mardi 31 mars 2009

l'enquête sur l’enquête (« Soir Illustré » 23 octobre 1996 pg 40 et 41)


La commission d’enquête de... l'enquête sur l’enquête démarre laborieusement

Drôle d’atmosphère !

« Soir Illustré » du mercredi 23 octobre 1996 pages 40 et 41

La commission parlementaire d'enquête concernant l'enquête sur l'enquête Dutroux s'est finalement mise en place. Au détriment de l'enquête sur l'enquête Cools. Elle va devoir démêler un solide sac de noeuds.

L'enquête sur l'enquête Dutroux a déjà connu de sérieux soubresauts. Dans un premier temps, c'est la Gendarmerie qui se trouvait au coeur du débat: tant le rapport du procureur général près la Cour de cassation Jacques Velu que celui du nouveau procureur général de Liège Anne Thily accusaient clairement la Gendarmerie de ne pas avoir transmis des informations capitales sur les suspicions concernant Marc Dutroux dans le cadre de l'enquête sur l'enlèvement de Julie et Mélissa. On se souviendra que le ministre de la Justice Stefaan De Clerck (CVP) en avait lu des extraits à la Chambre, titillant ainsi le courroux du ministre de l'Intérieur Johan Vande Lanotte (SP) qui exerce la tutelle sur cette même Gendarmerie.

On savait néanmoins que le parquet de Charleroi avait reçu à plusieurs reprises des informations sur l'opération Othello, une opération de surveillance menée par la Gendarmerie. Celle-ci visait Marc Dutroux. Mais ces informations avaient été classées sans suite par le parquet de Charleroi qui ne les avait pas communiquées à son homologue liégeois.

LE COMITÉ « P » CRITIQUE LA MAGISTRATURE

- Depuis, deux nouveaux rapports sont arrivés sur la table des députés membres de la commission de la Justice de la Chambre, commission chargée d'examiner l'enquête sur l'enquête Dutroux.

Tous deux mettent violemment en cause la magistrature liégeoise dans les dysfonctionnements de l'enquête

Julie et Mélissa. Pour le premier, c'est relativement normal puisqu'il émane de la Gendarmerie elle- même et qu'il a été défendu par son commandant le général De Ridder. Mais le rapport du comité P, le comité de surveillance des services de police, est lui aussi cinglant pour la magistrature. Les extraits de ce rapport sont parfaitement clairs: « Les lignes de conduite données aux enquêteurs n'étaient pas claires. Et certainement pas en ce qui concerne les critères permettant de traiter les informations recueillies».

Ce rapport donne aussi raison aux parents de Julie et Mélissa lorsqu'il explique que la juge d'instruction Martine Doutrewe a pris le dossier en charge alors qu'elle partait quelques jours plus tard en vacances en Italie et qu'elle est encore partie par la suite faire le tour des châteaux de la Loire. Cinq juges d'instruction se sont ainsi succédés dans cette enquête, avec toutes les perturbations qu'on imagine.

COMMISSION D'ENQUÊTE SUR COOLS RETARDES

Pour faire le tri face à cet embrouillamini et à ces informations contradictoires, la commission de la Justice de la Chambre a décidé de créer une commission parlementaire d'enquête sur l'affaire Dutroux. Contrairement à la commission de la Justice, la commission d'enquête dispose des pouvoirs d'un juge d'instruction, en ce compris les possibilités de faire prêter serment aux témoins, de les contraindre à déposer des documents ou d'organiser des perquisitions.

On a cependant constaté à cette occasion que certains partis francophones tentaient de présenter des candidats à la présidence de cette commission qui n'étaient peut-être pas les mieux placés.

Au PS, ce fut Thierry Giet, fils de l'ancien procureur général de Liège.

Au PRL, ce furent Antoine Duquesne et Didier Reynders. Le premier n'est autre que le mari de l'actuel procureur du Roi de Liège Anne Bourguignont; et le second, le frère d'une juge d'instruction qui a remplacé Mme Doutrewe pendant ses vacances et le mari d'une magistrate liégeoise.

Finalement, après de longs conciliabules dont des contacts informels avec le ministre de la Justice Stefaan

De Clerck, c'est le libéral flamand Marc Verwilghen, apprécié par tous, qui a été désigné président de cette commission d'enquête.

Dans la foulée, la Chambre a également décidé d'ouvrir une enquête sur l'enquête Cools. Mais celle-ci n'aura lieu qu'après la remise des conclusions soit de la commission Dutroux, soit de la commission Tueries-bis.

ATMOSPHERE, ATMOSPHÈRE

Reste que l'ambiance autour de l'enquête Dutroux continue à être profondément malsaine. Ainsi, on a appris que le parquet de Liège avait organisé une nouvelle fuite concernant les écoutes téléphoniques consécutives à l'inculpation de l'inspecteur de la PJ de Charleroi Georges Zicot et de son chef, le commissaire André Vanderhaegen. Le parquet de Liège a ainsi vendu la mèche, expliquant qu'un avocat de Charleroi, ainsi que la soeur d'un syndicaliste de la PJ travaillant au cabinet de Jean-Claude Van Cauwenbergh auraient été placés sur écoute.

Dans le climat actuel de guerre entre la Gendarmerie et la PJ, on imagine l'effet de cette information émanant du parquet de Liège. C'est dans ce cadre qu'il faut analyser le rapprochement entre la magistrature d'une part et la PJ de l'autre, cette dernière ayant peur de se faire avaler par la Gendarmerie.

Car si l'arrêt de la Cour de cassation dessaisissant le juge Connerotte mais laissant le dossier à Neufchâteau a été perçu comme un moindre mal, d'autant qu'il se traduit par un accroissement des effectifs à Neufchâteau,

le parquet général de Liège ne semble pas avoir avalé les déclarations du procureur de Neufchâteau Michel Bourlet, expliquant que les rapports de Velu et de ThiIy ne correspondaient pas aux informations dont il disposait dans ses dossiers.

Plusieurs dossiers impliquant des personnalités» dans des réseaux de pédophilie seraient actuellement en train de «monter». Le parquet général de Liège crie haut et fort que le parquet de Neufchâteau ne l'informe pas de ses découvertes. Ce dernier rétorque que les autorités compétentes sont informées.

Cette guérilla judiciaire montre à suffisance que l'arrêt de la Cour de cassation est loin d'avoir arrêté les passions Liégeoises

Philippe Brewaeys

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NIHOUL INCONNU À « L’AQUARIUM »

« Soir Illustré » du mercredi 23 octobre 1996 page 41

Nous avons reçu des exploitants de l'Aquarium la réponse suivante: «La Sprl Gereti, exploitant l'établissement de nuit à l'enseigne «L'Aquarium», dément catégoriquement les informations publiées dans l'édition 3353 du Soir illustré sous le titre « Nihoul, dossier à tiroirs », informations selon lesquelles Monsieur Michel Nihoul serait un habitué de l'endroit et s'y révélerait être «un client parfois très brutal particulièrement avec les jeunes filles mineures dont il abusait». Ces informations sont fausses, sans fondement, et portent gravement atteinte à l'honorabilité de l'Aquarium.

1. L'Aquarium est un cercle privé interdit aux mineurs

2. Monsieur Nihoul y est parfaitement inconnu

3. Monsieur Nihoul n'a jamais été membre de sa clientèle

4. La direction se réserve le droit d'entrée selon des critères de sélection basés sur la correction, la bonne tenue et le respect de la loi

5. L'Aquarium veille prioritairement à la sécurité de son personnel. Il n'a jamais été toléré qu'un client fasse preuve de brutalité ou de violence à l'égard du personnel ou de toute autre personne présente dans l’établissement»

NABELA, SIMPLEMENT DIGNE (« Soir Illustré »23 octobre 1996 pg 38 et 39)


NABELA, SIMPLEMENT DIGNE

« Soir Illustré » du mercredi 23 octobre 1996 page 38 et 39

- Devant le palais de justice de Bruxelles, alors que la cour de cassation venait de rendre l'arrêt dessaisissant le juge Connerotte, Nabela Benaïssa lança un appel au calme et à la raison. Parmi les gens qui manifestaient leur désarroi s'étaient infiltrés des extrémistes cherchant à détruire la société, plutôt qu'à la rendre meilleure.

Il fallait du courage à Nabela pour tenir ces propos, avec fermeté. Elle parlait avec sagesse. Depuis le mois d'août, cette jeune fille de 18 ans, qui porte le voile, signe de sa foi, est sortie de l'anonymat. Ses parents lui ont demandé d'être la porte parole de la famille, pour que l'impossible soit fait pour retrouver sa sueur Loubna, qui a disparu à Ixelles, le 5 août 1992.

Loubna aurait 13 ans, aujourd'hui. Les Benaïssa n'ont jamais baissé les bras. Ils ont toujours lutté, guidés par l'espoir, alors que personne ne les écoutait, ainsi que Corinne Le Brun l'expliquait, dans ces colonnes. Quatre années au cours desquelles l'affaire de la disparition de Loubna ne fut même pas mise à l'instruction.

Quatre années épuisantes, marquées par le virage tragique de cet été. Depuis le rapt de Laetitia, à Bertrix, et la suite des événements, le cas de Loubna a enfin été pris en compte.

«Tout le monde est touché, explique Nabela. Les riches comme les pauvres, les familles de toutes les communautés. Même si tout ceci ne déterminait qu'un rapprochement entre communautés, ce serait déjà quelque chose».

Solidaires dans le malheur, les Flamands et les Wallons sont redevenus belges, et partagent leur peine avec une famille immigrée du Maroc. Une famille comme toutes les autres de ce pays.

4 ANS DANS LE NOIR

La famille Benaïssa vit en Belgique depuis 1975. Vingt ans plus tôt, la situation était plus simple, le travail ne manquait pas encore cruellement, attisant tous les problèmes sociaux. La Belgique n'avait pas encore commencé à changer de peau institutionnelle. Pour le papa de Loubna, qui est ouvrier, - il nettoie des wagons à la SNCB -, la disparition obscurcit le bonheur d'une vie consacrée à sa famille.

Loubna est une des huit enfants de cette famille qui s'est enracinée dans ce quartier d'Ixelles, non loin de la place Flagey. Les Benaïssa rentrent à Tanger une fois par an, mais ils se sentent à la maison en Belgique.

Nabela, née en Belgique, malgré sa discrétion, est devenue un symbole, elle aussi. Elle participe à des débats avec des professeurs d'université, des magistrats, des avocats. «Au début, prendre la parole en public était intimidant.

Maintenant, je me sens à l'aise. Du jour au lendemain, bien des choses ont changé. Avant, nous étions entourés par ceux qui nous ont toujours soutenus. Maintenant, même ceux qui ne nous connaissaient pas nous encouragent. Dans la rue, on me fait un petit signe, et je comprends que les gens veulent dire».

Étudiante en rhéto à l'institut Madeleine Jacquemotte, à Ixelles, Nabela s'intéresse à l'actualité.

Les livres qu'elle préfère sont consacrés à l'évolution de la société. La jeune fille veut comprendre les mécanismes de son époque. Elle ne lit plus de romans. Ils sont dérisoires, en comparaison avec l'épreuve qu'affronte sa famille.

Pour transmettre le plus justement possible les sentiments des siens, Nabela trouve les mots instinctivement. Ils traduisent ce qu'elle ressent et cette vérité touche ceux à qui elle parle. A l'école, il arrive qu'un professeur évoque les moments difficiles que traverse la Belgique. Nabela, dans ces cas là, explique ce qu'elle vit.

ADIEU A L'ADOLESCENCE

Les parents des enfants disparus avaient peur que la marche silencieuse ne soit perturbée par des gens qui ne partagent pas leur tolérance. Les Benaïssa font corps avec eux tous: «Ensemble, nous nous sentons plus forts pour soutenir les enquêteurs.

Après sa première rencontre avec le ministre De Clerck, Nabela garde une bonne impression. A 18 ans, participer à des contacts de ce niveau devrait être au moins un peu écrasant, mais Nabela ne se laisse pas facilement impressionner. Elle parle avec le coeur et la raison, comme ses parents le lui ont enseigné, sans honte, sans excès. Sa religion la guide également: l'Islam des Benaïssa est tolérant, attentif aux idées des autres, respectueux des différences, exigeant pour celui qui le pratique. Pas si simple à rappeler, et, surtout, à vivre.

C'est le cas de Nabela, qui s'exprime avec clarté, dans un français parfait. On imagine qu'elle ferait une avocate brillante. A cette suggestion, elle garde la tête sur les épaules, dit qu'elle doit finir sa dernière année secondaire, et réfléchir à son avenir. La jeune fille qui a mûri trop vite, depuis l'été 1992, qui est sortie brutalement de l'adolescence, en découvrant ce que le monde des adultes peut être, devrait faire honte au prédateur Marc Dutroux, s'il éprouvait des sentiments humains.

Marcel Leroy.

LE ROI OUVRE LA MARCHE (« Soir Illustré » 23 octobre 1996 pg 36 et 37)


LE ROI OUVRE LA MARCHE

« Soir Illustré » du mercredi 23 octobre 1996 page 36 et 37

- Moins de 48 heures avant la vogue populaire qui a déferlé sur Bruxelles, le Roi avait lancé un des avertissements les plus nets qu'un Souverain belge ait jamais adressés aux pouvoirs en place. Si le monde politique, quant à lui, avait d'abord donné l'impression qu'il n'avait pas bien jaugé la profondeur de la fracture créée entre la population et lui, Jean Luc Dehaene s'est cette fois empressé, en recevant les parents, d'annoncer des mesures.

« UNE TRAGÉDIE NATIONALE »

- Avant de présider la table ronde, à laquelle les familles des victimes et des enfants disparus ainsi que des experts étaient conviés pour envisager les moyens de lutte contre la pédophilie, le roi Albert II a prononcé un discours exceptionnel. En voici les passages les plus importants:

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« Ce que nous avons vécu en Belgique avec la disparition et la mort d'enfants innocents dans des circonstances horribles constitue une véritable tragédie nationale. Je le répète: une clarté totale doit être faite sur ce drame, ses origines et toutes ses ramifications, et cela dans un délai raisonnable ».

« La Reine et moi sommes convaincus que cette tragédie doit maintenant être l'occasion d'un sursaut moral et d'un changement profond dans notre pays. Cela suppose d'abord de la part de chaque autorité une attitude d'humilité, et de remise en question. Une des tâches essentielles de l'État est d'assurer la sécurité de tous les citoyens, et en particulier des plus vulnérables: nos enfants. Il faut reconnaître que dans ce cas ce fut un échec, de nombreuses erreurs ont été commises, et dans les contacts avec les familles des victimes il y a eu un manque d'humanité...»

« Le changement sera une oeuvre de longue haleine, mais il se fera, j'en suis convaincu. Il faudra persévérer, tenir bon, car changer les mentalités et les règles de la société ne s'accomplit pas du jour au lendemain. Il faudra aussi rester vigilant pour ne pas retomber dans l'ornière. Suivre et accompagner ce changement, c'est une autre raison de notre rencontre d'aujourd'hui. Nous garderons à l'avenir le contact avec les familles...» ---

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TROIS COULEURS, BLANC

« Soir Illustré » du mercredi 23 octobre 1996 page 37

Aller à pied du Nord au Midi, à Bruxelles, ce n'est pas le bout du monde, même pas une lieue. Et pourtant, dimanche dernier, plus de trois cent mille d'entre nous ont fait au coude à coude, mètre par mètre, sur ce parcours d'une banalité extrême, une expérience qui les marquera. Nous y avons appris, si nous l'avions oublié, le goût de nous sentir des citoyens d'un pays où, même si les dés du pouvoir sont pipés, les gens conservent le droit de manifester librement. Et où, quand l'enjeu est essentiel, miracle, ils marchent les uns à côté des autres, dans un même but, avec une attitude de profond respect mutuel.

Tous ceux qui étaient là ont été frappés de l'absence quasi totale de frictions communautaires ou racistes dans cette marée où existait un sentiment d'appartenance à une véritable communauté, d'abord humaine les parents des victimes appartiennent à trois des communautés coexistant en Belgique et leur communion dans le malheur a sans doute fait plus que toutes les campagnes pour la compréhension mutuelle des Belges.

Oh, pas question de faire de l'angélisme unitariste. De la communion à l'union, il y a certes plus de chemin à faire que du Nord au Midi.

Mais, dans tous les grands rassemblements nationaux - souvenez-vous de la mort du roi Baudouin -l'impression dominante est que les Belges pourraient bien le faire en famille, ce chemin que, tout compte fait, ils connaissent bien. Si on les laisse faire, comme le disait le procureur Bourlet.

Bien sûr, les motivations des marcheurs étaient différentes – un « peu de tout », comme dit la pub TV: en mémoire des victimes, en soutien aux parents, au juge Connerotte, le ras-le-bol d'une justice malade, la nausée de la guerre des polices, des camouflages, le dégoût de la politique corrompue, la peur diffuse de l'avenir -, mais cette foule s'est comportée dignement, respectant très largement le souhait des parents de ne pas voir a marche récupérée au bénéfice d'une couleur politique quelconque. Les panneaux dénonçant les

«pourris » étaient finalement rares.

Comme aux élections, le parti le plus important était celui du blanc, mais pas le blanc du refus: le blanc de l'innocence enfantine, et aussi le blanc de le lumière, celle que tout un peuple exige sur des horreurs que, croit-il à tort ou à raison, et sans doute à raison, seules des complicités puissantes et durables ont permis. Trois cent mille personnes viennent de montrer que, cette fois, c'en était fini du mensonge et de l'illusion.

Dans leur foulée, très simplement, est née la plus grande force politique active du pays.

- Trois cent mille, et personne d'autre que des parents et des victimes à leur tête. Quel leader politique pourrait prétendre à pareil résultat? Un des plus grands rassemblements que cet étrange pays ait jamais connus a été initié et mené à bien hors de tout slogan, de toute consigne, de toute intervention des groupes de pression traditionnels. Il a été le fait de citoyens qui ont - peut-on dire «enfin»? - réalisé que la liberté et la démocratie sont incroyablement fragiles, comme les enfants que nous chérissons. Comme eux, elles réclament une vigilance de tous les instants.

- Or, la vigilance, c'est précisément ce qui est le plus difficile à exercer dans une société où tout vise à l'endormir. Pour la réveiller dans la population, il a fallu une marche forcée au plus profond de l'horreur, entamée le jour où nous avons appris que des enfants qui ressemblaient à des anges étaient mortes de faim, de chagrin et d'abandon dans un réduit froid comme une tombe. La marche blanche de dimanche, elle, devrait aboutir au résultat que nous espérons tous, le réveil de la vigilance de ceux qui nous dirigent.

Des responsables si souvent irresponsables - et jamais coupables - jusqu'aux fossiles de la cour de cassation, rarissimes sont ceux qui se donnent la peine de communiquer réellement avec l'opinion, autrement que par ukases ou en lui envoyant des « signaux », comme on dit aujourd'hui.

Trois cent mille Belges en marche, voilà le vrai signal: celui de la loi dans la rue à la rue de la Loi.

Cette fois, il faut que toute la lumière soit faite et que les responsables paient.

Stève Polus.

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LE NUMÉRO VERT SONNE TOUJOURS ROUGE

« Soir Illustré » du mercredi 23 octobre 1996 page 36 et 37

Chaque jour apporte son lot d'innombrables témoignages d'abus sexuels, pédophiles via le désormais célèbre n° vert 0800-97779. Dans la cellule du Bureau Central de Recherches (BCR) de la gendarmerie à Bruxelles, dix-huit gendarmes francophones et néerlandophones sont accrochés au téléphone 24 heures sur 24.

- Le récent appel à témoins lancé par le juge Connerotte a fait mouche. «Un vrai succès», dit-on à l'intérieur de la cellule «0 800» à l'état-major de la gendarmerie de Bruxelles. Une vingtaine d'appels par heure sont recueillis quotidiennement par les dix-huit gendarmes, hommes et femmes, spécialement formés à cet exercice. «Tous ne sont pas pris en compte, car trop pauvres en matière d'éléments concrets», déclare le jeune lieutenant Tom Smets, responsable de la cellule «0 800» et membre du service «traite des êtres humains».

«En outre, certains faits apparemment étouffés remontent à plus de trente ans. Sur le plan civil, il y a prescription... et nous ne pouvons plus rien faire contre l'agresseur. Par contre, nous gardons précieusement le nom de ce dernier, s'il est identifié, car on sait que, souvent, le pédophile continue à commettre des délits».

1.500 DOSSIERS ENVOYÉS A NEUFCHATEAU

- Depuis plus de trois mois, renforcé par le «coup de feu» du deuxième appel à témoins demandé par le juge Connerotte, chaque gendarme-réceptionniste remplit une feuille de renseignements tels que le nom de l'appelant - s'il le souhaite -, le lieu du délit, la date, le(s) auteur(s) éventuels, les véhicules... bref, les informations contrôlables qui permettent de mener une enquête normalement.

- Dès le 19 août dernier, JeanMarc Connerotte, juge d'instruction de Neufchâteau, avait demandé à la gendarmerie de lancer un premier appel à témoins. Les témoignages furent déjà très nombreux mais, souligne le lieutenant Tom Smets, «essentiellement liés à l'affaire Dutroux».

- Aujourd'hui, les témoignages recouvrent une réalité plus large et dépassent de loin l'affaire Dutroux. Une fois la fiche signalétique de chaque appel établie, le gendarme introduit les éléments d'information dans une banque de données sur ordinateur.

«Nous procédons quotidiennement à un tri: Neufchâteau / autres arrondissements judiciaires.

En gros, nous préparons les dossiers – environ 1500 -, qui ensuite sont tous envoyés à Neufchâteau. Le Procureur du Roi, Michel Bourlet, décide, au vu des faits - suffisamment clairs ou non -, de garder, de renvoyer ou non les dossiers aux Parquets locaux (Bruxelles, Namur...).

Ce qui est déjà sûr, c'est que, - la masse d'informations affluant l'indique -, les abus de mineurs par des pédophiles ou des «organisations» de pédophiles continuent. «Nous assurons discrétion et anonymat», explique Laurence qui recueille les témoignages.

«Souvent, ce sont des femmes victimes qui appellent, et veulent garder l'anonymat. La plupart ont encore peur d'être confrontées à leur agresseur. La plupart des appelants gardent leur calme. D'autres sont au bord des larmes ou éclatent en sanglots parce que, pour la première fois, vingt ans après les faits, ils racontent leur drame. Par contre, les personnes qui, aujourd'hui, sont victimes d'actes pédophiles, n'osent pas encore s'exprimer, surtout par téléphone et à un gendarme...sauf si elles ont déjà porté plainte».

TOUTE LA BELGIQUE APPELLE

- Bon nombre d'appels à témoins ont déjà apporté des éléments importants pour le dossier à Neufchâteau mais aussi pour d'autres faits de pédophilie isolés.

Le but de la gendarmerie est de détecter un éventuel réseau de pédophilie en Belgique. Autrement dit, de déceler une possible organisation criminelle, structurée, hiérarchisée, et dont le seul but est lucratif. Le commanditaire, le ravisseur, le conditionneur, le protecteur, le transporteur, le client constituent les principaux maillons de la chaîne. «La pédophilie existe bel et bien en Belgique, reste à savoir si elle fait partie d'un ou plusieurs réseaux», précise le lieutenant Tom Smets.

- Les témoignages téléphoniques proviennent indifféremment de Bruxelles, de Wallonie et de Flandre. La durée des appels des victimes est généralement longue -jusqu'à 20 ou 30 minutes.

«C'est toute la Belgique qui nous appelle», conclut le lieutenant.

- Depuis une semaine, le nombre d'appels a sensiblement diminué. En raison du dessaisissement du juge Jean-Marc Connerotte?

A la gendarmerie, la discrétion est de rigueur. Néanmoins, la cellule « 0 800» entend continuer son patient travail. Jusqu'au jour où le ou les nouveaux juges de Neufchâteau en décideront autrement, ou non...

Corinne Le Brun.

Et le fleuve se mit en marche ! («Soir Illustré»23 octobre 1996 pg 34 et 35)


- Pendant ce temps, la tête du cortège se trouve déjà plus loin que la place de Brouckère. Les familles des enfants morts ou disparus ne sont pas vraiment en tête du cortège. En fait, elles sont complètement bloquées, débordées par les manifestants qui déferlent des rues parallèles. Finalement, les parents sont invités par la police à s'esquiver par une rue adjacente pour monter dans un autocar blanc qui leur permet de rejoindre le Lambermont, où ils doivent rencontrer le Premier ministre Jean-Luc Dehaene.

SPAGHETTIS

- Pendant ce temps, à l'arrière, près de la gare du Nord, la foule continue de trépigner. Des parents portent leurs enfants maintenant endormis. Conformément à la volonté des parents, il y a très u de calicots.

Quelques-uns toutes, presque tous rédigés en flamand:

- Politiciens, si vous ne parlez pas maintenant, vous ne parlerez plus jamais.

- Plus jamais ça!

- Justice - Mafia?

- A vendre: pays corrompu. - Connerie Connerotte

- Merci Albert II, Roi-Jésus revient !

Quelques références religieuses, c'est vrai. Certains ont manifestement transformé, pour eux-mêmes, cette manifestation en chemin de croix. Suprême dérision, il y en a qui portent sur le crâne, tels des christs en souffrance, une couronne d'épines... en spaghettis (référence au souper-spaghettis auquel participait le juge

Connerotte, et qui lui a valu son dessaisissement).

- Mais l'immense majorité des gens ne portent rien, sinon du blanc dans le visage ou dans les cheveux, une photo de Julie et Mélissa, un chapelet de ballons blancs qui, parfois, s'élèvent majestueusement dans le ciel lourd.

- Vers 16h00, 16h30, les derniers manifestants quittent le bout du boulevard Jacqmain. Certains ont piétiné là courageusement pendant plus de trois heures. Il est vrai que les secours de la Croix-Rouge commencent à intervenir plus souvent (il y aura seulement une centaine d'interventions, ce qui est peu, et, par miracle, seulement 6 enfants perdus et rapidement retrouvés, ce qui est très peu!).

Au micro, les animateurs proposent aux personnes qui sont trop fatiguées ou trop énervées de renoncer à marcher jusqu'au Midi.

Vous êtes plus de 300.000 ! C'est déjà un triomphe !

GAFFE

- Avant d'entrer au lambermont, Gino Russo se déclare lui-aussi satisfait: - il y a beaucoup d'enfants présents. Cela me fait plaisir, ajoute-t il.

- Gare du Midi, c'est un peu la confusion. Dans un premier temps, une petite colonne de manifestants, qui n'ont pas pu descendre à la gare du Nord mais ont été débarqués en gare du Midi, veulent remonter les boulevards en sens inverse, en direction du nord.

Craignant un sérieux problème lors de la rencontre avec le gros du cortège qui arrive en sens opposé, la police intervient rapidement pour qu'ils rebroussent chemin.

- Plus tard, c'est une colonne de manifestants arrivés à la gare du Midi qui, contre toute attente, ne se disloque pas, mais remanie vers le rond-point Louise et vers le Palais de Justice.

- Non loin de la gare du Midi sont disposés deux grands panneaux avec les noms des enfants morts ou disparus. Les gens y déposent leurs fleurs blanches et, bientôt, c'est une véritable montagne florale qui se forme.

- Stupéfaction: dans la liste des noms, on a oublié celui de Loubna. Impardonnable gaffe qui met la population marocaine en émoi. En réaction, certains ont griffonné au marqueur le prénom de «Loubna» en français et en arabe, accompagné de commentaires rageurs. On les comprend!

- A ce moment, à l'ombre du Palais de Justice, rond-point Louise, la situation est un peu tendue. Des manifestants (ce ne sont plus des familles avec enfants mais plutôt des loubards indéfinissables), veulent forcer le passage et aller jusqu'aux marches du Palais. Ils jettent des cailloux, des bouteilles en plastique, des blocs de glace réquisitionnés au Quick d'en face, des pétards. Pas bien grave... Une dame d'une soixantaine d'années à l'accent espagnol arrive avec son minuscule calicot.

- Je veux passer, dit-elle aux gendarmes, barricadés derrière les chevaux de frise.

- Elle ne passera pas. Ni aucun des manifestants. Et la marche blanche se sera, du début jusqu'à la fin, passée dans le calme et dans la plus remarquable dignité.

4 PROMESSES

- Une dignité qui n'a pas manqué d'impressionner le Premier ministre Jean-Luc Dehaene qui, pendant plus de deux heures, a écouté les familles.

- J'ai félicité les parents pour la façon digne et sereine dans laquelle la manifestation s'est déroulée, a déclaré le Premier ministre. J'y vois un signal clair de tous les citoyens.

- Dans la foulée, Jean-Luc Dehaene prenait un quadruple engagement. L'enquête sera menée jusqu'au bout. L’enquête sur l'enquête sera aussi poursuivie et, là où des erreurs ont été commises, des sanctions seront prises. Le Premier ministre va également demander d'approuver, au Conseil des Ministres, une proposition de révision de la Constitution visant à mettre fin à la politisation des promotions dans la magistrature. Enfin, Jean

Luc Dehaene a annoncé que contact serait pris avec le Centre national pour les enfants perdus et abusés à Washington dans le but de créer un centre similaire en Europe, et peut-être en Belgique.

- Alors que la pluie se mettait à tomber sur Bruxelles, des dizaines de milliers de citoyens rentraient chez eux en train, en bus ou en voiture, avec l'espoir que, grâce à leur longue marche blanche, quelque chose décidément aura changé en Belgique.

Jean-Marc Veszely.

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LA SÉCURITÉ SUR LES DENTS

« Soir Illustré » du mercredi 23 octobre 1996 page 35

- Les services de sécurité savaient depuis plusieurs jours qu'il leur faudrait canaliser bien plus que les 50.000 personnes initialement attendues. Plusieurs jours avant la manifestation, les autorités prévoient un service d'ordre de quelque 400 policiers de la Ville de Bruxelles et d'un millier de gendarmes. Les premiers couvriront le cortège, les seconds la zone neutre, celle dans laquelle se retrouvent les ministères, le Parlement, le Palais royal.

- Mais la volonté est, manifestement, d'éviter les incidents de manière préventive. La Sûreté de l'État et les BSR de la Gendarmerie ont surveillé les groupes a risque: groupes d'extrême droite, milieux islamistes et PTB, l'extrême gauche stalinienne.

- Mais l'extrême droite n'arrive pas à récupérer le mouvement, la «chance», c'est que les victimes des enlèvements traversent toutes les communautés, flamandes et francophones, belges et immigrées.

Les nationalismes peuvent difficile ment se mobiliser. Les divers groupes d'extrême droite francophones, toujours très frais, s'accusent mutuellement d'être dirigés par les pédophiles. Et puis, surtout, la marée blanche est populaire, pas populiste.

- Du côté islamiste, rien ne semble bouger. Le problème ne semblait pas les concerner. Les Frères Musulmans, principale organisation, ne mobilise absolument pas.

- Finalement, les 25 équipes de la BSR et les agents de la Sûreté chargés de discrètement tenir à l'oeil les éventuels fauteurs de trouble n'ont d'yeux que pour les militants du Parti du Travail de Belgique, un groupe stalinien que le monde entier nous envie. A plusieurs reprises, ils ont tenté de récupérer le mouvement, provoquant même une réaction judiciaire des parents qui ont obtenu gain de cause en référé le vendredi précédant la marche.

SÉCURITÉ OBLIGE

- Certains militants du PTB sont d'ailleurs surveillés depuis leur départ. Pas question qu'ils sortent des calicots ou des tracts récupérateurs. Mais, en fait, à l'état-major de la Gendarmerie, on craint surtout pour la sécurité physique des membres du PTB qui risquent de se faire taper dessus s'ils tentent malgré tout de récupérer les choses.

Paradoxe des paradoxes, voilà les BSR chargées d'assurer la sécurité, sans qu'ils le sachent, des gauchistes. la Belgique est vraiment un pays compliqué et surréaliste.

Philippe Brewaeys

« Mélissa, je t'aime ! » «Soir Illustré»23 octobre 1996 pages 32 à 33


- Ou par les parents de Mélissa Russo.

Je voudrais vous dire merci, non pas en mon nom propre, mais au nom de Mélissa, dit Gino Russo. J'ai voulu faire un petit texte mais il n'y avait qu'une phrase qui me venait: « Mélissa, je t'aime »!

- S'adressant directement à sa fille, la mère de Mélissa, a ajouté ces paroles poignantes: - « Mélissa, quand tu es née, ce fut un grand jour... Qu'étais-tu d'autre qu'un cadeau de la vie, une princesse, notre princesse. Nous avons cru que l'institution judiciaire pourrait nous aider. Mais il s'est imposé à nous que l'on ne pouvait compter dessus. Jusqu'au jour où un juge est venu... Un juge qui a traité le dossier, comme lorsqu'il y a des princesses à sauver... Je ne revendique qu'une chose: le droit pour tous les enfants d'être considérés comme des princes et des princesses. »

- Mme Bouzet, la maman de la petite Élisabeth Brichet, qui a eu l'idée de cette marche blanche, s'est également adressée à la foule.

« Nous devons beaucoup aux enfants morts; nous devons beaucoup aussi aux enfants vivants car nous devons être des parents responsables et de nouveaux citoyens. Quand j'étais petite, on utilisait une expression que je ne comprenais pas: «la foi, cela soulève les montagnes». Et bien maintenant, je la comprends. »

- Quant au père d'An Marchal qui, très émouvant également, fit peut-être le discours le plus «politique», il lançait à la foule: - « Vous êtes l'avenir, vous êtes la chaleur du pays... Quant à nous, nous continuerons à faire notre travail... «Si on nous laisse faire» (en français).

UNE VAGUE DE SILENCE

- Et sous un ciel gris, au pied des hauts buildings qui marquent le début du boulevard Jacqmain, le fleuve des marcheurs blancs a commencé à se déverser vers le centre de la ville avec une infinie lenteur. Tellement lentement qu'à un certain moment on a pu se demander si la manifestation pourrait se dérouler comme prévu, tant les rues de la capitale étaient engorgées. Mais, petit à petit, la foule s'est mise en mouvement. Au bout du boulevard Jacqmain, certaines personnes ont piétiné pendant plus de trois heures avant de pouvoir avancer.

- C'est une foule blanche, incroyablement compacte, incroyablement silencieuse. Contrairement aux manifestations habituelles, où l'on donne la consigne aux manifestants de s'espacer, ici, les gens se tiennent très proches les uns des autres. Les gens marchent calmement, mais de manière déterminée. Seules, d'inexplicables vagues d'applaudissements qui partent de la tête du cortège, viennent la faire frémir régulièrement. Parfois, c'est le passage d'un hélicoptère qui provoque la liesse.

- Bien après quatorze heures trente, les trains déversent encore les derniers manifestants. En effet, en raison de l'engorgement total de la zone proche de la gare du Nord, la gendarmerie a donné ordre à la SNCB de ralentir l'arrivée des trains afin de permettre le dégagement des couloirs de la gare.

Et le fleuve se mit en marche ! («Soir Illustré»23 octobre 1996 pg 30 à 35)


Et le fleuve se mit en marche !

« Soir Illustré » du mercredi 23 octobre 1996 pages 30 à 35

Ce fut la marche blanche, la marche du silence, la marche des enfants. Une sorte de pèlerinage qui a rassemblé 325.000 personnes qui ont rallié la gare du Nord et la gare du Midi, en hommage aux enfants morts et disparus. Ces citoyens marchaient aussi pour une Belgique meilleure.

- Le quai de la gare est blanc de monde. Au milieu des familles et des enfants excités, deux hommes seuls, qui ont largement l'âge d'être grands-pères, se croisent en attendant le train en retard. L'un, voûté, marche avec difficulté. Il porte un oeillet blanc à la main. De leur voix éraillée de personnes âgées, les deux vieux engagent la conversation...

Vous allez aussi à la«manif»?

- Oui, et vous?

- Bien sûr. Question d'honneur.

- Ces deux manifestants-là n'avaient jamais été à une manifestation de leur vie entière. Sans doute comme des milliers parmi les manifestants qui ont déferlé « Soir Illustré » du mercredi 23 octobre 1996 gare du Nord ne pouvait plus absorber les files de passagers descendant des trains spéciaux bondés provenant de toutes les grandes villes du pays. La situation commençait à être très confuse.

- Impossible de contenir plus longtemps cette marée humaine. Il est décidé que les parents, présents sur le podium, prennent la parole une demi-heure avant quatorze heures, l'heure prévue du départ.

- Moment d'émotion intense que ces mots précieux, parfois étranglés de sanglots, prononcés par Laetitia Delhez: « Merci d'être venus si nombreux. »

Octobre BLANC (UNE du «Soir Illustré» 23 octobre 1996)


Octobre BLANC

La révolte des citoyens

12 pages spéciales sur le choc des 300.000

UNE du « Soir Illustré » du mercredi 23 octobre 1996

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