dimanche 3 août 2008

A son tour Hasselt a pris le deuil('Meuse'5 septembre 1996 p15


A son tour Hasselt a pris le deuil...

« La Meuse » jeudi 5 septembre 1996 page 15

Jusqu'au bout, les Limbourgeois avaient espéré accueillir An et Eefje vivantes. Aujourd'hui, ils expriment dignement leur chagrin.

Depuis mardi soir , après un an de douloureuse incertitude, Hasselt a bien dû se résoudre à porter le deuil. L'espoir entretenu jusqu'au bout de pouvoir accueillir An et Eefje s'est définitivement éteint dans une sordide propriété de Jumet. Les Limbourgeois, à leur tour, tiennent à afficher la douleur qu'ils partagent avec les familles Marchal et Lambrecks. Sans ostentation. Dignement.

Ce n'est pas devant les maisons des deux familles meurtries que l'émotion et le chagrin étaient les plus perceptibles hier. Devant le domicile d'An, seuls quelques bouquets de fleurs sont de temps à autre déposés en silence par des mains anonymes.

Seuls, les journalistes guettent les sorties de proches ou d'amis. Celle du doyen de Hasselt, le père Jozef Forier: « Les parents d'An m'ont confié combien la compassion affichée par tant de gens leur font plaisir. Aujourd'hui, ils préfèrent la cruelle certitude à l'insoutenable attente. » Depuis hier soir, les familles Marchal et Lambrecks se sont murées dans un silence douloureux. Impossible de savoir si les funérailles seront communes...

Seul moment d'agitation, sur le coup de 15 h, lorsque le ministre de la Justice arrive chez Marchal. «Avez-vous une part de responsabilité dans ce drame? », lance une voix. Mâchoires crispées, Stefaan De Clerck fixe et ne répond pas. Trois quarts d'heure plus tard, il réapparaît. «On continue, on continue », finit-il par marmonner. Puis c'est au tour de la famille Marchal de sortir pour s'engouffrer dans les deux Mercedes qui doivent les conduire au Palais royal. Accompagnes de leurs trois enfants, les parents d'An affichent les visages qu'on leur a connus depuis le début de leur calvaire: admirables de dignité.

La Justice au banc des accusés
En ville, où les drapeaux étaient en berne, les habitants étaient invités à manifester leur soutien. A l'Hôtel de ville, des centaines de personnes se sont succédées pour signer les registres de condoléances sur une table drapée aux couleurs nationales et surmontée d'une photo des deux jeunes filles.

On sent poindre la colère.
Contre une Justice qui n'aurait pas fait son devoir: « elle a pris tout cela trop à la légère. On voit maintenant le résultat» assène Josée, venue de Deurne.

La classe orpheline
A deux pas de là, un autre bâtiment est en deuil. A l'Institut libre technique des ursulines, on pleure la perte d'une élève, An. Et l'on partage le chagrin de la maman d'Eefje, professeur à l'école. Hier matin, le directeur, Gilbert Van député, a pris la parole dans la cour. Pour annoncer qu'An ne connaîtrait plus jamais de rentrée scolaire. Le directeur a lancé un appel au calme. Sans avoir la force d'en dire plus.

An Marchal aurait dû commencer sa septième année en orientation puéricultrice. Dans sa classe, on avait bien dû s'habituer à une place restée libre. Mais on n'avait jamais perdu l'espoir de la revoir vivante, on ne l'avait jamais oubliée » confie, émue, Ingrid Vandenbroecke. Durant un an, elle a côtoyé An sur les bancs de l'école : « Une fille au départ très calme, qui parlait peu. Elle raffolait des hamsters, des souris. » Hier matin, la classe a gagné son local sans un mot. « On se regardait chacune pour guetter nos réactions » poursuit Ingrid, un brassard noir au bras.
Une autre jeune fille manquait à l'appel: Wendy, la meilleure amie d'An, n'a pas eu la force de venir.
Chez Ingrid, la rage côtoie la douleur: « la Justice n'a pas tout fait pour les retrouver vivantes. Quant à ce Dutroux, il ne mérite pas de vivre!» Certaines traces ne s'effaceront jamais.

Pierre Havaux
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AUDIENCE

Le Roi reprend (enfin) l'initiative


« La Meuse » jeudi 5 septembre 1996 page 15

Après une première semaine d'événements passée visiblement dans l'expectative, le roi Albert a repris l'initiative hier en recevant dès le matin Carine et Gino Russo, les parents de Métissa, accompagnés de Marie France Botte. Quelques instants plus tard, c'était au tour de Claude Lelièvre, le délégué général aux droits de l'enfant, à être reçu en audience royale.

Entre-temps, nos Souverains avaient eu les parents d'An Marchal et d'Eefje Lambrecks au téléphone pour leur faire part de leur profonde émotion et de leur effroi à l'annonce de cette seconde nouvelle tragique. Deux Mercedes du Palais sont ensuite venues vers 16 heures à Hasselt pour amener la famille Marchal au Palais.

Enfin, un communiqué du Palais annonçait que le Roi et la Reine tenaient à rencontrer toutes les familles éprouvées en ce moment. « Le Roi a exprimé la détermination avec laquelle il continuera à veiller auprès du ministre de la Justice à ce qu'aucune piste ne soit négligée pour que la clarté totale soit faite sur ce drame et ses implications et qu'aucune ambiguïté ne puisse subsister.

Le Roi insistera, notamment auprès des ministres concernés, pour que tous les moyens soient mis en oeuvre pour combattre sans relâche ce fléau sur le plan tant national qu'international et que des mesures de prévention soient prises pour éradiquer ce mal. »

Tout son poids
D'aucuns avaient déjà souligné l'absence du Roi lors des funérailles de Julie et Mélissa. Estimant qu'il ne s'était pas manifesté durant les 14 mois de la disparition de leurs deux fillettes, les parents Russo et Lejeune ne lui avaient pas réservé de place particulière.

Second incident quelques jours plus tard lorsque le Roi et la Reine téléphonaient aux parents d'An et Eefje pour leur souhaiter du courage alors qu'ils ne l’avaient jamais fait pour les parents de Julie et Métissa.
Vraisemblablement, le malentendu régnant avec les deux familles liégeoises semble s'être aplani après l'entrevue d hier matin.

Et l'insistance du Roi à assurer toutes les familles et tous les enquêteurs de son soutien laisse penser qu'il veut aujourd'hui mettre tout son poids dans la bataille.

L.G.
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Micro trottoir

« La Meuse » jeudi 5 septembre 1996 page 15

M. Hayan
22 ans
Etudiant
Bruxelles
« Ça m'inspire le dégoût, c'est l'horreur.. C'est incroyable. Je ne sais pas quoi penser. D'autant que Marc Dutroux a des enfants. Dès lors, je ne comprends pas comment il a pu faire ça. C'est inimaginable. »

Mm Hellin
30 ans
Ouvrière
Bruxelles
«Je trouve que la Justice ne fait pas son devoir. Elle devrait faire plus. Elle devrait moins maquiller les choses.
Ça m'inspire de la haine, monsieur. J'ai deux enfants et ça me fait très peur. J'ai eu un problème à la piscine avec mes enfants. On ne peut même plus les laisser tout seuls.

M. Hoge
58 ans
Docteur en droit
Bruxelles
« Etant moi-même grand-père, je pense à ça et ça me remue beaucoup. Je voudrais vraiment présenter toute ma fraternité aux parents de An et Eefje. Au risque de paraître très rétrograde, je crois qu'un rétablissement de la peine de mort serait une bonne chose dans des cas pareils. Je crois qu'on n'a pas besoin de crapules pareilles qui nous coûtent, en plus, lorsqu'elles sont en prison. »

Mme Ribeiro
27 ans
Femme de ménage
Bruxelles
Moi, en tant que mère de famille, je n'aimerais pas que ça continue. Maintenant, on a peur quand nos enfants vont à l'école, on a la trouille ! On ne fait même plus confiance aux gens qui viennent chercher nos enfants parce qu'on ne sait pas ce qui peut se passer. Donc s'ils peuvent vraiment régler cette histoire, je crois que ce serait une bonne chose.

M. Vergotte
52 ans
Sénateur
Ardooie (près de Roulers)
Ce qui s'est passé avec les enfants, c'est vraiment scandaleux. Je trouve que l'image que l'on a de la Belgique à l'étranger n'est vraiment pas des meilleures. Je ne peux pas croire que Dutroux est un homme, c'est épouvantable ce qu'il a fait, c'est vraiment inimaginable. »

Mme Van Boeck
27 ans
Psychologue
Gand
C'est terrible, c'est vraiment terrible. Ça m'angoisse, ça me fait peur parce que j'ai un enfant. Il y avait une demande et M. Dutroux, si on peut dire monsieur, a répon du à cette demande. C'est un Dutroux mais il y en a des milliers. Et puis, ce qui est entrain de se passer, c'est vraiment un signe. Ça me fait peur, vraiment. »

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La douloureuse recherche d’une identité...

« La Meuse » jeudi 5 septembre 1996 page 15

Le macabre compte à rebours avant l'identification des restes de An et Eefje aura été plus court qu'on ne redoutait

-Ici, le droit à l'erreur n'est pas permis...
Depuis la découverte des ossements, mardi soir à Jumet, un macabre compte à rebours s'était déclenché.
Il n'aura finalement guère duré avant de livrer les noms qui se cachaient derrière les restes humains.

La tragique réponse reposait entre les mains des spécialistes de l'identification.
Médecin légiste pendant 38 ans pour Gand et ses environs, le professeur émérite Jacques Timperman rappelle combien semblable tâche peut s'avérer délicate. A quel point aussi, dais ce domaine, le droit à l'erreur n'est pas permis. « En médecine légale, on ne doit pas penser savoir, on doit savoir» rappelle-t-il volontiers. Et la certitude ne peut éventuellement s'acquérir qu'à l'issue d'un travail minutieux.
Qui peut logiquement prendre plusieurs jours: « C'est un délai tout à fait normal. La plus extrême prudence s'impose dans ce travail. » A fortiori quand on a affaire à des restes humains réduits à l'état d'ossements.
Une évidence : plus le corps est retrouvé tardivement, plus l'identification est difficile. Mais c'est aussi de la nature des parties de squelettes retrouvées que dépend la rapidité du travail des spécialistes.

La dentition, élément-clé
« La dentition joue le rôle le plus important lors d'une identification, mais aussi pour déterminer l'âge.
Les personnes reçoivent de plus en plus de soins dentaires. Tout le monde a maintenant son dentiste.

Une comparaison avec le dossier du dentiste peut aisément permettre une identification à coup sûr. »
C'est un odontologiste, présent dans chaque arrondissement judiciaire, qui se charge de l'opération.

Plus gênant pour les enquêteurs, si la dentition a disparu. « Sans elle, on ne peut atteindre une probabilité proche de la certitude. » Reste alors un infime soupçon d'incertitude. Qu'une caractéristique osseuse peut alors dissiper: «


Dans ce cas, une caractéristique pathologique peut se révéler déterminante : la trace d'un accident, d'une anomalie, une lésion ».
Raison pour laquelle l'identification d'ossements appartenant à des adultes est plus aisée : « Les enfants ou les plus jeunes ont généralement encore peu de lésions osseuses. Ce qui rend plus difficile le travail. »

Dans ce cas, l'âge ne peut souvent être déterminé qu'approximativement.
« En fait», résume le professeur Timperman, « tout dépend de la comparaison que l'on peut faire entre les données que l'on possède déjà et celles que l'on trouve sur le terrain: quand on a beaucoup d'éléments au départ et qu'on trouve beaucoup, on progresse facilement. »

Dans ce cas tragique, la tâche des spécialistes était incontestablement facilitée par le fait que l'on recherchait des gens précis. Des gens dont le profil médical est aux mains des enquêteurs du disaster victim identification team de la Gendarmerie. Les informations ante-mortem, recueillies auprès du médecin de famille et du dentiste, et les données post-mortem récoltées sur le terrain, sont alors codées et introduites sur ordinateurs. La confrontation de ces informations devrait alors conduire à l'identification de la victime.

Une médecine tragiquement nécessaire
Difficile en tout cas de se baser sur l'état de conservation des ossements pour tirer des conclusions précises quant au moment du décès ou de l'enfouissement. «Dans ce domaine, tout dépend de la nature du sol.

Au bout d'un an, vous pouvez aussi bien retrouver un corps à l'état de squelette complet que réduit à quelques ossements.
Bien que ce dernier cas soit plus rare», estime le professeur Timperman. La température, l'humidité, mais aussi l'activité microbiologique font leur œuvre plus ou moins rapidement selon les endroits.

Quoi qu'il en soit, le professeur Timperman reste optimiste quant à l'identification des ossements retrouvés. Les moyens techniques et les compétences humaines ont aussi fait de grands progrès dans un domaine fort peu agréable Mais oh combien nécessaire....

P.Hx.

Bruxelles : Un suspect interpellé('Meuse'5 septembre 1996 p14)


Bruxelles : Un suspect interpellé

« La Meuse » jeudi 5 septembre 1996 page 14

Des perquisitions en série sont opérées dans l'agglomération
Selon nos informations,un suspect évoluant dans l'entourage de Michel Nihoul devait être interpellé hier en soirée, à Bruxelles. L'ancienne amie de Nihoul, Annie Bouty, se trouvait dans les locaux de la P.J. hier soir et devait être entendue. Quant au suspect, il devait être ramené au parquet de Bruxelles et être entendu par les enquêteurs. Parallèlement, des perquisitions étaient effectuées dans l'agglomération de Bruxelles, hier: elles pourraient se poursuivre aujourd'hui. A bonne source, on nous confirme d'ailleurs que ces prochaines heures l'essentiel du travail des enquêteurs sera centré autour de la capitale.

Une nouvelle réunion au sommet a eu lieu mercredi à la gendarmerie de Neufchâteau. Les enquêteurs y ont fait le point sur les derniers événements en présence du magistrat national André Vandoren, qui est pratiquement chaque jour dans la cité chestrolaise. Selon nos informations, les patrons de l'enquête ont décidé de se concentrer pour l'instant sur les six dossiers (Julie et Mélissa, An et Eefje, Sabine et Laetitia) à propos des quels on dispose du plus grand nombre de renseignements. «Il faut maintenant bétonner ces dossiers, bétonner le cas des quatre suspects principaux. Il est possible que des liens existent avec d'autres dossiers mais pour l'heure, l'essentiel est de renforcer les dossiers les plus complets. »

Michel Bourlet a, quant à lui, démenti les informations diffusées par Le Soir et La Libre Belgique concernant l'implication de policiers et de magistrats carolorégiens dans les dossiers dont il a la charge. Selon le procureur du Roi de Neufchâteau,le seul policier impliqué à l'heure actuelle reste l'inspecteur de la PJ de Charleroi, Georges Zicot, et ce, dans le dossier concernant le vol de voitures. Michel Bourlet dément, également qu'une perquisition ait été effectuée chez un notaire bruxellois.

Certes, une perquisition a bien eu lieu (perquisition à laquelle a participé le juge Connerotte) mais elle a été effectuée chez un notaire de Charleroi et consistait en fait en la saisie du dossier relatif à l'acquisition en vente publique par Dutroux de la maison de Sars-la-Buissière. Une autre perquisition a eu lieu mardi chez l'ancien chauffeur d'un homme politique bruxellois que nous n'identifierons pas. « Cette perquisition s'est révélée totalement négative et avait surtout pour but de fermer une porte » (de clore une hypothèse de travail).

Par ailleurs, des mesures de sécurité assez impressionnantes ont été prises depuis hier autour de la gendarmerie de Neufchâteau et à l'intérieur du palais de justice. «Elles sont avant tout dictées par un souci de prévention. Dans le contexte de cette affaire, il y a lieu de protéger à la fois les enquêteurs, les prévenus et surtout les témoins», a expliqué Michel Bourlet. « Toute la sécurité a été renforcée, nous disait-on hier, tant autour des inculpés que du juge et du procureur du Roi, nominativement menacés.

Quand aux inculpés, ils doivent être protégés contre eux mêmes, « contre la foule et contre le milieu.» Dans ce contexte, on apprend que Michel Nihoul, qui paraît très choqué par la confirmation de son mandat d'arrêt et contre lequel les éléments matériels s'accumulent, a été transféré hier à la prison de Namur.
Il ne sera réentendu qu'en début de semaine prochaine.

Dutroux surveillant
Anecdote? On apprend qu'au début des années '80, Marc Dutroux était lui-même actif à Bruxelles, précisément à Forest où, «bénévolement». il affirmait assurer les fonctions de.., surveillant à la patinoire de Forest National. Frissons rétrospectifs pour des centaines de jeunes qui ont glissé des heures durant sur la piste de l'avenue du Globe.
On le sait grâce à un procès verbal acte par la police de Forest le 28 novembre 1981 à la suite d'un incident entre le «surveillant Dutroux », domicilié alors à Haine-St-Pierre (La Louvière), 40, rue de l'Hôtel de Ville, et un jeune Marocain âgé alors de 15 ans et domicilié rue de Mérode. Dutroux qui «assumait bénévolement la surveillance des patineurs et des patineuses» pour aider le surveillant attitré, un prénommé Joseph, avait, dit-il, remarquer qu'un jeune patinait plus vite que les autres et les bousculait. Dutroux dit être intervenu pour le calmer mais le garçon aurait cherché la bagarre. Finalement, après avoir esquivé des coups de poing, Dutroux aurait maîtrisé le jeune et l'aurait confié au «vrai surveillant». Celui-ci lui aurait alors intimé l'ordre de quitter la patinoir:. Toi, je t'aurai, je te foutrai une balle entre les deux yeux », s'était alors exclame le jeune...
Comme quoi, les enquêteurs ont bien raison de recentrer leur enquête autour de Bruxelles.

Philippe Crêteur

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JUMET
Le calme après l'horreur


« La Meuse » jeudi 5 septembre 1996 page 14

S'IL y avait toujours une barrière Nadar â chaque extrémité de la rue Daubresse, hier matin à Jumet, elle ne contenait plus grand monde. Pourtant, devant ce qui fut la maison de Weinstein, un mini-service d'ordre stationnait encore.
Contraste, hier, avec ce que fut l'agitation de toute la semaine précédente. Durant plusieurs jours, journalistes et curieux avaient piétiné,sous le soleil ou la pluie, dans l'attente des résultats des fouilles entreprises dans la propriété jadis occupée par Weinstein, complice puis victime de Dutroux. Des nouvelles qui, hélas, ont été ce qu'on pouvait craindre, avec la découverte mardi de deux corps formellement identifiés en fin de journée comme étant ceux d'An Marchal et Eefje Lambreks.

Le terrain, fouillé, creusé, puis retourné, a apparemment livré tous ses secrets, puisqu'il a été décidé de le remblayer et de le niveler. L'affaire avait encore attiré à distance respectable, hier, quelques journalistes flamands et français, dans une rue Daubresse presque rendue à sa vocation première de petite artère paisible. L'épicerie du coin, ce «Poids d'or» qui avait été le refuge et la centrale alimentaire de tous ceux qui attendaient l'événement, a repris son rythme d'activité normal.
Le long de la rue, quelques maisons arborent encore les photos des avis de recherche de Julie et de Mélissa, les deux premières victimes de Dutroux.
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KEUMIEE

A la recherche de quoi ?


« La Meuse » jeudi 5 septembre 1996 page 14

0n avait fouillé la semaine dernière, on a repris mardi, on ira au finish. C'est tout ce qu'on sait de ce qui se passe à Keumiée. Qu'y cherche-t-on ? Mystère.

Laissé au repos pendant une huitaine de jours, l'ancien chantier de démolition de Bruno Taglaferro, rue de la Brasserie à Keumiée, à la limite de Wanfercée-Baulet, est à nouveau fouillé depuis mardi. Lors d'une première étape, une pelleteuse avait été amenée sur les lieux, tandis qu'une trentaine de gendarmes venus de Sambreville, mais aussi de Bruxelles, venaient en renfort, encadrer ces travaux de fouilles. Dès mardi soir, une grue supplémentaire était amenée sur les lieux, en provenance du Génie civil.

Les travaux se sont poursuivis tard dans la nuit de mardi à mercredi, avant d'être suspendus puis repris hier matin. Ils devaient à ce moment être menés au finish, disait-on. Il s'agit de fouilles d'une grande envergure, puisqu'il s'agit de creuser sur une profondeur d'un mètre, et sur une superficie d'un hectare.

Qu'y cherche-t-on?
On restait fort évasif, hier, mais selon certaines rumeurs, il s'agirait d'armes ou d'au moins une arme. Mais visiblement, la nature du terrain ne facilite pas la tâche de ceux qui sont commis à ces travaux; on disait hier qu'on mettait au jour des débris divers, souvent en provenance de véhicules multiples: morceaux de carrosserie, vieux pneus, etc...

Hier encore, le détecteur britannique amené par John Bonnet se trouvait sur les lieux, mais sans son utilisateur habituel, qui avait cédé le relais à ses assistants. Ils le faisaient passer et repasser méthodiquement, sur la surface à traiter.

En revanche, il n'était pas question d'amener là des chiens tels que ceux utilisés à Jumet, et spécialisés dans la détection de corps, ce qui confirme bien qu'on n'est pas à la recherche de cadavres mais bien, comme on le dit mystérieusement, « d'indices ».

P.M K. Photo A. Madi
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De plus belle, à Sars la Buissière

« La Meuse » jeudi 5 septembre 1996 page 14

En milieu de matinée, hier, l'activité reprenait au domicile de Marc Dutroux, à Sars-la Buissière.

Comme précédemment, un irnportant matériel de la Protection civile est arrivé sur les lieux. Un peu plus tard a suivi la pelleteuse qui avait servi à Jumet. Tout le périmètre était bouclé - deux gendarmes faisaient même le guet sur le toit plat d'un bâtiment proche – et on apercevait seulement le va-et vient des camions bleus, emportant d'importantes quantités de débris.
De loin, on voyait aussi la grue inlassablement à l'ouvrage. Le seul véritable événement de la matinée a été l'arrivée d'un hélicoptère: on a supposé un instant que Dutroux ou un des membres de sa bande pouvait se trouver à bord. En fait, il s'agissait de gendarmes.
A plusieurs reprises, an a aperçu le bourgmestre André Levacq. Lorsque nous l'avons interrogé, il s'est borné à dire que la tâche de ce jour consistait à déblayer le terrain de tous les encombrants avant d'entamer d'autres recherches. Un terrain dont la superficie est double de celle de la propriété de Jumet.

D'autres sources cependant, faisaient état d'une information (non confirmée) selon laquelle les enquêteurs s'intéressent aussi au champ d'un voisin de Dutroux. Le fils du propriétaire de ce champ fait des terrassements chez lui et vient, semble-t-il, déverser les terres excédentaires chez son père. D'où l'hypothèse que Dutroux aurait pu profiter de ce remblai pour y dissimuler discrètement des indices.

Dans le courant de la journée, on a également affirmé que le «nez» hollandais, Harry Jongen, se trouvait sur place. Pour mémoire, celui ci est un spécialiste mondialement connu dont le flair s'est souvent montré infaillible pour la détection de cadavres.
En fin d'après-midi, les chiens policiers allemands étaient également amenés sur les lieux et les fouilles se poursuivaient, à la faveur du temps ensoleillé.

F.Q.
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BIERCEE

Dans les bois près du chemin de fer et de la Sambre


« La Meuse » jeudi 5 septembre 1996 page 14

Hier, vers onze heures, une colonne de véhicules des forces de l'ordre a traversé Biercée sous l'oeil étonné de quelques rares passants, empruntant en suite les rues tranquilles d'un petit lotissement pour arriver au chemin du Bois Navez.

Ce cul-de-sac très calme, bordé seulement de deux ou trois habitations et de champs, se termine à proximité de la voie de chemin de fer et de la Sambre.
Certains riverains avaient entendu dire que les forces de l'ordre se dirigeaient vers la rivière, dans l'espoir d'y retrouver une automobile que Dutroux aurait jetée à l'eau. En réalité, c'est dans un petit bois longeant le chemin du Bois Navez que les recherches ont débuté.

Sur place, on reconnaissait essentiellement les voitures blanc et vert des policiers allemands avec leurs chiens spécialisés dans la recherche des corps. Ils étaient accompagnés par quelques collègues belges et, semble-t-il, par un membre de la DVI (disaster victims identification). Un garde forestier avait prévenu de l'arrivée des enquêteurs qui n'avaient cependant pas précisé le but de leur mission. Ils n'ont guère été plus causants une fois sur les lieux: on nous a seulement confirmé qu'il s'agissait bien de visiter un petit bois tout proche.

Des voisins nous ont expliqué ensuite que ce terrain boisé donnait sur une espèce de clairière ou de prairie dans laquelle se trouvaient une maison abandonnée et les ruines d'une seconde. Elles sont, dit on, dans cet état depuis de longues années et n'appartiendraient en aucune manière à Dutroux. De l'autre côté de la Sambre, on pouvait effectivement apercevoir les policiers à la tâche.
Cependant, les fouilles ne semblent pas avoir été concluantes puisque vers deux heures, tout le monde reprenait la route de Sars la Buissière, sans commentaire.

F.O. Ph. Denis Gauvain
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Une fillette anversoise abusée a dit reconnaître Michel Nihoul

« La Meuse » jeudi 5 septembre 1996 page 14

Une fillette, abusée sexuellement par son beau-père et des complices de ce dernier, a reconnu spontanément Michel Nihoul comme un de ses abuseurs sur les images de télévision.

Sa mère en a avisé le parquet d'Anvers. L'enfant a été entendue et son témoignage a été joint au dossier. Selon certaines sources judiciaires, une copie du dossier a été transmise au parquet de Neufchâteau.
Fin mai, le beau-père avait été arrêté pour son implication dans un enlèvement manqué à Anvers, Nationalestraat.

Cet homme était connu de la justice. Il avait été condamné pour faits de moeurs commis sur les enfants de sa compagne. Il a été interné.
La semaine dernière, une des filles abusées par cette homme a dit à sa mère « Regarde la télévision. C'est Jean
Michel. Je l'avais vu à Bruxelles. » Depuis lors, la fillette, qui a appris le sort de Julie et Mélissa, doit suivre un traitement psychiatrique.
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« Le Soir » ses « errements » et ses « fantasmes »

« La Meuse » jeudi 5 septembre 1996 page 14

Faut il à tout prix, être les premiers à donner une information, quelle qu'elle soit?

Faut-il, pour y parvenir, prendre le risque de briser une enquête? Faut-il, aux mêmes fins, lancer des bruits et des rumeurs, en salissant par allusion, en feignant de tout savoir de loin et sans rien dire de précis? C'est la question qu'on pose on allait écrire « en toute confraternité», mais on n'en est plus là au journaliste du journal « Le Soir » Alain Guillaume.

Pourquoi le faisons-nous? Pourquoi étaler ici une querelle dont on dira qu'elle est à usage journalistique interne? Pour ceci.

1. Pour être le premier, «Le Soir» avant que ne soient sauvées Laetitia et Sabine, avait annoncé que l'enquête sur leur enlèvement se déplaçait vers Charleroi. Nous le savions aussi, on nous avait demandé de le taire et nous l'avons fait pour ne pas prendre le risque de voir fuir les kidnappeurs ou, pis encore, de mettre en danger les victimes.
Sans doute ces considérations de basse police n'intéressent-elles pas « Le Soir », qui a estimé utile de les publier, en exclusivité.

2. La semaine dernière, alors que venaient de débuter les fouilles de la rue Daubresse, à Jumet, le même confrère a jugé urgent d'annoncer qu'il se trouvait cinq victimes dans le terrain fouillé.
Rien, à ce moment-là, n'était moins sûr, mais c'était le prix d'une exclusivité qui a valu au « Soir» une édition spéciale, démentie à pas feutrés le lendemain. Alain Guillaume avait pu ainsi, le premier, publier que l'horreur atteignait des sommets à Jumet, en annonçant en primeur aux parents d'An et Eefje qu'ils n'avaient plus rien à espérer.

3. Dans son édition d'hier, le même journaliste écrivait ceci, qu'on ne résiste pas au plaisir de répéter, tant c'est symptomatique d'un certain esprit: « On sait que depuis des années, de lourdes suspicions pèsent sur l'imbrication des milieux mafieux et judiciaires à Charleroi (et dont certaines photos semblent attester). Plus précisément, on évoquait régulièrement des trafics d'autos, des parties fines » et des chantages qui auraient miné le fonctionnement de l'arrondissement judiciaire depuis longtemps. Les noms de plusieurs magistrats, de policiers judiciaires et de trois gendarmes sont régulièrement cités dans le contexte de ces affaires. » Fermez le ban, fin de citation.

Ces informations ont été démenties officiellement hier matin par le procureur du Roi de Neufchâteau Michel Bourlet, après avoir été reprises abondamment par la presse radio-TV.

On ne saurait mieux pratiquer l'amalgame rapide et le fantasme, en manipulant des images qui font rêver le bon peuple: des magistrats impliqués, lesquels? Qu'on aille jusqu'au bout de son courage, qu'on cite des noms! Des trafics qui unissent, main dans la main, en une sarabande vicieuse, des mafieux et des enquêteurs, que rêver de mieux, n'est-ce pas, dans un arrondissement lui-même rongé par tous les types de criminalité? Vu de Bruxelles, d'où on explore les alcôves de la basse province,l'image était tentante, il y a succombé.

Hier après-midi, le procureur du Roi de Charleroi, Thierry Marchandise, visiblement à cran, a lu un bref communiqué qu'il n'a voulu assortir d'aucun commentaire, sans doute parce qu'il est des silences glacés plus éloquents que de longues supputations.

En voici la teneur: «Je vous informe que j'ai pris connaissance ce matin d'articles de presse selon lesquels des magistrats ont pris part à des trafics de voitures volées et à d'autres activités délictueuses. Devant l'émotion et l'indignation que ces articles ont soulevées, et en raison de l'impossibilité dans laquelle se trouvent ces magistrats d'y répondre, j'ai écrit ce jour même au ministre de la Justice en lui demandant de charger l'autorité adéquate de faire la lumière sur ces rumeurs.»

On s'en voudrait d'ajouter quoi que ce soit à cette réaction, et à la brève énumération des errements de notre confrère bruxellois depuis quelques semaines.

On dira cependant encore ceci. Dans des colloques pointus qui se tiennent ici et la, on se gargarise en évoquant la grande presse (évidemment nationale et bruxelloise), rempart de toutes les formes de la démocratie, face à la presse dite populaire, qui flatte les goûts les plus bas de son lectorat.


On laisse désormais tout un chacun libre de comprendre où se trouvent les uns et les autres, en disant encore ceci, qui constitue à nos yeux la cerise sur le gâteau: M. Alain Guillaume fait partie du Conseil de déontologie de l'Association générale des journalistes professionnels de Belgique, celui-là même qui se charge, avec une ardeur digne de tous éloges, de chercher des poux le plus souvent inexistants dans la tête de ses confrères. Il est des balais qui, souvent trouveraient leur meilleure utilité à balayer devant leur propre porte.


C'est provisoirement tout.

Philippe MAC KAY




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