lundi 9 février 2009

Ordre, calme et dignité(«Dernière Heure» 21 octobre 1996 pg12)


Ordre, calme et dignité

 « La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 12

AU DÉPART DE LIÈGE-GUILLEMINS

LIÈGE-Du monde, des petits et des grands, une foule compacte dans l'attente du train. Mais aussi -c'était le voeu le plus cher des parents de Julie et Mélissa- du calme et de la dignité, de l'ordre et de la retenue.

« Jusqu'à présent, il n'y a pas eu le moindre problème. Pas de calicot à l'horizon, pas d'agitateurs », se félicitait, peu après 11 heures, un des contrôleurs de Liège-Guillemins. Et de se réjouir de ce succès de foule: « Rien qu'à Liège, on devrait avoir vendu treize ou quatorze mille billets pour Bruxelles, deux nouveaux trains ont dû être affrétés ce dimanche, ce qui porte à six le nombre de trains spéciaux.

Si je n'avais pas été de service, je les aurais rejoints moi aussi. Tout ce monde, c'est encourageant. Ça signifie que la solidarité existe encore, que le peuple n'est pas en léthargie et qu'on sait encore le faire bouger lorsque ce sont des causes qui en valent !a peine ».

L'oeil rivé au tableau des départs, Martine, une fonctionnaire de 45 ans, avoue son impatience. « J'ai laissé passer le train d e 11 h 02, il y avait trop de monde et je n'ai pas osé monter avec les enfants. J'ai déjà hésité à les prendre avec moi, on annonce tellement de monde...

Ce n'est pas très rassurant, j'espère qu'il n'y aura pas d'incident et que e cortège ne fera pas du sur-place.

Mais je crois aussi que c'est un moment fort que doivent vivre les plus jeunes. Ce sont les premiers concernés et il faut montrer aux politiques, comme à la justice, que les enfants, c'est sacré, qu'il faut les protéger absolument.

Espérons que...

Sur le pas de la gare, quelques sympathisants du PTB distribuent leurs tracts et leurs journaux, répétant leur

« Révolte contre une fausse démocratie», accusant les gendarmes d'être « les gardiens des riches ». Des discours et des interpellations qui se font dans l'indifférence quasi générale, on assiste même à quelques sautes d'humeur:

« On vous a déjà interdit de récupérer la manif et cela ne suffit pas, faut-il donc tout politiser ? C'est une marche blanche pas un débat ou un mouvement de protestation. Respectez au moins la peine des parents des fillettes »

Mais ce ne sont que quelques mots élevés un ton trop haut. Les policiers en faction n'ont pas eu à intervenir.

« On est la pour prévenir tout incident, mais tout se passe bien. Espérons que nos collègues bruxellois n'auront pas, eux non plus, à intervenir ».

Jo. M.

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Légendes des photos :

Six trains spéciaux partaient de Liège - Guillemins. (Doc. DH)

A neuf heures, les premiers manifestants présentaient leurs billets. (Doc. DH)

 

Les photos d’un événement qui aura marqué l’histoire de la Belgique(«Dernière Heure » 21 octobre 1996 pg 6et7)


Les photos d’un événement qui aura marqué l’histoire de la Belgique !

« La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 6 et 7

 Commentaires des photos de haut en bas et de droite à gauche :

Page 6 :

Les parents des victimes ont reçu le soutien inconditionnel et chaleureux de toute une population. Paul Marchai, le papa d'An, a retrouvé le sourire. Il n'en finit pas de serrer les mains tendues. Son fils, Chris, le précède. (Ph. Reuter)

Les familles des enfants disparus ou assassinés ont tenté en vain de gagner la tête de la marche. Une foule compacte était déjà massée sur les boulevards. Ici, Nabela Benaïssa, la soeur de Loubna, et des proches. (Ph. Belga)

Ni Wallons ni Flamands, mais des Belges unis à la mémoire des enfants martyrs de la pédophilie. (Ph. Etienne Ansotte)

Trois générations sur une image. Personne n'est resté insensible à l'appel des familles éprouvées. Même les plus jeunes ont compris toute l'importance d'être ensemble dans la rue. (Ph. Etienne.Ansotte)

Des milliers de casquettes et de photos de Julie et Mélissa ont été distribuées aux marcheurs. (Ph. Associated Press)

Deux heures avant le départ officiel de la marche blanche, les manifestants étaient déjà rassemblés devant le podium où les parents sont venus parler. Un des moments les plus émouvants de la journée. (Ph. Belga)

Nombre de Bruxellois habitant le long du parcoure ont eux aussi participé à leur manière, en saluant les marcheurs ou en décorant leur balcon (comme ici sur le boulevard Emile Jacquemain). (Ph. Etienne Ansotte)

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 Page 7 :

Une vue aérienne du point de départ de la manifestation. Des dizaines de milliers de personnes attendent patiemment le moment d'entrer sur le boulevard (au bas de l'image) qui les mènera vers le centre de la capitale. (Ph. Belga)

Le souvenir et l'avenir à préserver. Deux fillettes, un sourire de gamin. Symboles d'innocence. (Ph. Étienne Ansotte)

La manifestation avait un caractère très familial. Beaucoup de parents sont venus avec leurs enfants. (Ph. Etienne Ansotte)

Les organisateurs craignaient que de nombreux enfants ne se perdent dans la foule. Il n'en a rien été. Seule une vingtaine de bambins ont été confiés à la police, qui a retrouvé les parents. (Ph. Étienne Ansotte)

 

 

La plus émouvante des solidarités(«Dernière Heure» 21 octobre 1996 pg 5)


La plus émouvante des solidarités

 DES FLEURS BLANCHES PAR MILLIERS

 « La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 5

BRUXELLES - Encadrée de ses parents, une fillette aux cheveux blonds s'approche du panneau à fond bleu où les noms des petites victimes ont été inscrits. Elle commence à lire la liste : « Inge, Julie, Élisabeth, Mélissa, Nathalie, Kim, Patricia, Ken, Gevrije, Eefje, An, Laetitia, Liam, Sabine, Sylvie et les autres... Papa,, tu as vu ? Ils ont oublié Loubna

Le papa de la fillette aux cheveux blonds sort un stylo et rajoute à la hâte le nom de loubna. Les policiers qui canalisent la foule le regardent d'un air complice. La fillette aux cheveux blonds se dresse alors sur la pointe des pieds et jette une rose blanche sur un amas de fleurs. Elle regarde une dernière fois le panneau avant de disparaître. Anonyme comme ces dizaines d'autres milliers de gosses et de parents qui, après avoir marché du bd Emile Jacquemain au bd Lemonnier, ont laissé en fin de parcours un dernier symbole d'espoir et de pureté.

Ce qui frappe d'abord au carrefour du boulevard Lemonnier et du boulevard du Midi, c'est le calme. Lourd. Pesant. Révélateur aussi de l'état d'esprit qui caractérisera ce dimanche 20 octobre qu'aucun Belge n'oubliera. C'est dans le calme qu'ils ont défilé. C'est dans le calme qu'ils iront déposer les fleurs. C'est dans le calme qu'ils quitteront ensuite le cortège pour rentrer chez eux.

Applaudissements

C'est donc sans aucune bousculade mais malgré tout dans le désordre que pratiquement tous les marcheurs blancs vont répéter les mêmes gestes. Une approche difficile, un bref mais sincère moment de recueillement, un regard tendu vers ces noms qui représentent l'innocence volée et, parfois, une larme qui coule sur la joue. Certains s'attardent plus longtemps que d'autres. Ils écrivent un mot qu'ils glissent dans le bouquet ou se font carrément la courte échelle pour inscrire un message sur le panneau. A l'instar de ce scout namurois qui sortira un marqueur noir pour griffonner une formule en lettres capitales que personne ne contestera :

« Tous les enfants du monde entier sont égaux et doivent le rester. »

Régulièrement aussi, des salves d'applaudissements viennent rythmer cette émouvante procession.

A 15 h 20, quand les papas de Julie et Mélissa, ayant pris place dans un combi de la police communale, font leur apparition sur le boulevard du Midi, ce n'est même plus une salve mais un tonnerre de bravos et d'encouragements qui les accueille. Les mamans qui suivent suscitent les mêmes ovations.

A quelques mètres de là, des familles, tout de blanc vêtues, procèdent à un lâcher de ballons. Des milliers d'yeux suivant alors ces petites boules blanches valser dans le ciel gris.

Je suis restée bloquée de très longues minutes à la Bourse, nous explique Martine, 38 ans et mère de deux enfants. Mes gosses étaient fatigués et je craignais de ne jamais arriver jusqu'au point de dislocation de la marche. Mes enfants m'ont dit qu'ils ne voulaient pas partir et nous avons été jusqu'au bout pour déposer ces fleurs. C'est la première fois que je descends dans fa rue et je trouve que cette ambiance est formidable.

Plus loin, une maman d'origine marocaine regrette qu'on ait oublié le nom de la petite Loubna sur le panneau. « La seule fausse note » de cette journée, confie-t-elle.

Pour le reste, nous avons donné une belle leçon à tous ceux qui voudraient étouffer cette affaire.

II est 18 h et on ne distingue déjà plus le panneau. Pas à cause du soir qui tombe, mais des fleurs qui n'en finissent plus d'être déposées. La plus belle des signatures que les marcheurs blancs pouvaient laisser...

 

Lorfèvre

 

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 FRANÇOIS CHANTE DUTEIL

Le cœur rempli d'espoir

 « La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 5

BRUXELLES – « Pour les enfants du monde entier Qui n'ont plus rien à espérer je voudrais faire une prière à tous les maîtres de la Terre ».

L'émotion était éminemment palpable dans cette foule d'une exceptionnelle ampleur, hier, vers 13 h 30, lorsque François Saussus a entonné les premières notes de la merveilleuse chanson d'Yves Duteil

Pour les enfants du monde entier véritable hymne à l'amour, à la tolérance et au respect. Lors des funérailles de Julie et Mélissa, le 22 août, le jeune Namurois avait profondément ému l'assistance par sa très belle interprétation de ces quelques couplets aussi purs que du diamant.

« Je n'ai pas l'ombre d'un pouvoir, mais j'ai le coeur rempli d'espoir et de chansons pour aujourd'hui qui sont des hymnes pour la vie. »

Autour du podium installé devant les bâtiments de la Communauté flamande, à deux pas de la place Rogier, des dizaines et des dizaines de milliers de regards convergents vers François, qui intervient après les discours des parents des petites victimes. A ses côtés, Laetitia et Sabine lâcheront, un peu plus tard, deux colombes, merveilleux symboles de paix et de pureté.

« A chaque enfant qui disparaît, c’est l'Univers qui tire un trait,sur un espoir pour l'avenir,de pouvoir nous appartenir. »

Larmes aux yeux

Jocelyne, une jeune maman venue de Tournai, enserre dans ses bras sa petite fille, Sandra, âgée de six ans. « J'aime cette chanson, parce qu'elle exprime avec des mots simples ce que je ressens. J'en ai les larmes aux yeux, chaque fois que je l'entends. »

Ce sentiment, chacun le partageait profondément. « La voix de ce garçon traduit si bien l'émotion qui nous anime tous aujourd'hui », raconte Élisabeth, qui a effectué le voyage depuis Gand. « Je n'ai pas d'enfant, mais cela ne m'empêche évidemment pas d'être solidaire d'un combat qui concerne l'ensemble de la population. » René, un pensionné de Mons, remet un mouchoir dans sa poche : « Le temps cicatrisera peut-être les blessures, mais elles ne se refermeront jamais vraiment ».

Pour les enfants du monde entier... François, pour la seconde fois en une poignée de semaines, nous a fait frissonner.

j. M.

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 Bilan positif pour la Croix-Rouge

 C'EST PRESQUE... MIRACULEUX

 « La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 5

BRUXELLES - Vers 19 h 30, au moment de la fin du cortège, le bureau Infopol de la police de Bruxelles n'avait recueilli, sur près de trois cent mille participants, que vingt-quatre enfants perdus, dont treize avaient déjà été restitués à leurs parents. Il en restait onze en attente de papas. Six cas étaient en passe d'être réglés. En restaient cinq plus difficiles...

Le plus patient était Christophe. Guère inquiet, il attendait depuis l'après-midi que ses parents viennent le récupérer en feuilletant un Spirou. Christophe n'osait pas le crier trop haut, mais il n'était pas pressé de rentrer chez lui, chouchouté comme i l l'était par des demoiselles de la police. Il faisait partie d'un groupe de scouts que la maire e humaine avait emporté tel un fétu de paille. Ayant perdu le contact, il s'était adressé au premier policier qu'il avait croisé. Au commissariat, la figure bonhomme du commissaire Cools l'avait vite rassuré.

Il avait pu choisir jeux, boissons et bédés préférés. Le psychologue n'a même pas eu à intervenir.

Le bureau des enfants égarés a eu du pain sur la planche. Il a recueilli Thibaut (10 ans), Christophe (7), Tarik (12), Yannik (12), Suares (13), puis Christophe (14), Jonas (10), Cindy (12), Sarah (16), Laurence (17), Geoffrey, Sébastien (11), loris (8) et encore Sarah (16).

Les parents ont bien compris le message : ils ont su exactement où et à qui s'adresser... et tout est à chaque fois rentré dans l'ordre.

Un Sébastien, qui avait perdu sa maman, a pensé comme un grand qu'il la retrouverait sans doute au commissariat. Elle y était !

Cent interventions

Saluons aussi le travail efficace de la Croix-Rouge : avec la police et la gendarmerie, elle est partie prenante au succès de la marche blanche. Quelques chiffres : 400 bénévoles avaient finalement formé des équipes d'intervention échelonnées tous les 400 mètres sur le parcours. Avec 35 ambulances prêtes à foncer sur l'hôpital le plus proche, c'est la participation la plus importante de la Croix-Rouge depuis les funérailles du roi

Baudouin. Son rôle s'est avéré plus qu'indispensable puisque, au dernier bilan, elle avait comptabilisé près de cent interventions, dont 1 (ou 2) malaise cardiaque.

La plupart - une soixantaine - des interventions ont été enregistrées en début de parcours. Les médecins les attribuent à l'engorgement qui s'est créé au départ de la gare du Nord. Ils ont eu à traiter des cas classiques d'hyperventilation, d'hypoglycémie et de crises d'asthme. Ajoutez quelques cas d'éthylisme et d'épilepsie.

La Croix-Rouge a assuré vingt transferts vers des hôpitaux, mais aucun de ces cas n'est préoccupant.

Ce qui, au vu au succès phénoménal de la marche, est purement et simplement miraculeux.

 

Gilbert Dupont

 

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 POUR UNE FAMILLE DINANTAISE EN TRAIN VERS BRUXELLES

 

Participer à la marche un devoir moral en famille

 « La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 5

DINANT - Il est 10 h chez les Colot. Derrière la fenêtre garnie d'une photo de Julie et Mélissa, l'ambiance, dans leur maison située sur la superbe place de Bouvignes, est aux préparatifs. Une longue journée s'annonce, en effet : celle de la fameuse marche blanche dans Bruxelles, à laquelle prendront part Jean, 40 ans, professeur de langues germaniques à l'Institut Cousot, Cécile, 39 ans, femme au foyer, et leurs deux aînés, Yannick, 13 ans, et Kathleen, 12 ans. Le petit dernier, Nicolas, 8 ans, restera chez ses grands-parents.

Devoir moral

Vers 10 h 20, la sympathique famille embarque dans le train à destination de la capitale. Quelques collègues de Jean l'ont rejointe à la gare de Dinant. Dans le compartiment de plus en plus bondé au fil des arrêts, les conversations vont bon... train. « J'ai un peu peur des grands rassemblements, explique Cécile, mais il faut dépasser cette crainte, car si on n'y va pas cette fois-ci, on n'ira jamais. » « Pour moi, participer a cette manifestation est un devoir moral, poursuit Jean. Il faut montrer aux parents des enfants disparus qu'on est derrière eux, pour leur donner l'énergie de continuer. Honnêtement j'y vais aussi parce que je râle. En tant qu'enseignant on me demande de bien m'occuper des enfants. Or, ici, on avait un juge qui, dans son domaine, agissait de la sorte et on le dégomme

Kathleen et Yannick sont, eux aussi, convaincus de l'utilité de leur démarche. « C'est pour me défendre symboliquement contre Dutroux », raconte Yannick. Et sa maman de souligner que ce sont les enfants eux-mêmes qui ont décidé de suivre. Les événements, en effet, sont loin de les avoir laissés indifférents, comme en témoigne cette interrogation qui a fait suite au dessaisissement du juge Connerotte : « Pourquoi est-ce qu'on donne raison à Dutroux ? »

Mais voilà qu'il est 12 h 15. Le train entre en gare du Nord, son terminus. Au milieu de la foule, chacun-cherche à s'assurer de ne pas perdre les autres. Après avoir délesté son sac à dos de quelques sandwiches, le groupe parvient à la place Rogier vers 13 h 30. Ce sera le début d'une longue attente qui le verra se mettre très lentement en route plus d'une heure après...

Laurent Belot

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Les enfants, venus nombreux, ont aussi droit à la parole

 MARQUÉS PAR LES ÉVÉNEMENTS

 

« La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 5

BRUXELLES - Des milliers d'enfants ont participé à la marche blanche. Ceux que nous avons rencontrés sur le parcours n'avaient pas suivi leurs parents par hasard.

Tous ont été marqués par les événements des dernières semaines.

Mélanie (10 ans), de Mons : « C'est la première fois que je manifeste... J'ai moi-même demandé à mes parents de venir ici. Il faut aider !es familles des enfants. On a parlé à l'école de ce qui s'est passé.

C'est dégueulasse. Mais je ne sais pas ce que l'on doit faire pour que cela n'arrive plus. C'est à la justice d'agir, pas à nous !

Eric (11 ans), de liège : A l'école, certains enfants ont encore peur. On essaie de moins en parler entre nous. C'est bien de voir autant de gens. On est tous ici Pour soutenir les parents de Julie et Mélissa. Si je pouvais les croiser, je leur dirais de continuer à se battre pour connaître la vérité. »

Rémy (10 ans) et Céline (8), de Thuin : « On vient dire aux ministres qu'on n'est pas d'accord avec la justice!

Les parents des enfants ne doivent pas se décourager. On leur dit bonne chance. »

Quentin (8 ans), de Charleroi : «Je n'ai pas envie que cela m'arrive, ça me fait peur. Aujourd'hui, tous les enfants disent qu'il faut que cela s'arrête.

Marie (10 ans), de Hamois : « C'est vrai que j'ai maintenant un peu peur. Je pense à elles. Je ne voudrais pas que cela m'arrive. Je suis venue avec papa et maman pour soutenir les parents des enfants tués ou disparus. Je crois que, pour eux, c'est un réconfort de voir tous ces gens à Bruxelles. »

Jessica (8 ans), de Godarville: «Je manifeste pour Julie et Melissa, pour les enfants disparus et pour le respect des enfants. Moi aussi, un jour, une voiture s'est arrêtée près de moi. C'était bizarre, j’ai un peu peur.»

Laurent (5 ans), de Hollain : « Dans ma classe, il y a une photo de Julie et Mélissa. Aujourd'hui, c'est une manifestation pour les enfants morts, comme si on allait au cimetière. Les gens ici disent qu'ils sont gentils.»

Nathan (11ans), Julie (7) et Jérémy (6), de Vaux-sous-Chèvremont: « Il y a vraiment beaucoup de monde et c'est normal. C'est pour Julie et Melissa; pour dire à leurs parents qu'on est avec eux. Dutroux, on doit le pendre, parce qu'il est très méchant ! »

B. F.

 

 

 

 

 

 

 

Quand la colère rencontre la tristesse( «Dernière Heure » 21 octobre 1996 pg 4)


Ils ont fait entendre leur voix

 Une marche qui nous rend fiers

 « La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 4

Le peuple belge vient de démontrer, à ceux qui osaient encore en douter, qu'il est capable de se mobiliser pour les causes les plus nobles.

Le triomphe de la marche blanche d'hier, la dignité dont ont fait preuve ceux et celles qui y ont participé et l'absence totale de tensions linguistiques au sein du cortège prouvent que le bon sens et le courage n'ont pas déserté ce pays.

Bruxellois, Wallons, Flamands et familles issues de l'immigration ont défilé côte à côte, unis dans la même douleur. Toutes les différences étaient gommées, tous nos conflits un peu mesquins oubliés le temps d'un après-midi.

Pas de cris, peu de banderoles, énormément de chaleur humaine et d'émotion. Trois cent mille citoyens responsables, soutenus par la quasi-totalité de la population, ont redoré le blason de notre démocratie.

Oui, la marée humaine qui, pendant de longues heures, a pacifiquement occupé le centre de Bruxelles nous a remplis de fierté. Comme elle a, sans aucun doute, mis beaucoup de baume au coeur des parents des petites victimes, devenus de véritables héros aux yeux de l'opinion publique...

La marche blanche tant attendue a rencontré toutes les espérances. Il faudra maintenant qu'elle soit suivie d'effets dans le monde politique et judiciaire. Et cela, ce n'est pas gagné d'avance.

Certains misent manifestement sur un essoufflement du magnifique mouvement de solidarité qui, depuis plusieurs jours, traverse la Belgique comme un électrochoc. Ce lundi constituera sans aucun doute un jour-test pour la poursuite des événements.

Vendredi, le Roi, couvert par Stefaan De Clerck, a très clairement pris position, en critiquant les carences structurelles et humaines de la justice. le chef de l'État s'est engagé personnellement dans la bataille.

Il sait qu'il ne peut pas décevoir. Manifestement, Jean-Luc Dehaene a décidé d'écouter le message lancé par Albert II, puisqu'il a annoncé hier des mesures concrètes pour améliorer le fonctionnement de la magistrature. Voilà un bon début...

Michel Marteau

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 Quand la colère rencontre la tristesse

 « La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 4

TÉMOIGNAGES DANS LA FOULE VENUE DE PARTOUT

BRUXELLES - « Nous n'avons pas hésité une seule seconde. C'est le moins que nous puissions faire pour montrer notre solidarité avec les parents, c'est évident. »

Elles sont trois. Mariette, Maria et Marie-Madeleine. Trois dans leur chaise roulante. Trois moins valides perdues dans une mer humaine. Trois dames d'un certain âge déjà, mais d'une gentillesse exquise, qui ne connaissaient pas vraiment bien Bruxelles – elles viennent de Visé -, mais ont voulu surmonter leur handicap. Pour rien au monde, elles n'auraient manqué cette marche blanche. Elles ont pris le train en gare de Visé à 9 h 38. Elles embrassent sur les joues les bagagistes des chemins de fer, qui les ont aidées.

C'est un dimanche où tout le monde est aimable, ou tout le monde se rend service, en souvenir de quatre petites filles dont les yeux se sont éteints à jamais, mais qui - disparues - n'ont jamais été aussi présentes.

« Nous sommes très motivées, disent-elles, parce que rien ne nous touche plus au coeur que les enfants. Si seulement cette marche pouvait empêcher à jamais les atrocités de cet été... »

Albert Bodson, 68 ans, est venu de Glimes. Ancien fonctionnaire au ministère de la Justice, Albert, foulard blanc au cou et larmes aux yeux, n'a qu'une confiance limitée dans l'appareil judiciaire. « J'ai fait

40-45, dit-il, puis la Corée. Je croyais pouvoir dire que j'avais à peu près tout vu dans ma vie. Les affaires de Dutroux et de toute sa bande, je ne m'en remets pas.

Quand le pense beaucoup à ces petites malheureuses qui ne demandaient qu'à vivre et à toutes ces crapules qui se sont rempli les poches sur leur martyre. Dutroux, c'est vrai, c'est une vermine, mais il y a plus haut que lui et ces gens-là, il faut qu'ils crachent. Quand j'entends l'avocat de Dutroux oser prétendre que son client se sent un peu dépressif depuis quelques jours! Et les parents d'Élisabeth, qui attendent depuis sept ans ?

Injustice

Les gendarmes ont travaillé quinze jours dans les trous de mines de Jumet, enchaîne un autre, ça nous a coûté combien, alors qu'on avait des types comme Dutroux, Nihoul, Lelièvre, Martin et tous les autres sous la main ? Il aurait fallu leur donner des pelles et des pioches pour travailler dans la boue. Personne n'aurait pleuré si les galeries s'étaient effondrées ou si les gaz les avaient asphyxiés, ça n'aurait été quel justice. C'est un peu facile, dormir en prison. Au fond du trou, Dutroux aurait vite craché le morceau... »

Les familles Houbeke et Pollet arrivent de Seneffe. « Par solidarité. Parce que nos enfants, Anatoon et Darleen, ont l'âge de Julie et Mélissa. Nous avons hésité à prendre les enfants. Nous nous sommes demandé si c'était bien prudent. Mais maintenant que nous sommes là, nous sommes heureux qu'ils soient avec nous.

Car cette marche blanche, c'est d'abord la leur. On est en train de montrer aux juges qu'ils ne peuvent plus reculer ni rien cacher. Je m'amuse aussi à chaque fois qu'on croise tous ces policiers et ces gendarmes qui nous surveillent et nous comptent. C'est très bien, mais, à l'époque, ils n'avaient pas 200.000 personnes à surveiller,ils n'en avaient qu'une, Marc Dutroux. Et ils n'ont pas été capables de le faire. »

Willy Houbeke regrette, lui, que cette marche blanche ait oublié quelqu'un, « ce petit jeune homme, dont personne ne connaît même le nom, mais lui a fait davantage à lui tout seul que nous tous réunis, en relevant l'immatriculation de la camionnette de Dutroux après l'enlèvement de Laetitia à Bertrix.

Le Roi a décoré Dirk Frimout, qui est allé se promener dans l'espace. Pourquoi pas ce garçon dont la perspicacité a fait éclater le scandale et a sauvé Sabine et Laetitia ?

Gilbert Dupont

 

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 Vedettes mais surtout citoyens

 NOMBREUSES PERSONNALITÉS PRÉSENTES

 « La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 4

BRUXELLES - « Si je n'étais que grand-père, vous m'auriez vu à la marche blanche. Mais je suis aussi Premier ministre et, en tant que Premier ministre, je ne crois pas que ma place était là. »

Beaucoup d'hommes politiques, qui sont aussi parents ou grands-parents, ont pensé, comme Jean Luc Dehaene. Soit ils ne sont pas venus, soit ils se sont montrés très discrets. Toujours est-il qu'on ne les a pas beaucoup vus hier.

Dans la foule anonyme, des visages étaient pourtant connus. Vers 16 h, nous avons ainsi croisé le chanteur Claude Barzotti visiblement content d'être là et surtout heureux d'une telle mobilisation.

Le message est clair, a-t-il encore ajouté. « Il faut changer certaines choses dans notre société. »

Le comique François Pirette est venu avec ses deux filles Sacha et Romy. « La raison de ma présence, elle est là », a-t il expliqué devant les caméras de RTL-TVi en montrant ses deux enfants. « Mais ce n'est pas François Pirette qui défile ce dimanche. C'est un anonyme et père de famille comme il y en a des dizaines de milliers aujourd'hui... »

Discrétion

Philippe Geluck a lui aussi décidé de participer à la marche blanche avec ses amis et toute l'équipe du jeu des dictionnaires. De même que Jean-Claude Defossé (RTBF) et Jean-Charles De Keyser, venus en famille, qui se suivaient à quelques mètres de distance.

Comme il l'avait promis, et malgré un agenda très chargé, Salvatore Adamo avait fait également le déplacement. Pendant près de trois heures, il a montré, lui aussi, qu'il avait été touché par les dramatiques événements qui ont secoué la Belgique ces dernières semaines. « Personne ne peut être indifférent. Nous sommes tous concernés par ce qui est arrivé et nous devons tous réagir. »

Portant la couleur blanche, comme l'avaient souhaité les parents des victimes, le dessinateur Tibet n'a pu cacher sa joie. « Comme de nombreux Belges, je suis venu manifester dans le calme et la dignité. Je m'attendais à voir du monde. Mais pas autant. Cette marche est une réussite totale. »

 

Ces vedettes, comme sans doute le chanteur de Soulsister, le champion de moto Gaston Rahier ou encore un des Snuls, voulaient surtout qu'on ne les mette pas en exergue. Elles soulignaient, à très juste titre, du reste, que, ce dimanche, c'était la population prise dans son ensemble qu'il fallait saluer pour cette mobilisation qui a dû faire chaud au coeur des parents des victimes...

Luc Lorfèvre

 

 

 

 

Le triomphe et la ferveur ( «Dernière Heure» 21 octobre 1996 pg 3)


Le triomphe et la ferveur

 DES ORGANISATEURS COMBLÉS, AU SOIR DE LA MARCHE-FLEUVE

 « La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 3

BRUXELLES - Avant le départ de la marche blanche vers 13 heures 45, ils se sont exprimés sur le podium dominant l'immense foule, à Rogier. Marie Noëlle Bouzet (maman d'Elisabeth Brichet), les Lejeune, les Russo, les Marchal et les Benaïssa.

Tous organisateurs de cette balade dominicale de tous les espoirs, ils ont ensuite ouvert un cortège sans queue ni tête, beaucoup trop grand pour le parcours prévu... Après leurs allocutions à la foule, sous un tonnerre d'applaudissements, les désormais célèbres parents de victimes de Dutroux ont fendu la masse blanche.

De Rogier, vers de Brouckère. Entourés d'un cordon de forces de l'ordre mis à l'épreuve d'un enthousiasme populaire plus que délirant, les organisateurs ont ensuite été contraints de quitter le lit de la marche-fleuve.

Dans les petites rues voisines, pourtant, c'est la même cohue et la même bousculade géante pour approcher les stars du jour.

La petite Sabine Dardenne, qui avait tenu à accompagner les marcheurs blancs avec les Lambrecks et la famille de Laetitia Delhez, est en pleurs. Au cœur de la tempête, au coeur de la ferveur.

Tant bien que mal, les familles progressent. Rue de la Vierge Noire, finalement, elles s'engouffrent dans un fourgon. Seul moyen d'échapper au déluge. Il est alors 14 heures 50...

Reconnaissance envers tous

Après ce triomphe digne de toutes les plus grandes célébrités du show-business, les familles posaient hier un regard plein de reconnaissance envers la population. Un regard plein d'espoir aussi. « Laissez-moi le temps de réaliser... Je me souviens de cette énorme manifestation en 1983, contre les missiles. Déjà là, il y avait énormément de monde, mais, ici, c'est encore plus incroyable ! »,témoigne Louisa Russo. Et son mari de poursuivre ,Il y a eu une petite phrase qui a fait beaucoup parler d'elle, celle de Bourlet, qui disait :

On ira jusqu'au bout si on nous laisse faire... Moi, je dis maintenant qu'on ira jusqu'au bout, même si on ne nous laisse pas faire ! Apparemment, tout s'est déroulé dans le calme, comme nous le souhaitions. J'ai aussi vu beaucoup d'enfants. Cela m'a fait vraiment plaisir  Pour Jean-Denis Lejeune, trouver les termes exacts pour expliquer son état relève de l'impossible... « C'est indescriptible C'est la preuve que tous marchent dans le même sens, avec nous... Tout cela ne fera pas revenir notre petite Julie. Mais au moins, si leur mort, à elle et à Mélissa, pouvait avoir des répercussions positives... » S'il n'a pas peur de ce mouvement gigantesque, dont lui et les autres familles pourraient perdre le contrôle ? « Nous sommes prêts à assumer un maximum de responsabilités pour cette cause-là...

Message de paix

De son côté, Nabela Benaïssa ne peut qu'afficher le même optimisme face à cette mobilisation incroyable.

« C'est tellement réconfortant I Cela fait chaud au coeur de voir tous ces gens qui nous suivent. Merveilleux, vraiment I Et puis c'est un tel message de paix, cette marche. C'est d'ailleurs dans le même esprit que nous avons voulu rencontrer le premier ministre : pour lui donner un message de paix et espérer qu'il nous entende vraiment.

Épuisée mais ravie de cette journée historique, Mme Marchal tire le bilan. « On s'est levés à huit heures du matin, pour aller enregistrer l'émission de télévision, sur RTL-TVI, à 10 heures. Je suis heureuse de voir que la population nous soutient... Jean-Luc Dehaene nous a promis que l'enquête ira jusqu'au bout. II ne nous reste plus qu'à attendre, tout en restant vigilants...

Isabelle Blandiaux

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La fin des nominations politiques

LE PREMIER ANNONCE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE ET ENQUETE

« La Dernière Heure »  du lundi 21 octobre 1996 page 3

BRUXELLES - Un quart d'heure en avance sur l'horaire fixé, à 15 heures 45 hier, les cinq familles organisatrices (voir ci-dessus) du raz de marée blanc qui a déferlé sur la capitale entraient dans la résidence du premier ministre Jean-Luc Dehaene, rue Lambermont. Avec elles, les familles d'Eefje Lambrecks, de Sabine Dardenne et de Laetitia Deihez. Soit au total une délégation de 31 personnes.

Acclamées et portées par la foule, à nouveau.

Deux longues heures plus tard,alors que la rue est entravée par des barricades et que la presse (inter) nationale s'impatiente dans la cour de la résidence, les porte-parole sortent de leur entretien marathon, initialement estimé à 45 ou 60 minutes... Jean-Denis Lejeune ouvre le feu des déclarations. « On a parlé concrètement, dans une ambiance chaleureuse.

M. Dehaene s'est notamment engagé à créer en Belgique un centre de recherche des enfants disparus, à l'image du centre national de Washington. Ce centre privé fonctionnerait de façon indépendante, au niveau de tout le territoire européen. Le projet sera mis sur papier avant la fin de l'année. Je crois que cette manifestation a été la petite impulsion qui a fait tomber la pièce dans la machine...

 Quatre grandes promesses

Autres promesses du Premier, face à ses 31 visiteurs ? « L'enquête ira jusqu'au bout. Des sanctions seront prises au sujet des lacunes de l'enquête, et la commission d'enquête parlementaire sur ce sujet consultera les familles. La machine judiciaire va subir une modification de fond. Je tiens à rappeler que deux projets de loi ont déjà été déposés : l'un concerne le fonds d'aide aux victimes, l'autre une meilleure organisation des parquets. En plus, fin novembre ou début décembre, un conseil des ministres aura pour ordre du jour l'adoption de mesures légales pour un plus grand équilibre entre accusés et victimes qui se portent partie civile. « Je vais aussi tenter de faire réviser la Constitution, dans le but de mettre fin à la politisation des promotions dans la justice... », a expliqué Jean-Luc Dehaene, à l'issue des deux heures de discussions avec les familles des victimes de Marc Dutroux. Au sujet de cette éventuelle révision constitutionnelle, rappelons qu'actuellement dans la magistrature, les postes sont répartis en fonction de la représentativité des différents

partis... Ainsi, les nominations des juges d'instruction et des procureurs. A l'image de n'importe quelle autre fonction dans l'appareil d'État !

En guise de démenti sans doute des rumeurs selon lesquelles il souhaitait que la marche blanche fût le point magistral et final du mouvement, le Premier ministre a poursuivi : « J'ai félicité les parents pour la façon digne et sereine dont s'est déroulée la manifestation. Ce qui rend celle-ci encore plus impressionnante.

Cette marche marque l'aboutissement de tout un mouvement mais aussi un nouveau départ. C'est aussi cela que j'ai voulu dire à la délégation : nous vous avons compris et nous allons agir dans le sens que vous indiquez, de façon accélérée.

Pour Gino Russo, qui revendique le droit de conserver un œil sur l'enquête de Neufchâteau, il serait plus utile de donner des droits aux victimes plutôt que des aides.

Et de préciser : « On va vérifier que les parlementaires de la commission d'enquête n'ont pas d'accointance avec Nihoul. C'est la moindre des choses. Et à ce sujet nous rendrons un avis ».

Rendez-vous est pris pour la fin de l'année. Moment de la première évaluation après tous ces engagements de Jean-Luc Dehaene, nés d'une marche-fleuve.

 

I. B.

 

 

 

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