lundi 16 mars 2009

Une force immense et tranquille ( «Meuse »21 octobre 1996 pg 9)


Une force immense et tranquille

 « La Meuse » du lundi 21 octobre 1996 page 9

 Le mouvement enclenché hier engage l'avenir de notre société

 Combien étaient ils? 200.000 ? 300.000 ? 325.000 ? L'essentiel n'est pas dans un chiffre, même s'il établira un record de mobilisation dans l'histoire du pays : ces dizaines de milliers de citoyens qui ont déferlé dimanche sur Bruxelles viennent surtout de symboliser l'immense espoir de la population dans un changement fondamental de la société.

Cette énorme voix silencieuse, toute en dignité, chargée d'une émotion intense, traduit un véritable cri de révolte adressé au « système » et à l'ensemble de ceux qui en actionnent les leviers de commande.

Voici plus de vingt ans que les responsables politiques nous parlent d'austérité, d'assainissement, de normes budgétaires et de critères de Maastricht. Voilà des années que l'on nous construit un nouveau paysage institutionnel, dont les contours ne sont connus que de quelques spécialistes et dans lesquels le public y perd son latin. Depuis que Jean-Luc Dehaene s'est installé au 16, Rue de la Loi, toute la classe politique traditionnelle fait le même constat : le fossé entre les décideurs et le grand public n'a jamais été aussi profond.

Depuis le début des années '90, les partis de la majorité promettent qu'ils vont mettre au point le nouveau

« contrat pour la citoyenneté » et , en même temps, expliquent qu'ils n'ont pas les moyens financiers de leur politique.

Depuis toutes ces années d'austérité, la population a encore vécu la saga de l'argent sale: de l'affaire Agusta aux caisses noires de financement de partis , en passant par les démissions en cascade d'une série de personnalités politiques, la suspicion morale s'est ajoutée a l'incompréhension a l'égard du Landerneau politiqué. La Belgique a reçu le coup de grâce l'été dernier, en découvrant, au-delà de l'horreur et de la tragédie vécues par les enfants disparus et les familles de toutes les victimes, les atermoiements, les faibles ses et les dysfonctionnements de l'appareil judiciaire. Le désarroi est aujourd'hui à son comble, une semaine après le dessaisissement d'un juge devenu héros, pour avoir transformé des dossiers d'instruction en dossiers « sacrés comme la vie, sacrés comme l'amour», pour avoir tout fait, comme le disait dimanche encore la maman de Mélissa, pour que la vérité soit faite après le martyre des « petites princesses » disparues.

 «Merci»

La marche historique de dimanche ne peut s'arrêter à un chiffre record de participation, à l'intensité de l'émotion partagée par tout un peuple. Pour la première fois dans ce pays, au-delà de tous les clivages politiques traditionnels, de toutes les frontières linguistiques et de toutes les générations, un même message a été lancé d'une seule voix par la population : plus jamais cela. Cette grande marche d'espoir pour que l'enfant redevienne la priorité des priorités est aussi une très sérieuse salve d'avertissement lancée à tous les décideurs. Les marcheurs, dont la couleur blanche de l'espoir était le signe de ralliement, ont martelé les pavés de la capitale pour qu'un changement fondamental intervienne. Pour que cela change. Pour que l'espoir renaisse. Pour que des mesures concrètes soient mises en oeuvre pour reconstruire cette société. La rendre plus humaine. Plus proche des gens, des victimes de la pédophilie et de leurs familles. Et de tous les exclus tombés du train de la sacro-sainte croissance économique.

Cette cruelle absence d'humanité dans les contacts avec les parents des victimes a été évoquée et reconnue par le Roi Lui-même, à la veille de la marche blanche.

Mais l'ampleur sans précédent de cette marche « des fleurs », de cette marche « de la résistance » comme la qualifiait dimanche la maman d'Elisabeth Brichet dépasse tous les constats de carence, aussi exceptionnels soient-ils dans le chef du Roi.

Les remerciements émouvants adressés par les parents à l'ensemble des participants encourageaient à aller jusqu'aubout; à poursuivre les actions.

Le signal fort lancé par des parents acclamés sur tout le parcours de la marche blanche est clair: «devenez de nouveaux citoyens ». Dimanche, le pouvoir du citoyen s'est manifesté: «une nouvelle force est arrivée, née de l'innocence des petites victimes » constatait la maman d'Élisabeth Brichet.

Cette force, le pouvoir en place devra désormais en tenir compte et y répondre par des mesures concrètes. Interrompant la marche,les parents des victimes se sont rendus, dimanche après-midi, à la résidence du Premier ministre pour un entretien de trois heures au cours duquel des premières propositions concrètes ont été débauchées. Comme celle de la mise sur pied d'un National Center indépendant susceptible de rétablir l'équité quant aux droits des victimes.

Le mouvement qui a été enclenché lors de cette marche pour les enfants engage l'avenir de notre société. Initiée par l'ensemble des citoyens, les décideurs sont priés de prendre le train en marche. D'urgence.

Dirk VANOVERBEKE

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Bel effort de la SNCB

 « La Meuse » du lundi 21 octobre 1996 page 9

Combien étaient – ils exactement? Les chiffres officiels des forces de l'ordre se sont télescopés hier, passant de 275.000 à 100.000 pour ensuite repartir à la hausse. « Nous n'avons pu appliquer nos techniques de comptage, expliquait hier soir le capitaine Stratsaert, porte- parole de la gendarmerie. Tout le trajet était envahi, les gens revenaient à contresens, se dispersaient dans les artères latérales... »

Petit exercice arithmétique néanmoins: 115.000 tickets vendus par la SNCB + 200 bus d'une cinquantaine de passagers (10.000) + 25.000 véhicules stationnés sur les parkings de dissuasion = 150.000. Un strict minimum, auquel il convient d'ajouter tous ceux - les Bruxellois notamment ! - venus sur place par d'autres moyens... Conclusion: le chiffre de 200.000 est un seuil minimum!

La SNCB a fait un effort considérable. Si les horaires n’étaient pas tout à fait respectés, les trains se sont succédés à une cadence jamais vue. Au départ de Charleroi, peu avant midi, trois trains sont partis vers

Bruxelles en un quart d'heure. Bondés à chaque fois (1.500 personnes!). Aucun arrêt n'était prévu. Pourtant, au moins un train a fait une halte pour embarquer des passagers supplémentaires. Mais personne ne s'en plaindra.

A la gare du Nord, nous avons croisé Napoléon. Un des passagers marcheurs voulait sans doute montrer ainsi que nos lois ont été faites sous le règne d'un empereur qui a fait tuer pas mal de monde pour satisfaire sa gloire personnelle...

Ballons blancs, fleurs blanches, foulards blancs même au cou des chiens: le blanc, couleur de l'espoir, était de mise.

Mais pour certains fleuristes, comme celui de la gare du nord, c'était le jour de l'arnaque. 100Fb pour un brin de fresia blanc, un jour comme ça, c'est un peu fort de café noir, non ?

 Pas facile de trouver la sortie de la gare du Nord. Et quand plus de 100.000 personnes veulent sortir par des portes vitrées larges de 2 mètres, ça donne une idée de ce que doit ressentir un grain de sable dans un sablier. Heureusement, la bonne humeur était de mise. Et les messages diffusés par la SNCB agrémentaient la chose. Pas tant qu'ils aient été intéressants (sauf pour leur destinataire).

Mais ils étaient suivis d'un commentaire bien bruxellois offert par la speakerine... qui pensait que son micro était fermé. Le Mariage de Mademoiselle Beulemans en direct, en quelque sorte.

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Dehaene :  Des mesures concrètes en faveur des victimes

 « La Meuse » du lundi 21 octobre 1996 page 9

Le contact est-il sur le point de se renouer entre le chef du gouvernement et les parents des victimes lassés jusqu'ici de n'entendre que des mots, plutôt que des mesures concrètes? En tout cas, la teneur de l'entretien de trois heures qui se déroula à la résidence du Premier ministre, tandis que la marche continuait à battre son plein, a satisfait les parents.

Même s'ils ont chacun insisté sur la vigilance qu'ils continueraient à exercer, ils n'ont pas masqué que le premier ministre a ouvert la porte aux premières mesures concrètes.

Quant à Jean-Luc Dehaene, il s'est déclaré impressionner par le déroulement de la marche:

« Son succès est un signal.» Le Premier ministre a rappelé que l'enquête sera menée, sans entraves et jusqu'au bout et que le politique donnera les moyens nécessaires à la Justice pour atteindre cet objectif. II a aussi affirmé que l'on oeuvrera pour une Justice plus humaine, en la faisant passer du 19e au 20e siècle.

Jean-Luc Dehaene a certifié que des sanctions seraient prises après les dysfonctionnements mis en exergue dans le rapport de l'enquête sur l'enquête. II a précisé que les parents seraient entendus par ta commission parlementaire qui vient d'être constituée sur l'affaire Dutroux, Nihoul et consorts.

Deux projets de lois s'apprêtent encore à être déposés. le premier sur le fonds d'aide aux victimes, dont les critères seront assouplis, l'autre sur le collège des procureurs, afin de mieux organiser le Parquet. Le Premier ministre a encore ajouté que l'on mettra fin à la politisation des promotions dans la magistrature et que, d'ici à la fin de l'année, un conseil des ministres exceptionnels rétablira la balance en faveur des droits de la victime par rapport à ceux des accusés. II s'inspirera pour cela du modèle américain, en créant au niveau européen, en Belgique, l'équivalent du National Center, une institution privée, indépendante de la gendarmerie comme de la police judiciaire. Les premiers résultats de la mobilisation des citoyens?

D.V.

 

 

 

 

 

 

Des rues blanches de monde («Meuse »21 octobre 1996 pg 8)


 

Des rues blanches de monde

 

« La Meuse » du lundi 21 octobre 1996 page 8

 Une foule émue et admirative a répondu à l'appel des parents

Ce midi, rue Neuve, à Bruxelles, on se marche sur les pieds. A deux heures du départ de la marche, la rue est déjà noire de monde, ou plutôt blanche de monde, car la plupart des marcheurs ont répondu au voeu des organisateurs : ils arborent du blanc. Blancs les anoraks ou les foulards, blancs les ballons, blanches les casquettes en papier et les fleurs.

Beaucoup arborent aussi la carte-souvenir de Julie et Mélissa, distribuée par une jeune fille au chignon hérissé de... spaghetti.

Place Rogier, les escalators de la station de métro dégorgent un flot ininterrompu de voyageurs. Ce n'est encore rien en comparaison de la marée humaine qui s'écoule de la gare du Nord. « C'est méga-bourré », comme dit un gamin, le front ceint d'un linge blanc, en se penchant par dessus la rampe de sortie de la gare.

Beaucoup sont venus en famille, comme le souhaitaient les parents. On ne compte plus les poussettes et les porte-bébés. Les grands parents sont venus aussi:

C'est bien première fois de toute ma vie que je manifeste, dit une Bruxelloise de 76 ans. Cette fois-ci, c'est trop, il faut que ça change.» Sa fille précise : «c'est l'histoire de lundi qui m'a décidée (le dessaisissement du juge Connerotte et la visite des parents au ministère de la Justice). Je trouvais qu'ils (les parents) avaient l'air encore plus malheureux qu'avant...»

Mais tout le monde se sent concerné, tout le monde est venu; pas seulement les familles avec enfants. Les jeunes sont venus en bandes de copains ou en troupes de scouts. Il y a des personnes seules, il y a des couples d'amoureux. Il y a ceux qui ont amené leur petit chien, une cocarde blanche au collier, ou leur gros chien « vêtu » d'un T-shirt blanc. On parle français et flamand. Et aussi italien, arabe...

Méga-bourré l'espace Nord, cette esplanade où les parents des enfants disparus doivent prendre la parole avant d'ouvrir la marche. Devant cette foule immense, Marie-Noëlle Bouzet, la maman d'Élisabeth disparue en

1989 à Namur, dira un peu plus tard, la gorge serrée « quand j'étais petite, on me disait souvent que la foi soulève les montagnes. Je ne comprenais pas ce que cela voulait dire. Aujourd'hui, je le comprends. Merci... »

Dès avant 13 h, les alentours du podium sont déjà hors d'atteinte. Derrière, on piétine sur le boulevard Jacqmain, pratiquement jusqu'à la place De Brouckère, et dans toutes les rues adjacentes. On tend l'oreille désespérément pour capter quelques bribes des déclarations des parents. La chanson d'Yves Duteil «Pour les enfants du monde entier», chantée par le même jeune interprète qu'aux funérailles de Julie et Mélissa, soulève des applaudissements émus.

Plus loin encore, jusqu'au delà de la Bourse, les participants se sont résignés à ne jamais atteindre l'espace Nord, censé être le point de départ mais complètement saturé.

Ils se sont massés en deux haies compactes sur les trottoirs pour prendre la marche en cours de route. Et surtout, pour « Les » voir.

En écoutant cette impatience à «les» voir, on comprend un petit peu mieux quelle force soutient les parents des enfants disparus, mais aussi quelle pression pèse sur eux. Même les vieilles dames endimanchées n'hésitent pas à grimper sur les bancs publics, ni à rabrouer le jeune militant gauchiste porteur d'un calicot qui prétend les en déloger.

Sur la chaussée, pressés par une foule admirative, ces parents symboles ont de la peine à progresser, malgré les voitures de police qui tentent de dégager le passage. « Ç'a y est, je les vois, trépigne une dame. Ah non, ce n’est pas eux... Si ! Voilà Laetitia ! Bravo !

Comme elle est pâle, la pauvre petite... » Une petite fille exige de grimper sur les épaules de son père pour apercevoir Pol Marchal.

Les applaudissements sont chaleureux. Les familles bifurquent ensuite vers la Grand'place pour être emmenées en voiture chez le Premier ministre.

Là encore, la foule attend dans l'espoir de les voir, de leur faire un signe. Deux voitures de police passent, emmenant les parents de Julie, Mélissa, Elisabeth, An...

- « Et dans la camionnette, là, c'est qui ? », demande une marcheuse bruxelloise à sa voisine.

- « Ah mais c'est la famille, euh... la famille arabe, là. « Faut les applaudir, eux aussi. »

- «Mais bien sûr, 'y a pas de raison ! Parce que la fille, hein  ( Nabela, la fille aînée des Benaïssa) chapeau!»

- « Oui, elle est formidable!»

Corinne Toubeau

Photos: Bernard Delentrée

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Le père d'An Marchal : Vous êtes la chaleur de notre pays

 « La Meuse » du lundi 21 octobre 1996 page 8

Polarisant toutes les attentions des manifestants, suscitant des salves d'applaudissement à leur passage, les parents des petites victimes de Dutroux et consorts ont, une fois encore, impressionne par l'extrême dignité avec laquelle ils ont assume I énorme ferveur populaire de cette marche pour les enfants.

Tous ont souligné que cette « marche blanche » n'était que le « début » d'un mouvement qui se voulait beaucoup plus large à la conquête de toute la vérité.

Une précision qui vaut son pesant de son sens, lorsqu'on sait qu'une vive polémique a opposé dimanche le Premier ministre Jean-Luc Dehaene au père d An Marchal. Ce dernier avait en effet compris a l'issue d'un entretien, la veille, avec le chef du gouvernement, que celui-ci souhaitait que la marche de dimanche soit le point d'orgue aux manifestations.

Le premier ministre a vivement réagi à ce qu'il a qualifié de problème de communication, estimant que les propos du père d An Marchal avait dépasse sa pensée.

«Il est scandaleux d'imaginer que je souhaite la fin du mouvement alors que je ne cesse d'encourager à poursuivre les actions, a recherché la vérité, et j'ai d'ailleurs rappelé, in tempore non suspecto, lors de la table ronde de vendredi, au Palais Royal. Je ne comprends pas... »

Fermons la parenthèse du malentendu d'autant plus rapidement que I entretien entre le Premier ministre et les parents a apaisé (lire par ailleurs) tous les esprits.

« Vous êtes la chaleur de notre pays » devait déclarer le père d 'An aux marcheurs. « Merci à vous tous »,

« Merci d'être venus si nombreux »,

« Nous savons que nous pourrons compter sur vous à l'avenir »,«Je viens de recevoir un message de Julie ,elle est très fière de vous ».

Ce combat pour le droit à « tous les enfants d'être considérés comme des petits princes et des petites princesses » comme l'appelle Carinne Russo s'est déroulé dimanche sur le terrain de tous les citoyens et sans mot d'ordre sinon celui de la résistance dans une extrême dignité.

DV

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DÉROULEMENT

L'axe Nord-Midi n'a pas suffi à absorber cette marée

« La Meuse » du lundi 21 octobre 1996 page 8

La marche blanche a attiré une foule considérable hier à Bruxelles, 150.000 personnes selon les estimations les plus minimalistes, le double selon les organisateurs. Elle s'est déroulée dans le calme voulu par les parents. De très nombreux enfants y ont pris part.

Avant le départ, les parents se sont adressés à la fouie du haut d'un podium dressé à l'espace Nord. Ils ont ensuite pris la tête de la marche... autant que faire se pouvait car un grand nombre de personnes étaient restées bloquées en amont.

L'axe Nord-Midi, en partant du boulevard Jacqmain, n'a pu suffire à absorber cette marée humaine qui a débordé dans toutes les rues adjacentes au parcours. Il a même fallu dédoubler le cortège, une partie étant

« Détournée » vers le boulevard Pacheco.

A la gare du Midi, lieu prévu de la dislocation de la marche, les participants défilaient après 17H encore devant le panneau où sont affichées les photos des enfants disparus ou tués. Enfants, parents, adultes isolés y ont déposé des fleurs ou autres signes de témoignage.

Au même moment, les familles des victimes se trouvaient encore au 16 rue de la Loi où elles avaient une rencontre avec le Premier ministre Jean-Luc Dehaene.

Sabine Dardenne et Laetitia Delhez, libérées de la geôle de Dutroux le 15 août dernier, figuraient dans le groupe des invités.

Un petit groupe de manifestants a dévié vers le Palais de justice. Une certaine tension a régné entre les marcheurs « égarés » et les gendarmes, sans toutefois donner lieu à aucun incident sérieux.

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INCIDENTS

Quinze arrestations, quelques malaises...

« La Meuse » du lundi 21 octobre 1996 page 8

Les incidents que certains redoutaient n'ont pas eu lieu ! Que ce soit à la gendarmerie, à la police, où à la

Croix-Rouge, l'on soulignait hier soir le calme dont a été empreint la marche blanche.

Il a néanmoins été procédé à une quinzaine d'arrestations administratives, essentiellement de membres du PTB enfreignant les consignes en distribuant des tracts, notamment à la gare du Midi.

Les services d'ordre craignaient aussi que beaucoup d'enfants ne s'égarent. En fait, une douzaine de têtes blondes, seulement, ont malencontreusement lâché la main de leurs parents.

Âgés de 8 à 14 ans, ils se sont retrouvés dans le local spécialement aménagé pour eux au commissariat central de la police de Bruxelles.

La maman de l'un d'eux y attendait déjà sa progéniture. Une jeune fille de 19 ans s'est aussi présentée au commissariat, car elle avait.., perdu son chemin.

Quant à la Croix Rouge, elle ne comptabilisait hier soir que 80 interventions. Une peccadille face à la masse de gens qui ont défilé !

C'est en début de marche, surtout, que des malaises ont eu lieu, en raison des mouvements de foule. Les secours ont surtout été amenés à procéder à des hyper-ventilations et une vingtaine de personnes ont été évacuées vers les hôpitaux.

Mais, hormis encore quelques entorses, rien de grave ne fut à déplorer.

A.B.

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Légendes des photos

Des images qui resteront longtemps dans les mémoires: l'hommage d'un peuple à l'enfance. La plupart des marcheurs ont répondu au voeu des organisateurs: ils arborent du blanc. Blancs les anoraks ou les foulards, blancs les ballons, blanches les casquettes en papier et les fleurs.

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Sur la chaussée, pressés par une foule admirative, ces familles-symboles ont de la peine à progresser.

On entend : Voilà Sabine et Laetitia ! Bravo ! »

Autre symbole très employé dimanche: les spaghetti. Beaucoup arborent la carte souvenir de Julie et Mélissa, distribuée par une jeune fille au chignon hérissé de... spaghetti.

 

 

 

 

Tous à Bruxelles ! («Meuse» 21 octobre 1996 pg 7)


Tous à Bruxelles !

« La Meuse » du lundi 21 octobre 1996 page 7

 

Venus de tout le pays, des gens de cœur ont voulu participer à la marche historique

Les Liégeois ont probablement été près de 20.000 à se rendre à Bruxelles pour participer à la marche blanche.

Si la SNCB annonçait que Liège-Guillemins avait délivré 6.800 places en prévente vendredi, les guichets ont continué à vendre des billets toute la journée de samedi, et cela jusqu'à 21 h 50 !

L'affluence, dès dimanche 9 h 30, a nécessité la mise en service de sept trains spéciaux en lieu et place des quatre initialement prévus. Quant aux rames qui avaient été conservées en stand-by, elles ont toutes été jointes aux trains réguliers (deux par heure), qui, eux aussi, affichaient complet! Les billets continuant à se vendre dimanche, difficile de donner des chiffres précis. Le nombre de 15.000 voyageurs était le plus fréquemment avancé.

Spectacle étonnant que cette marée humaine de gens de tous âges au visage grave le plus souvent. Des sacs à dos, des sachets avec le pique-nique, mais aussi les brassards blancs, les fleurs blanches...

De multiples familles avec de jeunes enfants portant parfois au cou de petits cartons avec leur identité. Les mêmes mots reviennent sans cesse: « Soutenir les familles des victimes, savoir toute la vérité, mieux protéger nos enfants... »

Les trains qui arrivent de Welkenraedt, Verviers et Visé sont pleins comme des neufs ! Certains s'y infiltrent quand même; la plupart patientent stoïquement l'entrée en gare du suivant (une heure d'attente à Waremme !; on change de quai sans se plaindre. Pas de cohue, des gens calmes et résolus.

Dans les wagons, on s'assied à quatre par banquette, les gosses sur les genoux. Nombreux sont aussi les jeunes qui voyagent debout.

Plusieurs milliers de personnes sont également parties en voitures ou en autocars. A Rotheux-Rimière et Ivoz, ce sont ainsi dix autocars qui ont embarqué 525 personnes bénéficiant d'un voyage gratuit proposé parle comité de la brocante d'Ivoz, qui a même pensé à offrir à chacun une rose blanche. La bourgmestre de Neupré Josée Pagnoul-Demet et l'échevin André Sauvage sont du voyage.

Là aussi, ambiance lourde. Ce départ n'est pas celui d'une excursion de délassement. Quand s'ébranlent les cars, ceux qui restent expriment leurs regrets de ne pas être du voyage, comme cette jeune mère devant garder sa petite fille malade... « Mais la famille est quand même représentée. »

Tant à Neupré qu'aux Guillemins, on part sans crainte de se retrouver mêlés à des excès.

« Les appels au calme ont été entendus. Mais il faut que les autorités entendent l'appel du peuple belge, de toutes les familles belges ! »

La plupart ont confiance : « La marche blanche sera si importante qu'on ne pourra jamais l'oublier ! L'avis de toutes ces familles devra désormais être pris en compte. C'est une marche historique, si nous ne sommes pas entendus, c'est l'histoire belge qui basculera... »

Grand-père, Gilbert (56), de Neupré, ne peut maîtriser son émotion quand il évoque le sort de Julie et Mélissa, mais il est d'une extrême fermeté : « TOUS les coupables doivent être démasqués, sinon, il nous faudra remonter sur Bruxelles... alors, ce sera plus grave ! »

Rob

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 VERVIERS

Environ 2.000 au départ de Verviers-Central

« La Meuse » du lundi 21 octobre 1996 page 7

De mémoire de chef de gare, Verviers-Central n'avait jamais connu cela. Alors qu'un train spécial avait été ajouté à 12 h 08, dès le train de 10 h 26, ils étaient des centaines de personnes massées sur le quai n° 4.

La composition normale du 10 h 26 est de six voitures, nous avons dû en prévoir cinq de plus, et tout était bondé y compris les premières classes qui avaient été déclassées ». Pour le 11 h 26, ils étaient plus de 900 à attendre. Tous n'ont pu monter et ils étaient encore plusieurs centaines à embarquer dans le long train spécial démarrant de Welkenraedt.

Certains vêtus de blanc, ils étaient de tous âges et de touts horizons. Voyageant en solitaire, Nicole Boland, pré pensionnée verviétoise de 56 ans, ne voulait être ailleurs: « Il y a déjà beaucoup de monde, mais je trouve qu'il devrait y en avoir encore plus. Tout le monde devrait se mobiliser. C'est /a seule chose que nous puissions faire. Déjà à l'annonce du décès des fillettes, j'avais mis mon drapeau en berne... »

M. et Mme Damas, de Hockay-Francorchamps, sont accompagnés de Leur fille (7 ans) et de leur fils (4 ans) : « C'est très important d'y aller avec les enfants car c'est pour eux qu'il faut qu'on sache la vérité ».

Un bouquet de fleurs blanches à la main, Valérie Hubert (18) espère bien pouvoir déposer son bouquet au pied des portraits des enfants disparus, enfin de la manifestation. « Car c'est par respect pour les petites que j'y vais, pour qu'on ne les oublie jamais. Il y a aussi leurs parents qu'il nous faut soutenir pour leur courage. »

 

Jean Davenne, de Sart-lez-Spa et Rager Blondin, de Xhoffraix ont 70 ans: « Nous sommes là pour la protection et la sécurité des enfants. Mais aussi pour réclamer le plus d'éclaircissement possible sur ce qui s'est passé; que !es responsables des erreurs soient identifiés car on sent tout de même un blocage à un certain niveau. Bien sûr, l'être humain n'est pas parfait mais il y a des choses qu'on ne peut admettre. »

Dignité et respect étaient de mise au départ de Verviers.

P.M.  Ph. GDS

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Namur

Des enfants et des fleurs

« La Meuse » du lundi 21 octobre 1996 page 7

Des ballons blancs, des fleurs blanches, des vêtements blancs, des écharpes blanches, et bien d'autres accessoires...

A la gare de Namur, ils étaient des milliers, venus souvent déjà très tôt pour pouvoir emprunter les trains normaux. La précaution n'était pas inutile, puisque, en  fin de matinée, les convois venant de la province de Luxembourg étaient annoncés complets.

A l'origine, deux trains spéciaux étaient prévus aux alentours de midi, tandis que les trains habituels étaient sensiblement allongés. Il a même fallu les dédoubler pour pouvoir embarquer tout le monde.

L'ambiance était calme et digne. Beaucoup d'enfants, parfois même très jeunes, accompagnaient leurs parents. « C'est une marche pour les enfants, expliquait une jeune dame accompagnée de son mari et de ses trois garçons, et nous avons donc trouvé normal d'y participer avec les nôtres. On espère que tout va bien se passer, car il va y avoir une telle foule!»

 

Cet aspect des choses était bien présent dans les conversations entre les familles qui avaient prévu d'aller ensemble à Bruxelles. Mais la majorité des parents avaient manifestement bien entendu les consignes de sécurité expliquées par les medias, et presque tous les enfants portaient un carton attaché au cou, avec leur nom, prénom, adresse...

Pour le retour, c'était l'incertitude totale, puisque la SNCB elle-même annonçait que les horaires des trains seraient établis en fonction de l'heure de la dislocation du cortège. «J'essaierai de te téléphoner au moment du départ», criait une jeune fille à son père qui était venu la conduire à la gare en voiture.

De nombreux autres participants avaient choisi de venir au centre-ville en bus, des bus du TEC qui arboraient au rétroviseur un long ruban blanc.

 

A l'entrée de la gare, malgré l'interdiction qui lui avait été faite par le tribunal de Bruxelles, à la demande des parents de Julie et Mélissa, de tenter de récupérer cet événement, le PTB distribuait des tracts, et avait placardé dans les souterrains des affiches accusant la gendarmerie d'avoir «sabote l'enquête sur les fillettes disparues ».

M.D.

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 Huy

Un calme saisissant

« La Meuse » du lundi 21 octobre 1996 page 7

A l'instar de toutes les régions du pays, Hesbignons et Condrusiens s'étaient donné rendez-vous ce dimanche à Bruxelles pour la Marche Blanche.

La plupart sont montés à la capitale en rangs serrés.

Ainsi, à Waremme et à Huy, ils étaient des centaines, prêts à aller gonfler les rangs de l'imposant cortège.

Dans la cité du Pontia, le TEC avait mis deux bus à la disposition dé la Ville. Depuis jeudi, les appels ont afflué à l'Hôtel de Ville où les gens étaient invités à réserver leur place.

Ainsi, devant l' I PES, avenue Delchambre et à la gare, des groupes s'étaient constitués, attendant calmement le départ, en fin de matinée. Grands-parents, parents et enfants, la plupart de blanc vêtus, rose blanche à la main; ils étaient tous là.

Solidarité

Pour tous, un seul objectif à suivre : respecter les doléances des parents des petites victimes. «Nous allons défiler dans le calme comme ils le souhaitent. Le silence vaut parfois mieux que les mots. Nous espérons qu'il n'y aura pas d'agitateurs. Tout doit se passer dans la plus grande dignité si on veut que cette marche serve à quelque chose», nous confie t’on, presque en chuchotant.

Car en attendant que les bus ou le train les emmènent, les gens, solidaires à l'extrême, semblent respecter un silence étonnant, comme si leurs pensées communiaient déjà avec le grand cortège de l'après-midi.

Même les nombreux enfants se sont mis au diapason, évitant toute forme de turbulence ou de crier.

En bus, en train ou en voiture pour les plus téméraires, de Ferrières à Waremme, de Ben-Ahin- à Hermalle, Hesbignons et Condrusiens se sont unis pour une même quête, le coeur plein de rancoeur mais aussi avec la promesse d'éviter tout débordement.

 

P.K.

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ARLON

Des familles en blanc sous la grisaille

« La Meuse » du lundi 21 octobre 1996 page 7

Affluence peu coutumière à la gare d'Arlon hier aux alentours de 10 h. Déjà, l'IC de 9 h 48 sur la ligne habituelle vers Bruxelles, était envahi. C'était le premier des trois convois réguliers, renforcés pour la circonstance. Et déjà quelque 350 participants à la marche blanche y montaient. Le flot de voyageurs, dès ce moment, allait être ininterrompu. Deux trains spéciaux démarraient encore de la gare du chef-lieu luxembourgeois, à 10 h 10. Chacun offrait un peu moins de 1000 places. Une capacité que chaque convoi régulier pouvait absorber aussi

Le train, outre les quatre haltes habituelles dans la province (Marbehan, Libramont, Jemelle, Marloie), faisait un arrêt spécial, plus que symbolique, à Neufchâteau...

Partout, le scénario était le même. « On voulait y être, évidemment, avec les enfants » : les familles, du petit dernier en poussette jusqu'aux grands-parents, les amis, tous avaient cherché l'accessoire blanc. On voyait beaucoup de ballons, des bouquets de fleurs blanches, des tulles accrochés aux sacs, des casquettes, des écharpes, des pulls...

Le vêtement le plus adéquat était le coupe-vent imperméable: hier matin, à Arlon, le brouillard et la grisaille étaient aussi au rendez-vous pour tous ces gens qui allaient s'offrir un très long voyage, une très longue journée.

En dernière minute, plusieurs personnes se décidaient à rester sur le quai. « Mon épouse part quand même avec notre fils de 7 ans. Moi, vu le temps, je vais rester avec le petit. C'est un peu trop risqué pour lui, surtout au vu de la météo ».

Affluence aussi aux points d'embarquement dans les nombreux autocars affrétés, des quatre coins du Luxembourg. Laetitia Delhez, elle, montait, saluée par la foule, dans le car partant de Bertrix...

 A.D.

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1.414 bouquets virtuels de roses via Internet

« La Meuse » du lundi 21 octobre 1996 page 7

Ce sont 1414 bouquet virtuels de roses que le site internet Netomium ( http:w.w.w.netiomium.be  ) vient de transmettre aux parents de Julie et Mélissa.  Il suffisait de cliquer dans le site pour ajouter un bouquet de fleurs.

Si de très nombreux envois ont été faits de France, de Suisse, du Portugal ou d'Italie, d'autres sont venus du Québec, des U.S.A., du Costa Rica, du Vénézuéla et d'Australie.

 

 

 

 

message de tout un peuple(«UNE» de «Meuse » 21 octobre 1996)


Le message 

de tout un peuple

 La marche blanche de Bruxelles :

Ils étaient aux environs de 300.000

 

« UNE » de « La Meuse » du lundi 21 octobre 1996

 

L'appel sera-t-il entendu?

 Après une longue entrevue avec Jean-Luc Dehaene,

les parents des victimes semblaient rassurés...

 Dans la dignité, avec beaucoup d'émotion mais aussi avec détermination, les parents des victimes et des enfants disparus ont réussi le pari de mobiliser toute la Belgique pour une marche « du siècle »

Cette énorme voix silencieuse, cette marche de la résistance traduit un véritable cri de révolte adressé au «système»: il faut que cela change!

* Reçues pendant près de 3 heures, par Jean-Luc Dehaene, les familles des victimes semblaient satisfaites en quittant la réunion quatre promesses concrètes leur ayant été faites

* Dès le début de la matinée, la Belgique tout entière s'est mobilisée

* A la SNCB, les convois avaient été renforcés, et 56 trains spéciaux formés alors que des dizaines de cars prenaient la route vers la capitale * A Bruxelles, la foule était tellement dense qu'il a fallu scinder le cortège en deux

* Débarqués, bien malgré eux à la gare du Midi -le Nord étant saturé-, des milliers de personnes ont pris place sur les trottoirs pour applaudir la marée blanche qui avançait lentement

* Photos : la foule en marche et en médaillon, un enfant à la fenêtre du train: tout un symbole pour cette journée dédiée aux petites princesses disparues

 

* Pages spéciales en 7, 8 et 9

 

Services d'aide aux victimes(«Wallonie» 21 octobre 1996 pg 14)


 

Changer le 3e pouvoir

 

« La Wallonie » du lundi 21 octobre 1996 page 14

 

L'assassinat d'enfants et d'adolescentes, ainsi que les nombreuses disparitions restées non élucidées, ont réveillé l'ensemble du pays. Manifestations, arrêts de travail dans différents secteurs de d'économie, pétitions, interpellations du monde politique et judiciaire ont marqué Ici vie de toute une société au fil de la semaine qui vient de s'écouler. Ce qui étonnent les «observateurs», c'est la réaction d'une population que l'on croyait résignée «au compromis à la belge». Qui peut dire jusqu'où ira cette lame de fond ? Vendredi une table ronde réunissait autour du Roi à la fois les parents des enfants disparus, des représentants d'associations luttant contre la maltraitance des enfants ainsi que le Ministre de la Justice. Dimanche, des milliers de simples citoyens ont participé à la «Marche Blanches» organisée en souvenir des enfants lâchement assassinés.

II faudra que des trois niveaux de pouvoir de notre démocratie (législatif, exécutif et judiciaire) répondent ces attentes sinon d'un régime en crise, nous aboutirons à une crise de régime avec toutes les aventures que cela sous-entend.

Plusieurs termes sont revenus régulièrement dans I'actualité de ces derniers mois en raison de ce qu'on appelle «les affaires». Parmi ceux ci, le mot : VICTIME. Le dictionnaire définît te mot en ces termes: «Personne tuée ou blessée; personne qui a péri dans une guerre, une catastrophe, un accident. Personne ou; groupe qui souffre de l'hostilité de quelqu'un, de ses propres agissements, des événements. Créature vivante offerte en sacrifice â une divinité». Les synonymes sont notamment : bouc émissaire, jouet, martyr, proie, souffre-douleur. Tout n'est que définition. En fait, ce que recherche une personne victime d'un délit, ce n'est pas seulement un dédommagement ou la condamnation suite à un procès des auteurs mais avant tout d'obtenir une reconnaissance qui dans certains cas doit se manifester aussi par une protection.

Mais pour être protégé il faut d'abord être écouté, compris et cru. Or, les victimes ont eu trop souvent la conviction d'avoir été ignorées voire tenues comme responsables des faits dont elles ont eu le courage de dévoiler. Certes, la Justice doit vérifier une accusation mais elle doit aussi inspirer confiance.

La place des victimes dans le Droit évolue peu à peu mais trop lentement. Depuis quelques années et suite â de dramatiques événements criminels, des structures d'aide aux victimes ont vu le jour.

Parmi celles- ci il y a le programme d'accueil dans les Parquets développé depuis 1993 par le Ministère de la Justice. Dans cette initiative, des assistants sociaux sont chargés d'assurer le premier accueil et l'information des victimes. Des bureaux d'accueil aux victimes dans le cadre des services de police ont également été créés avec comme objectif exclusif l'encadrement des personnes dans l'ensemble des procédures judiciaires à mener. 

« Place publique » va plus particulièrement s'intéresser aux services d'aide sociaIe aux justiciables. Ces services indépendants au nombre de 14 pour la communauté française ont pour mission l'aide sociale et le soutien psychologique aux victimes d'infractions ou de faits qualifiés d'infractions ainsi qu'à leurs proches. Toutes les victimes sont importantes quel que soit le délit qu'elles doivent assumer. Nous avons rencontré

Muriel qui a été victime pendant toute son enfance d'abus sexuels, son témoignage peut se résumer en ces termes : «Enfant, je n'osais pas parler. Et maintenant, j'ai toujours peur. »

 Des efforts ont été réalisés pour améliorer la qualité d'accueil des victimes. Il ne reste plus qu'à humaniser les arcanes de ce troisième pouvoir qu'est la Justice...

 

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Répondre aux angoisses

 

« La Wallonie » du lundi 21 octobre 1996 page 14

 

C'est en avril 1989 que la Communauté française a adopté un Arrêté réglementant l'agrément et l'octroi des subventions aux services d'aide sociale aux justiciables. Ce travail peut s'effectuer en collaboration avec d'autres structures privées ou publiques d'aide sociale et psychologique. Les prestations doivent être fournies gratuitement et sans immixtion dans la vie privée, la famille, le domicile ou la correspondance des personnes suivies par le service d'aide aux justiciables.

L’Arrêté définit aussi les missions de ces services qui tournent autour de quatre axes :

1) Aide aux prévenus. Il s'agit d'une aide sociale et psychologique aux personnes placées sous mandat d'arrêt ou qui risquent de faire l'objet d'une telle décision, ainsi qu'à leurs proches.

2) Aide aux condamnés. Cela consiste en un soutien social et psychologique envers les personnes condamnées à une peine privative ou restrictive de liberté.

3) Aide aux détenus libérés. Accompagnement des personnes mises en liberté à titre conditionnel, provisoire ou définitif.

4) Aide aux victimes. Cet axe prévoit une aide sociale et d’un accompagnement psychologique en faveur des personnes victimes d'une infraction ou d'un fait qualifié d'infraction, ainsi qu'à leurs proches.

 

Les 14 services d'aide aux victimes (ayant la forme juridique d'ASBL) présents dans chaque arrondissement judiciaire de la Communauté française organisent des permanences. Les équipes multidisciplinaires assurent un accueil où la victime peut faire part des difficultés rencontrées à la suite d'un dommage lié à un délit. Les permanents fournissent une information pratique adaptée à chaque demande.

L'aide se concrétise par un accompagnement dans les démarches afin de faire face au problème tant au niveau juridique qu'administratif.

Ce qui aboutit à une orientation vers les différentes structures pouvant fournir une réponse adaptée.

Le rôle de ce type d'association reconnue par la Communauté française est donc d'apporter tout renseignement utile sur l'aide de l'État aux victimes d'actes de violence. En résumé les principales fonctions s'articulent autour de l'écoute, du soutien psychologique, de l'accompagnement dans les procédures judiciaires.

 

Retrouver un équilibre

A Liège, Le service d'aide sociale aux justiciables intervient auprès de la victime pour qu'elle retrouve son équilibre antérieur aux faits délictueux ou un autre équilibre. La cellule d'aide aux victimes s'est fixée plusieurs objectifs dont celui d'être un lieu de parole pour la victime ainsi que pour sa famille. Afin d'éviter qu'elle ne subisse trop sa situation, il faut lui redonner confiance en ses possibilités. L’équipe d'intervention est composée de deux assistantes sociales, d'une juriste, d'un psychologue ainsi que de collaborateurs extérieurs deux médecins, conseiller juridique, une criminologue, une spécialiste en sophrologie.

 Le mode de fonctionnement de l'association est basé sur le caractère multidisciplinaire des membres de l'équipe. Les dossiers sont traités dans la confidentialité et comme autant de cas particuliers en fonction des besoins et des histoires propres à chaque victime. La philosophie est que la victime n'est jamais abandonnée. De plus, c'est elle qui décide de mettre fin à l'intervention de l'équipe.

 

Délits

Entre 1989 et 1995, I'ASBL «Aide Sociale aux Justiciables» a vu le nombre de dossiers en constante augmentation. En 1989, le nombre de dossiers ouverts par l'association était de 21. Il est passé à 228 en

1991 puis 323 en 1993 pour atteindre le chiffre de 450 dossiers pour l'année '95. Pour ce qui concerne la répartition du type de délits rencontrés par les victimes (cfr tableau), la ventilation démontre que ce sont les faits pour coups et blessures qui viennent en tête (29,54%) puis les actes pour vol (27%) et ensuite les faits de mœurs (26%). Ces dernières années, les responsables de l'association ont observé que le nombre de cas pour faits de moeurs (attentat à la pudeur et viol) était en recrudescence.

 

Angoisse

Derrière ces données, il y a une autre réalité car être victime c'est toujours perdre une partie de soi.

Non seulement la victime doit évoluer dans les procédures judiciaires mais également réagir face aux effets secondaires de la délinquance. Les troubles apparaissent en général six mois après l'incident.

Ces angoisses se caractérisent par des troubles du sommeil avec cauchemars et ressouvenance du traumatisme, perturbation de l'état mental avec une tendance à la dépression nerveuse. Au quotidien, des circonstances d'apparence anodine peuvent conduire à des angoisses, par exemple, ainsi les dates d'anniversaires d'agression sont souvent pénibles à vivre. Pour certains, l'esprit est constamment en éveil pour éviter les pensées en rapport avec l'événement. Ces conséquences d'anxiété sont multiples.

Ainsi des personnes auront tendance à s'isoler, à voir l'avenir sans perspectives, manifesteront des difficultés de concentration ou un caractère irritable. Si à la suite d'une agression ou d'un fait répréhensible, des difficultés d'ordre psychologiques apparaissent, il ne faut pas hésiter à consulter un centre d'aide. Plus la réponse sera rapide, au plus les chances de s'en sortir seront nombreuses.

Le repli sur soi étant la plus mauvaise des solutions.

 

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Services d'aide aux victimes :

 

Arlon : 063/ 21.44.90

 

Bruxelles : 02/ 548.98.00

 

Bruxelles 1 :02/334.28.44

 

Bruxelles Il : 02/ 537.66.10

 

Charleroi : 071/ 130.56.70

 

Dinant : 082/22.73.70

 

Huy : 083/ 21,63.63

 

Liège 1 : 04l/ 23.43.18

 

Liège 1 : 041/ 23. 13.27

 

Mons : 065/ 35.53.96

 

Namur : 081 / 74.08.14

 

Neufchâteau : 063/2 1.44.90

 

Nivelles : 067/ 22.D3.08

 

Tournai : 069/ 21.10.24

 

Verviers : 087/ 33.60.89

 

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Une identité à retrouver

 

« La Wallonie » du lundi 21 octobre 1996 page 14

 

René Michel est le coordinateur de l'équipe d'intervention de l'association «Aide Sociale aux justiciables» à Liège. Nous avons interrogé ce criminologue de formation insiste sur le rôle de l'association qui consiste à travailler avec les victimes d'actes délictueux afin qu'elles retrouvent leur identité.

 

 Dans quel contexte, l'association «Aide sociale aux justiciables» a-t elle été créée

 

- Notre association s'occupait déjà de l'aide aux personnes détenues. Nous étions souvent sollicités pour intervenir aussi en faveur des victimes. Face à cette demande, j'ai été amené à créer en 1988, un département qui s'occuperait de l'aide aux victimes. En effet, elles doivent suivre un parcours qui n'est pas des plus facile pour obtenir soit un dédommagement, soit simplement pour être reconnue en tant que victime.

 

 L'association, comme le prévoit l'arrêté de 1989, prend en charge à la fois des délinquants et des victimes. Ceci peut apparaître comme paradoxal?

S'occuper des victimes, c'est tout aussi important que de prendre en charge les justiciables, car si on veut éviter d'autres victimes; cela signifie qu'il faut aussi travailler avec les détenus qui sortiront de toute manière de prison. Il faut essayer d'utiliser ce temps de détention positivement sinon en fin de peine, il y aura un risque de récidive.

 

Les victimes se sentent-elles perdues dans le dédale judiciaire?

- Ma réponse serait plutôt non car nous nous sommes aperçus lorsque les personnes arrivent ici le délai, entre le moment du délit et l'appel de demande d'aide, se situe entre 1 à 6 mois. Pour les affaires de moeurs, le laps de temps peut aller jusqu'à une dizaine d'années. La victime utilise les moyens de l'association parce qu'elle avait certaines attentes par rapport à ce que la Justice pouvait faire dans son cas. Elle constate que le système pénal est lent. Elle ne connaît pas l'évolution de sa plainte et désire être informée sur les suites de son dossier.

En premier lieu, la demande est d'ordre judiciaire afin de connaître la procédure; de type : «J'ai déposé plainte et j'ignore les suites». Puis dans un second temps, il y a le besoin de s'exprimer pour être reconnue comme victime.

 

Peut-on estimer que la victime n'est pas assez informée

- L'information devrait se faire par la police ou la gendarmerie d'une façon automatique. Au niveau du Parquet, dans ce cas à Liège, la victime constate qu'il y a des dysfonctionnements et cherche une aide. Mais dire que dans tous les cas, le travail de communication a été mal effectué, sur ce point, je crois qu'il faut rester prudent. II est aussi important que des solidarités multiples s'organisent autour de la victime que ce soit par rapport à sa famille, son médecin,ses amis.

 

Pour beaucoup d'observateurs, le droit n'a pas pris suffisamment en compte la victime. L'ordre de la société passe-t-il avant le cas de la simple victime

Il est exact que l'objectif du parquet, c'est la sécurité publique. Dans le Code pénal, la victime a des droits mais c'est à elle de les faire valoir. Or, elle attend que la société lui vienne en aide justement par rapport à l'application de ses droits. La victime se sent seule dans les méandres de la procédure.

 

La démarche de votre association est de travailler avec la collaboration des victimes.

- Notre association est autonome et indépendante car nous ne dépendons pas du pouvoir judiciaire. Ce qui signifie une large possibilité de manoeuvrer. Pour les personnes, le système pénal est mal perçu; d'où l'intérêt de ce style d'association où les structures sont plus petites et moins académiques. Les victimes peuvent venir ici et s'exprimer à leur manière car nous sommes tenus au secret professionnel. En fait, elles ont besoin de parler et d'être écoutées.

Elles ne pourront faire leur deuil que si elles sont reconnues comme victimes. Au niveau, juridique, nous ne déposons pas de conclusions, nous ne plaidons pas. Notre rôle est de transmettre une information, d'expliquer dans un langage clair où en est la procédure.

 

Quelles sont les principales répercussions d'un délit sur une victime

Chacune réagit différemment. Certaines traversent les problèmes sans répercussions apparentes. Pour d'autres, l'événement provoquera une crise profonde. Un cambriolage peut aboutir à des conséquences graves parce que le vol d'objets est considéré comme une atteinte à la vie. Des personnes n'osent plus sortir de chez elles et vivent repliées sur elles mêmes. Face à cette insécurité, il faut que la victime puisse verbaliser ce qu'elle ressent. Les symptômes peuvent prendre différentes formes comme une anxiété permanente, des troubles du sommeil, des pertes d'appétit. La victime n'ose plus vivre comme avant.

 

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Muriel,une victime parmi d'autres

 

« La Wallonie » du lundi 21 octobre 1996 page 14

 

Aujourd'hui, les victimes d'abus sexuels osent parler, osent rompre le silence de leur enfance, osent dénoncer ceux qui ont détruit une partie de leur vie.

Pourtant, dévoiler ces actes inhumains n'est pas une décision facile à prendre et à assumer. Ce courage n'est possible que si les victimes se sentent entendues et protégées. Au travers de son histoire, Muriel émet des regrets car la gendarmerie et le Parquet n'ont pas cru en son témoignage. Elle ne comprend pas le classement de son dossier. D'autant, que les auteurs viennent régulièrement la menacer, «Enfant je n'osais pas parler. Et maintenant, j'ai toujours peur, »

 

Votre enfance a été marquée par certaines violences.

- J'ai été victime à l'âge de 3 ans d'abus sexuels de la part de membres de ma famille. Pendant mon enfance, je n'ai jamais parlé. Ces violences ont influencé mon comportement car j'étais parfois très méchante. Je répondais mal parce que je ne réagissais pas comme les autres enfants. C'est seulement lorsque j'ai rencontré mon compagnon que peu à peu j'ai réussi à dire les actes ce que j'avais subi. II voyait bien qu'il y avait un problème. C'est lui qui m'a aidé à tout raconter à ma mère quand j'ai eu 18 ans.

 

Après ces révélations, quelle démarche avez-vous entrepris

- Je me suis rendue à la gendarmerie. Ce n'est pas un très bon souvenir pour moi. J'ai dû tout raconter alors que pendant mon enfance, c'était le silence. La démarche était d'autant plus dure que «l'interrogatoire» a duré huit heures. C'était tellement difficile pour moi que je n'arrivais plus a répondre aux questions. Je pensais que mon témoignage devait suffire. Je me souvenais que toute petite j'avais passé un examen dans un hôpital qui pouvait renforcer mon témoignage. Au moment où j'ai demandé les preuves de ce dossier, eh bien, on m'a dit qu'il n'y avait plus rien.

Au poste de gendarmerie, il y avait une assistante sociale qui m'a bien entouré et encore aujourd'hui, je sais qu'elle est là en cas de problème. Il m'a fallu du courage pour parler. Après cet effort, j'ai tenté de me suicider. La seule qui est venue me voir, c'est cette assistante sociale.

Avec les enquêteurs tout s'est résumé a des questions. J'avais le sentiment qu'on croyait plus les auteurs que moi. J'avais peur parce que j'étais impressionnée. Des enquêteurs sont venus à mon domicile pour m'interroger, puis je suis retournée à leur bureau mais chaque fois c'était les mêmes questions qui revenaient. Je sais que les auteurs ont eux aussi été entendus, ils ont tout nié.

J'ignorais comment évoluait mon dossier. Ma mère n'ayant pas des moyens financiers, nous avons utilisé les services d'un avocat prodéo. Un jour, j'ai reçu une lettre qui m'informait que mon dossier était classé.

Peu de temps après, les auteurs sont venus me menacer. J'ai prévenu les forces de l'ordre et la réponse fut que je devais rester enfermée chez moi. On aurait pu au moins les interdire de venir à proximité de mon domicile.

 

Comment vivez-vous les événements actuels liés aux affaires de pédophilie

- La période actuelle est très mauvaise pour moi car j'ai l'impression de revivre une partie de mon histoire. C'est d'autant plus difficile que dans la formation que je suis, on me demande des travaux de réflexion sur les événements. Pour moi, c'est très pénible parce que je reste marquée par ces abus. Il y a des images que j'avais oubliées et qui maintenant reviennent dans ma tête. J'espère vraiment que l'on fera des efforts pour protéger les enfants mais on est loin d'atteindre cet objectif. J'ai vécu un drame et j'ai peur qu'ils recommencent avec d'autres enfants.

Parfois, je me dis que je n'aurais pas dû parler et ainsi j'aurais affronté moins de problèmes. C'est pénible et complexe à assumer. J'ai difficile à tenir le coup.

 

Quel soutien vous apporte l'association d'aide aux victimes

C'est un lieu où je peux parler de ma vie et pas uniquement des abus, d'ailleurs j'essaie d'éviter de trop penser à ces actes. Je suis suivie par une psychologue car il y a des périodes où je suis totalement perdue. Dans ces moments de crise, je réagis avec beaucoup de violence comme si je devais prendre une revanche. Peut-être pour que l'on fasse attention à moi?

Il y a des craintes que je dois affronter au quotidien. J'ai peur dans le noir. J'ai peur des bruits bizarres même en journée. Au moindre craquement, je panique et je vérifie tout. Je pleure très vite parce que je m'énerve et donc je craque. Je suis très méfiante et j'ai difficile à faire confiance. Lorsque je marche dans la rue, j'ai peur si quelqu'un s'approche trop de moi. J'espère qu'au fil des années que mes malaises disparaîtront. Je sais que ce sera long. Avec le temps, j'y arriverai.

 

 

 

 

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