de le présenter à la signature du ministre.

La « chance» de Marc Dutroux ne s'est pas arrêtée là. Les informations arrivées à la BSR de Charleroi et consignées en 1993 dans un rapport confidentiel se sont perdues en route et ne sont jamais arrivées au parquet, ni au ministère, où l'on aurait pu exiger une enquête plus approfondie. Celle-ci pouvait annuler la conditionnelle accordée à Dutroux. Plus tard, la mystérieuse « Opération Othello » menée en solo par la gendarmerie ne débouchera sur rien. Mais elle nous offre un nouveau mystère. A l'état-major de la gendarmerie, on prétend que les magistrats ont été prévenus des résultats des enquêtes menées par les pandores. La juge Doutrewe, elle, ne s'en souvient pas. Les deux parties ne pouvant avoir raison, l'une d'elles ment forcément. Laquelle ? Et pourquoi ?

Une autre certitude, en revanche, au milieu de tant de questions : quand Marc Dutroux est arrêté, à la fin de 1995, à la suite de faits de brande gravité (il s'agit quand meure de la séquestration de trois jeunes gens, ses complices dans des affaires de vol de voitures), les enquêteurs « croient » à sa version. Il charge Weinstein. Celui-ci est probablement déjà décédé et ne peut donc le contredire. On libère donc à nouveau Dutroux, sans aviser le ministère de la Justice que ce libéré conditionnel, autrefois détenu pour des faits terribles, est impliqué dans un nouveau dossier important. La confiance des enquêteurs carolorégiens dans la parole de Marc Dutroux - ils doivent pourtant savoir que, par définition, les pédophiles sont menteurs et que la mythomanie est l'un des axes principaux de leur défense - ne se manifestera pas qu'à cette seule occasion : un peu plus tôt en 1995, Dutroux avait été interrogé dans le cadre de l'enlèvement de la jeune Alexandra Scoula (qui habitait dans la même rue que Lelièvre, dans le quartier de La Docherie à Marchienne au Pont !).
La malheureuse sera retrouvée morte à Lodelinsart. Dutroux, une fois de plus, en dépit de ses antécédents, n'aura aucun mal à se disculper. Il faut dire que c'est Georges Zicot qui est assis de l'autre côté du bureau et qui tape sa déposition. Zicot connaît bien Dutroux, Lelièvre et consorts.
Il aurait même été mêlé aux carambouilles de la bande dans plusieurs affaires de véhicules volés
(dont la Porsche de 3,5 millions appartenant au fils... du procureur Demanet) et un maquillage de camions.

Pire : quand une voisine de Dutroux vient se plaindre, en 1996, des travaux nocturnes que poursuit le repris de justice dans son jardin et dont on sait aujourd'hui quelle sinistre réalité ils recouvraient, c'est Zicot qui la reçoit et lui fait des remontrances pour son « comportement délateur ». On croit rêver.
On peut disserter pendant des heures sur la responsabilité personnelle de l'inspecteur Zicot, qui semble effectivement avoir protégé Marc Dutroux, en tout cas, dans le volet « trafic de voitures » du dossier.
Comment ne pas s'étonner quand il prétend n'avoir pas été au courant des activités pédophiles de son protégé : il serait bien le premier policier de ce pays (sinon même d'Europe) à ne pas se renseigner sur les antécédents judiciaires d'un indicateur.
Car n'importe quel flic pouvait, en quelques minutes, en tapotant sur un clavier d'ordinateur, prendre connaissance du pédigree du sinistre « ferrailleur ».
Sachant ce qu'il ne pouvait donc ignorer, Zicot a-t-il choisi de fermer les yeux sur cet aspect de la personnalité de son « indic », parce que celui-ci lui apportait des affaires de bagnoles? Si c'est le cas, on serait en présence d'un parfait imbécile, ce qui ne semble pas être le cas, et Zicot ressemblerait à un flic couvrant un assassin pour résoudre des vols à l'étalage empêche qu' a l'évidence, Zicot ne peut avoir été le seul protecteur de Dutroux.
Il était un trop petit poisson pour pouvoir le couvrir en toutes choses et empêcher, par exemple, que le ministère de la Justice soit prévenu des nouveaux faits impliquant le pervers à la fin de 1995. Jusqu'à preuve du contraire, dans ce pays, ce sont les juges qui donnent ordres et consignes aux policiers, et pas le contraire.
La non transmission d'informations au ministère est donc, essentiellement, de ta responsabilité de la magistrature carolorégienne.
Une magistrature qui, nous assure-t-on, n'inspire qu'une confiance très mitigée à de larges pans du monde judiciaire et policier belge, qui accusent, à mots couverts, certains magistrats et enquêteurs carolos d'avoir partie liée avec des milieux criminels notoirement en relation avec les antennes de la
Cosa Nostra dans le Hainaut.

Zicot, en tout cas, ne protégeait pas, dit-on, que Dutroux. Il avait également de bien curieuses relations avec plusieurs membres de la bande De Santi-Di Mauro-Todarello, impliquée dans l'affaire des titres volés et fortement soupçonnée d'avoir été mêlée de très près à l'assassinat d'André Cools.
Ce serait De Santis qui, entre autres, aurait demandé à de jeunes voleurs de voitures (peut-être ceux-là mêmes avec lesquels Dutroux, Weinstein et Lelièvre étaient en relations d'affaires) de lui procurer le véhicule qui aurait servi à « exfiltrer » l'assassin de l'ancien homme d'Etat. Autre « connexité » possible entre l'affaire Dutroux et l'affaire Cools : la présence d'une moto rouge dans une dépendance de la maison appartenant à Dutroux et habitée par Bernard Weinstein, à Jumet.

Précision : les témoins du meurtre parlaient d'une BMW rouge et celle que l'on retrouve près de Charleroi est une Kawasaki 1300. Mais, dans l'affolement, ces passants ont pu se tromper. Une certitude cependant quelqu'un a vidé, sans aucune raison, un extincteur à poudre sur l'engin.
Or, cette technique est la meilleure pour faire disparaître des empreintes digitales, et il tombe sous le sens que ce n'est que dans des affaires particulièrement graves que l'on songera à effacer des empreintes. Sans doute pas, par exemple, pour un simple vol. Surtout quand on est protégé comme le furent Dutroux et consorts.
Car, revenons-y, la couverture de Dutroux par ses mystérieux mais puissants protecteurs n'était pas mince.
Non seulement elle neutralisait l'action de la justice, mais, de plus, elle paralysait l'administration des Finances. Libéré conditionnel sans revenus officiels ou presque, Marc Dutroux possédait, pour ce que l'on en sait aujourd'hui, une dizaine de maisons et une quinzaine de voitures. Et jamais, à aucun moment, l'administration fiscale ne viendra frapper à sa porte.
Etonnant oubli dans un pays où la « rage taxatoire » est à son comble et où tout est bon, aux finances, pour faire rentrer de l'argent. On contrôle le moindre indépendant, on « redresse » les impôts des retraités, le citoyen de base doit répondre de chaque denier dépensé, mais Dutroux, lui, est au-dessus des lois et peut jouer à son petit Monopoly immobilier sans être inquiété.
Il serait surprenant que cet aveuglement d'une administration qui a des oreilles et des yeux partout soit à porter au crédit de l'inspecteur Zicot.
Où alors, ce modeste fonctionnaire avait vraiment le bras d'une longueur impressionnante, capable qu'il aurait été de retenir tout à la fois l'action de la justice et celle du fisc...

Alors ? Qui, au sommet, a réellement protégé Marc Dutroux ?


La réponse est sans doute à chercher dans un mélange de criminelle incompétence de certains et dans l'action décidée de quelques hommes très bien placés.
II nous revient par exemple qu'un « haut magistrat de Liège », pédophile lui-même, aurait pu oeuvrer pour retarder, en coulisses, le cours de l'enquête concernant la disparition de Julie et de Melissa.
Ses coupables penchants ne le prédisposaient guère, en tout cas, à user de l'influence qu'on lui reconnaît (sans qu'il soit directement lié au dossier) pour faire accélérer les recherches dans une affaire de disparition d'enfants.

Toutefois, il ne faut pas se leurrer ni se tromper d'objectif. Ce n'est pas tant la stupidité de certains enquêteurs, la paresse ou l'étroitesse d'esprit de magistrats (le président du tribunal de première instance de Liège, un éminent magistrat, ne s'est-il pas fendu, il y a quelques semaines à peine, d'une lettre scandaleuse dans la quelle il conseillait, en substance, à une parlementaire social-chrétienne s'enquérant des progrès du dossier « Julie et Mélissa », de se mêler de ce qui la regardait ?) ni même les manoeuvres occultes d'un quelconque inspecteur de police ou d'un magistrat pédophile, qui peuvent expliquer tes protections de Marc Dutroux.

La réalité, même si elle se nourrit de l'action de ces acteurs de second rang, est sans doute très différente.
La réalité, c'est qu'il est difficilement contestable que les pédophiles, isolés ou organisés, jouissent en Belgique, depuis de nombreuses années, d'une « protection réelle et constante.
En septembre 1992, aux assises de Liège, Louis Dupont, curé de Kinkempois, est libéré au terme d'un procès pour pédophilie qui verra ses deux complices lourdement condamnés. Me Franchimont, son avocat, a pu dire (à huis clos, il est vrai), encouragé par les témoignages de pieuses (?) paroissiennes, que son client « n'était pas un pédophile ».
La cour ne l'a pas suivi dans cette surprenante sortie, mais elle s'est dispensée de condamner le prêtre, qui a été remis à l'autorité ecclésiastique chargée de le cloîtrer !
Moins d'un an après ce verdict aux forts relents moyenâgeux, c'est l'instituteur Guy Dumasy qui se voit accorder parle tribunal correctionnel de Tournai une peine ridiculement légère : trois ans de prison, dont deux avec sursis, sous réserve qu'il se soumette à une thérapie. Enseignant, il avait pourtant abusé, pendant plus de dix ans, des enfants qui lui étaient confiés et qui étaient âgés de 8 à 10 ans.
Le 27 avril 1994, un homme de 37 ans viole, sur un terrain vague de Jumet (tiens, la région de Charleroi...), le petit Anthony et le laisse pour mort, le crâne défoncé onze jours de coma pour le malheureux gosse. Son agresseur avait été condamné, cinq ans plus tôt, pour avoir kidnappé et sodomisé une petite fille de moins de 10 ans, mais il était libéré depuis longtemps, sous condition de suivre une thérapie qui ne faisait, bien évidemment, l'objet d'aucune surveillance.

En juin 1995, les assises du Hainaut jugent, à Mons, un détraqué accusé d'avoir violé plus de mille fois sa propre fille et d'avoir abusé d'une dizaine d'autres enfants.

Dès 1990, SOS-Enfants avait prévenu le parquet de Charleroi (...) et lui avait demandé d'éloigner les enfants de leur famille afin qu'il soit possible de les interroger.
Mais la justice carolo avait préféré se mettre « aux abonnés absents ». Et, à l'heure du procès, aucune association (bravo à l'ON E ! ) n'avait jugé bon de se porter partie civile.

Le 29 décembre 1995, le Roi, dans sa grande magnanimité, accorde la grâce au pédophile Zénon D., qui, sur une peine de quinze ans, n'aura purgé que trois années de détention...

En janvier dernier, la police de Bruxelles interpelle Edwig Huybrechts. Ce gendarme est arrêté la main dans le sac, pourrait-on dire, alors qu'il prend des photos de jeunes garçons occupés à se masturber, afin de constituer de véritables « catalogues » permettant à ses clients de choisir leurs partenaires. Huybrechts, animé par des motivations purement crapuleuses, vivait bien de son trafic et n'hésitait pas à emmener lui-même ses jeunes « protégés » aux Pays-Bas, dans le coffre de sa voiture, pour les livrer à des pervers.
Des faits d'une exceptionnelle gravité donc, largement établis par la remarquable enquête menée par le commissaire Georges Marnette à la P.J. de Bruxelles, et évidemment, aggravés par la position occupée par le coupable.
Pourtant, il y a moins d'un mois, les voisins de la famille Huybrechts ont eu la surprise de voir l'inculpé revenir dans sa maison de la Terpoortenlaan, a Hoesselt dans le Limbourg.
Un magistrat éclairé semble avoir estimé que le maintien en préventive ne se justifiait plus...

Et que dire de l'administration pénitentiaire qui laisse Jean-Claude Bertrand, pédophile multirécidiviste, condamné en avril 1986 à dix ans de prison, échanger avec des enfants dont il obtient l'adresse par le biais de magazines pour jeunes, des lettres à caractère pornographique dans lesquelles il se présente comme un adolescent homosexuel, lui permettant ainsi, du fond même de sa cellule, de préparer sa sortie en se reconstituant un cheptel ?

Arrêtons là. On pourrait citer bien d'autres faits tout aussi scandaleux, qui, par leur accumulation, prouvent largement que la pédophilie n'est guère prise au sérieux par notre justice.
A moins que la « qualité » des personnes impliquées ne rende toute poursuite illusoire. Dans les clients d'Edwig Huybrechts, par exemple, on trouvait des cadres de grandes sociétés privées ou para-publiques et le vice-président du Delphinarium de Bruges.

La liste des clients du CRIES, il y a quelques années, regroupait elle aussi du beau monde, et la clientèle de Marc Dutroux, quand les enquêteurs auront enfin reconstitué les ramifications de son réseau, pourraient réserver quelques surprises.

D'autant que son complice, Michel Nihoul, était particulièrement bien introduit dans les milieux politiques de la capitale. Sa réputation d'escroc notoire ne l'empêchait pas de fréquenter ce qui se fait de mieux dans les cercles sociaux chrétiens (le fait que les deux administrations, fiscale et judiciaire, qui ont manifestement protégé Dutroux,soient dirigées par des cabinets sociaux chrétiens n'est sans doute dû qu'à une coïncidence) et il avait même,dans les années 80,financé ou organisé quelques campagnes électorales. Le quotidien flamand "De Morgen" affirme également qu'il aurait travaillé pour le PS liégeois, récupérant des commissions en Suisse.

Or, selon un de ses proches,"Si Nihoul a réellement joué un rôle dans l'affaire Dutroux celui-ci ne peut être que central.
Ce n'est pas un comparse mais un organisateur, et son carnet d'adresses recèle nombre de clients potentiels de ce type de réseau "

Les révélations confidentielles émanant de policiers ayant enquêté, ces dernières années, sur différentes affaires de pédophilie organisée (révélations confirmées par les souvenirs de quelques victimes, qui se rappellent fort bien avoir côtoyé, dans d'innommable orgies, des personnalités politiques et judiciaires de premier plan) ne laissent aucun doute sur le fait que parmi les
« habitués » de ces réseaux, on trouve"le nec plus ultra" de notre société.

Un véritable petit "Who's who" ?
Les noms de deux ministres wallons appartenant à des bords politiques différents, de plusieurs mandataires politiques en vue, de financiers de haut vol de grosses pointures du bâtiment où de membres éminents de la corporation judiciaire circulent ainsi sous le manteau.
Certains sont même récemment décédés, dont un par suicide,qui aurait été camouflé.

Le pouvoir et l'argent. Comment s'étonner, dès lors, que ces intouchables, qui se « tiennent » mutuellement, occupent encore des fonctions d'où ils peuvent bloquer toute procédure les menaçant?

« Tout le monde sait que ce ministre et ce magistrat sont pédophiles » nous confiait un enquêteur, »Mais qui va prendre le risque de les dénoncer ?"
Leur présence dans les cercles de la filière permet d'ouvrir bien des pistes.
Complices dans une activité sexuelle criminelle, ces membres de la meilleure société ne peuvent-ils se retrouver dans d'autres activités tout aussi condamnables ?

Ne se trouve-t-on pas en face d'une véritable mafia politico financière et judiciaire active et dangereuse ?

Mettre à nu ces réseaux et les exposer à la lumière pourrait, peut-être, permettre de résoudre quelques-unes des affaires judiciaires les plus troublantes de ces quinze dernières années, dans lesquelles s'imbriquent, précisément, les mondes politique, financier et judiciaire.

Une raison de plus pour souhaiter que Michel Bourlet et ses enquêteurs puissent aller jusqu'au bout.

Claude MONIQUET

Les monstres sont bien protégés('CinéTéléRevue'jeudi 29 août 1996)


Quelles sont les personnalités impliquées et qui voit-on sur les cassettes vidéo

Les monstres sont bien protégés !

« UNE » de « Ciné Télé Revue » du jeudi 29 août 1996

Notre enquête et nos accusations


Julie et Mélissa : Une si grande douleur

Osera t’on la vérité pour apaiser la souffrance des familles et de tout un peuple ?

Free Web Counters
Free Counter